Max Gallo - 1943-Le souffle de la victoire

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Des « gardes mobiles » et la garde du Maréchal, soit quelques centaines d’hommes, assurent la protection de Laval et de Pétain.

L’hôtel du Parc est gardé comme une forteresse. Une porte blindée a été installée dans l’escalier qui permet de passer de l’étage Laval à l’étage Pétain.

Laval, qui passe ses nuits dans sa propriété de Châteldon, rejoint chaque matin Vichy en voiture blindée. Le long de la route, un garde armé est en faction tous les cent mètres. Des policiers, revolver au poing, attendent Laval devant l’hôtel du Parc.

Vichy jadis bruissant de rumeurs de tensions et de conciliabules nest plus - фото 11

Vichy, jadis bruissant de rumeurs, de tensions et de conciliabules, n’est plus un lieu de pouvoir. N’y demeurent que les personnages « officiels » attachés à une fonction gouvernementale ou liés à Pétain ou à Laval.

Pour tous les autres, « Vichy n’est plus intéressant mais dangereux. Vichy est rejeté par les collaborationnistes comme par les gaullistes. La fidélité au Maréchal fond comme neige au soleil. Les vocations résistantes s’affirment, la onzième heure approche ».

C’est l’effet Stalingrad qui vient s’ajouter à l’effet El-Alamein et au basculement de l’Afrique du Nord après le débarquement américain du 8 novembre 1942.

Chacun pressent que le prochain « saut » conduira les Alliés en Europe. Débarquement en Sicile, en Italie, en Normandie, en Grèce, dans les Balkans ? On est sûr que l’un d’entre eux aura lieu.

Le temps n’est plus où l’on était fier d’avoir reçu des mains du Maréchal la « francisque », la décoration emblématique de la « Révolution nationale ».

« À Vichy, écrit Maurice Martin du Gard, chacun prépare son dossier. “Moi, dit tel ministre, j’ai sauvé tant de travailleurs !” “Moi, dit un chef de la police, j’ai planqué les fils de généraux gaullistes dans une école de gendarmerie.” “Moi, dit un autre, j’ai sauvé tant de Juifs.” »

Les collaborationnistes résolus – Marcel Déat, Jacques Doriot, Philippe Henriot, Joseph Darnand –, c’est-à-dire ceux qui savent que leur sort est déterminé par le destin du nazisme, dénoncent ce « cloaque » vichyssois, son attentisme.

Même s’ils critiquent Pierre Laval, s’ils espèrent – c’est le cas de Déat, de Doriot – lui succéder – avec l’appui allemand –, ils partagent l’analyse du chef du gouvernement lorsqu’il dit :

« Cette guerre est une guerre de religion. La victoire de l’Allemagne empêchera notre civilisation de sombrer dans le communisme.

« Il y a plusieurs routes à suivre, j’ai choisi la seule qui puisse conduire au salut de notre pays. Je ne me laisserai jamais égarer par l’opinion publique si elle doit me faire tourner le dos à l’intérêt de la France. Je renverrai impitoyablement tout ce qui, sur ma route, m’empêchera de sauver la France. »

Mais Pierre Laval, bien qu’enfermé dans le seul rôle qui lui reste à jouer, est aussi un homme lucide qui mesure les dérisoires moyens dont il dispose.

« Il est difficile, en toutes circonstances, de diriger la politique de notre pays, confie-t-il. Mais quand il se trouve sans armée, sans flotte, sans Empire et sans or, la tâche de celui qui est chargé de gouverner s’avère parfois insurmontable. »

Elle l’est en ce début d’année 1943, car la vie des Français devient de plus en plus difficile et ils savent bien que l’occupant allemand pille le pays.

Et les « bonnes intentions » des « ministres » de Laval, et de Laval lui-même, ne réussissent en rien – ou presque rien – à améliorer la situation de la plus grande partie de la population.

Il faut d’abord « nourrir » et « payer » la Wehrmacht.

Les officiers allemands et les « trafiquants », intermédiaires en tout genre à leur service, se gobergent dans les restaurants du marché noir : le prix d’un seul déjeuner dépasse le montant du salaire mensuel moyen !

Réduit aux seules denrées distribuées par le « ravitaillement légal », un Parisien ne peut vivre que cinq ou six jours par mois !

Chacun est donc contraint de se livrer au marché noir, et les plus humbles vivent avec la faim au ventre : 200 grammes de matières grasses et 300 grammes de viande par mois !

Les légumes frais sont rationnés… ail compris !

Quant au pain, sa ration varie selon les récoltes, mais lorsqu’elles sont abondantes, on relève de 25 grammes la ration attribuée !

Pour les travailleurs manuels, elle peut atteindre 350 grammes par jour mais elle sera au fil des mois réduite à 100 grammes, voire 50 dans certaines villes.

Le lait manque pour les nouveau-nés. Les mères ne peuvent allaiter pour cause de malnutrition.

En fait, la sous-alimentation est la cause immédiate de la mort de près de 150 000 Français.

Certes, agriculteurs, commerçants et privilégiés de la fortune peuvent échapper à la faim, mais le peuple souffre, épuisé, englouti par la recherche quotidienne d’aliments pour les enfants. Cette quête devient une « obsession » qui mobilise toute la volonté.

Or il faut de l’énergie physique pour vouloir et pouvoir se battre, et seuls les jeunes gens vigoureux s’engagent dans la Résistance.

Ils y sont poussés par la mise en œuvre du Service du Travail Obligatoire. Et les jeunes concernés, pour échapper à un départ vers l’Allemagne, se réfugient à la campagne, dans des villages, chez des paysans.

Ils sont ainsi au contact des « maquis » qui commencent à rassembler des « maquisards », ces partisans peu nombreux encore.

Ils reçoivent quelques armes parachutées. Ils sont l’émanation des mouvements de résistance : Combat, Franc-Tireur , Libération, et les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) liés au Parti communiste.

Ces maquis encore embryonnaires révèlent que la « guerre de partisans » conduite par les Russes devient une référence que confirme l’écho des batailles qui se livrent sur le front de l’Est. Stalingrad exalte ces jeunes combattants.

Pour les Allemands et les collaborateurs enrôlés dans le Service d’Ordre Légionnaire, le SOL, créé par Joseph Darnand, ces « réfractaires », ces « maquisards » sont des « terroristes », des « communistes », des « gaullo-communistes » voués, lorsqu’ils sont pris, à la déportation ou, si c’est au terme de combats ou d’une opération « anti-maquis », au peloton d’exécution et souvent à la torture.

Les Allemands d’ailleurs ne cherchent plus à se montrer « korrect » : c’est ainsi que la population française les avait jugés dans les premières semaines de l’Occupation, dans l’été et l’automne 1940.

Aujourd’hui, en 1943, l’écrivain Jean Paulhan dit des Allemands, dans un article d’une publication clandestine, Les Cahiers de la Libération : « D’eux, il ne nous restera rien. Pas un chant, pas une grimace… Ils ne sont pas animés. Ils auront passé comme un grand vide. Comme s’ils étaient déjà morts. Seulement cette mort, ils la répandent autour d’eux. C’est même la seule chose qu’ils sachent faire. »

Ils ont pris en main le camp de Drancy jusque-là dirigé par les autorités françaises.

Le régime du camp sévère devient sous la férule des SS – et d’abord du Hauptsturmführer-SS, Alois Brunner – l’antichambre de la mort.

On y frappe, on y torture, on y tue. On y est poussé dans les wagons plombés qui partent pour les camps d’extermination et d’abord Auschwitz.

La Gestapo ne connaît plus aucune limite territoriale. Ses hommes envahissent l’ex-zone sud, interviennent en plein cœur de Vichy – ainsi un magistrat est-il arrêté dans le bureau du garde des Sceaux !

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