Indridason,Arnaldur - La rivière noire

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— Tout cela nous complique la tâche pour traduire ces salauds en justice, avait-elle expliqué. Les effets du Rohypnol durent entre trois et six heures, ensuite, il disparaît de l’organisme sans laisser de traces. Il suffit de quelques milligrammes pour plonger celui qui l’a ingéré dans une forme de somnolence et les effets sont décuplés quand le produit est absorbé avec de l’alcool. Ensuite peuvent survenir des hallucinations, des accès de mélancolie et des étourdissements. Cela va parfois même jusqu’à des convulsions.

Elinborg scrutait avec attention cet appartement de Thingholt et réfléchissait à l’agression subie par Runolfur. Elle réfléchissait à la haine qui semblait l’avoir motivée.

— Il avait une voiture ? demanda-t-elle à ses collègues de la Scientifique.

— Oui, elle était garée juste devant, répondit l’un d’eux. Nous sommes en train de l’examiner dans notre hangar.

— Il va falloir que je vous confie des prélèvements effectués sur une jeune femme qui a récemment été victime d’une agression analogue. J’ai besoin de savoir s’il est possible qu’il en ait été l’auteur, s’il l’a emmenée dans sa voiture jusqu’à Kopavogur pour la déposer là-bas.

— Cela va de soi, répondit son collègue. Il y a encore une chose…

— Laquelle ?

— Tout ce qui se trouve dans cet appartement appartient à un homme, l’ensemble des vêtements, des chaussures, des manteaux et imperméables…

— Oui.

— À l’exception de ce qui est plié là, indiqua-t-il en montrant du doigt une chose informe qui avait été placée dans un sachet zippé de la Scientifique.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ça ressemble à un châle, répondit l’homme tandis qu’il saisissait le sachet en plastique. Nous l’avons retrouvé, tout tirebouchonné sous le lit de la chambre. Voilà qui viendrait confirmer l’hypothèse selon laquelle notre homme était en galante compagnie.

Il ouvrit le sachet pour l’approcher du nez d’Elinborg.

— Il s’en dégage une odeur assez particulière, observa-t-il. De la cigarette, du parfum et aussi quelque chose qui ressemble à… des épices…

Elinborg plongea son nez dans le sachet.

— Nous allons bien trouver ce que c’est, reprit-il.

Elinborg inspira profondément le châle en laine de couleur violette. Elle sentit l’odeur âcre de la fumée de cigarette, le parfum féminin et, son collègue avait parfaitement raison, elle y décelait clairement une épice qu’elle connaissait très bien.

— Tu sais ce que c’est ? interrogea Sigurdur Oli qui la regardait, interloqué.

Elle lui répondit d’un hochement de tête.

— C’est ma préférée, observa-t-elle.

— Ta préférée ? s’étonna le gars de la Scientifique.

— Tu veux dire, ton épice préférée ? suggéra Sigurdur Oli.

— En effet, acquiesça Elinborg. Enfin, il s’agit plutôt d’un mélange. Un mélange indien. On dirait bien que… cela me fait penser à du tandoori. Il me semble que c’est l’odeur du tandoori.

4

Les voisins avaient pour la plupart été très coopératifs. La police s’était efforcée d’interroger de manière systématique tous ceux qui habitaient dans un certain périmètre autour de la maison, peu importe qu’ils considèrent ou non avoir quelque chose à dire. C’était à elle de juger de l’utilité des informations qui lui étaient communiquées. Le crime avait eu lieu dans le bas du quartier de Thingholt ; la plupart des habitants avaient affirmé qu’endormis à ce moment-là, ils n’avaient rien remarqué d’inhabituel. Personne ne connaissait le locataire. Personne n’avait noté d’allées et venues suspectes ni quoi que ce soit de notable aux abords de cette maison. On s’était d’abord concentré sur ceux qui habitaient dans le voisinage immédiat, puis on avait élargi le champ. Elinborg avait discuté avec les collègues chargés de récolter les témoignages, elle s’était plongée dans les procès-verbaux et arrêtée sur le récit d’une femme qui vivait à la limite de la zone concernée. Elle avait décidé de lui rendre visite en personne, même si les informations qu’elle détenait risquaient d’être des plus minces.

— Je ne suis pas sûr que cela vaille le coup, lui avait précisé le collègue qui était allé l’interroger.

— Ah bon ?

— Elle est plutôt bizarre, avait-il prévenu.

— Comment ça ?

— Elle n’a pas arrêté de me bassiner avec des ondes électromagnétiques censées être à l’origine de ses maux de tête permanents.

— Des ondes électromagnétiques ?

— Elle m’a même raconté qu’elle les avait mesurées avec des aiguilles. Les ondes en question proviendraient des murs de son appartement.

— Tiens donc !

— Je ne suis pas certain qu’elle t’apprendra grand-chose.

L’intéressée vivait au premier étage d’une maison à deux niveaux dans une rue voisine de celle de Runolfur, mais à une certaine distance de son domicile. Voilà pourquoi il était peu probable que ce qu’elle pensait avoir vu ait de l’importance. Cela avait toutefois piqué la curiosité d’Elinborg et, puisque la police n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent, elle se disait qu’elle pouvait bien accorder un peu d’attention à cette femme et l’amener à se rappeler ce qu’elle avait vu.

Petrina, c’était son prénom, approchait les soixante-dix ans. Elle vint ouvrit à Elinborg en robe de chambre, les pieds chaussés de Crocs éculés. Elle avait les cheveux hirsutes, un visage hâve et ridé, des yeux injectés de sang et tenait une cigarette à la main. Son accueil était des plus chaleureux, elle précisa qu’elle était soulagée de voir quelqu’un lui témoigner enfin un peu d’intérêt.

— Ce n’est pas trop tôt ! s’exclama-t-elle. Je vais vous montrer ça. Je peux vous dire que ce sont des ondes comme qui dirait massives !

Petrina disparut à l’intérieur de son appartement, suivie d’Elinborg qui fut immédiatement incommodée par la forte odeur de cigarette. À l’intérieur régnait la pénombre, tous les rideaux étaient tirés. Elle supposa qu’on pouvait apercevoir la rue depuis la fenêtre du salon. La femme alla jusqu’à sa chambre à coucher et lui demanda de venir. Elinborg traversa le salon, passa devant la cuisine et la rejoignit. Petrina se tenait sous une malheureuse ampoule nue qui pendait au plafond. Le lit et la table de chevet étaient installés au centre de la pièce.

— Si cela ne tenait qu’à moi, j’abattrais toutes ces cloisons, observa-t-elle. Je n’ai pas les moyens de faire isoler ces circuits électriques. Je suppose que j’y suis rudement sensible. Tenez, regardez-moi ça.

Interloquée, Elinborg regardait les murs de la chambre entièrement recouverts de papier en aluminium culinaire du sol au plafond.

— Cela me donne d’affreux maux de tête.

— Vous avez installé tout ça vous-même ? s’enquit Elinborg.

— Moi-même ? Évidemment. Ce papier alu limite les dégâts, mais il ne suffit pas. Il faut que vous y regardiez de plus près.

Elle attrapa deux aiguilles en fer qu’elle posa dans le creux de sa paume. Les deux extrémités pointèrent vers Elinborg, immobile à la porte, avant de s’élever lentement vers le mur.

— C’est à cause des circuits électriques, observa Petrina.

— Ah bon ? répondit Elinborg.

— Vous voyez que ce papier alu a son utilité. Suivez-moi !

Petrina se faufila entre son hôte et le cadre de la porte, les cheveux dressés en l’air avec ses aiguilles à la main, comme une caricature de savant fou. Elle entra dans le salon pour y allumer la télé. La mire de la Radio Télévision Islandaise apparut à l’écran.

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