Le lendemain, il pouvait plus tenir debout… Mme Merrywin, elle était bien intriguée, elle comprenait plus son morveux… Il répétait plus No trouble … Il s’écroulait à table, en classe… trois jours encore tout gâteux… Mais il restait incorrigible, il aurait fallu le ligoter pour qu’il se tienne peinard… Fallait pas qu’il s’approche des buts… Dès qu’il voyait le ballon rentrer, il se connaissait plus, il se précipitait dans les goals, emporté par sa folie, il bondissait sur la baudruche, il l’arrachait au gardien… Avant qu’on ait pu le retenir il était sauvé avec… Il était vraiment possédé dans ces moments-là… Il courait plus vite que tout le monde… Hurray ! Hurray ! Hurray !… qu’il arrêtait pas de gueuler, comme ça jusqu’en bas de la colline, c’était coton pour le rejoindre, il dévalait jusqu’à la ville. Souvent on le rattrapait dans les boutiques… Il shootait dans les vitrines. Il crevait les écriteaux… Il avait le démon du sport. Il fallait se méfier de ses lubies.
Pendant trois mois j’ai pas mouffeté ; j’ai pas dit hip ! ni yep ! ni youf !… J’ai pas dit yes … J’ai pas dit no … J’ai pas dit rien !… C’était héroïque… Je causais à personne. Je m’en trouvais joliment bien…
Au dortoir, ça continuait les grosses branlées… les suçades… Je m’intriguais bien sur Nora… Mais toujours en suppositions…
Entre janvier et février, il a fait alors terriblement froid et tellement de brouillard en plus, que c’était presque impossible de retrouver notre chemin quand on descendait de l’entraînement… On s’orientait à tâtons…
Le vieux, il me foutait la paix en classe et sur la colline, il essayait plus de me convaincre. Il se rendait compte de ma nature… Il croyait que je réfléchissais… Que je m’y mettrais un peu plus tard ! avec des douceurs… C’est pas ça qui m’intéressait. C’était mon retour au Passage qui me foutait le bourdon. J’en avais déjà la grelotte trois mois à l’avance. Je délirais rien que d’y penser !… Merde ! quand faudrait recauser !…
Enfin, au physique, j’avais pas à me plaindre, je progressais de ce côté-là. Je me trouvais bien plus costaud… Ça me convenait admirablement, à moi, les rigueurs du climat, la température de cochon… ça me fortifiait de plus en plus, si on avait mieux croûté, je serais devenu un solide athlète… J’aurais foutu tout le monde en bas…
Deux semaines ont encore passé sur ces entrefaites… Voilà quatre mois, que je me taisais. Merrywin alors brusquement, il a pris comme peur… Un après-midi, comme ça en rentrant du sport, je le vois qui saisit son papier. Il se met à écrire à mon père, convulsivement… des bêtises… Ah ! la triste initiative !… Par le retour du courrier, j’ai reçu alors moi-même trois lettres bien compactes, que je peux qualifier d’ignobles… blindées, gavées, débordantes de mille menaces, jurons horribles, insultes grecques et puis latines, mises en demeure comminatoires… représailles, divers anathèmes, infinis chagrins… Il qualifiait ma conduite d’infernale ! Apocalyptique !… Me revoilà découragé !… Il m’envoie un ultimatum, de me plonger séance tenante dans l’étude de la langue anglaise, au nom des terribles principes, de tous les sacrifices extrêmes… des deux cent mille privations, des souffrances infectes endurées, entièrement pour mon salut ! Il en était tout déconcerté, tout ému, tout bafouillard, le sale andouille Merrywin d’avoir provoqué ce déluge… Il était bien avancé ! Maintenant les digues étaient rompues… C’était sauve qui peut voilà tout !… J’en avais un écœurement qu’était même plus racontable de retrouver, sur la table, toutes les conneries de mon daron, étalées là, noir sur blanc… C’était encore plus triste écrit.
C’était encore un bien sale cul ce Merrywin de la Jaquette ! Encore bien plus dégueulasse que tous les mômes à la fois ! Et bien plus cave, plus entêté… J’étais sûr qu’il ferait ma perte avec ses lorgnons.
S’il était resté tranquille, peinard comme c’était convenu, j’étais bon encore pour six mois… À présent qu’il avait gaffé, c’était plus qu’une question de semaines… Je me cloisonnais dans mon silence… Je lui en voulais horriblement… Si je me barrais tant pis pour lui… C’était un désastre pour sa tôle ! Il l’avait voulu, provoqué ! Déjà c’était pas florissant le business du Meanwell College… Avec moi en moins dans l’équipe, il tenait plus le coup pour les sports. Il finirait pas la saison.
Après les vacances de Noël, on avait eu quatre départs… des mômes qu’étaient pas revenus… Le collège il serait plus montrable avec son « football », même si on laissait jouer Jonkind… Ça pouvait plus exister… Avec huit morveux seulement c’était pas la peine qu’on s’aligne… On se faisait sûrement écraser… Les « Pitwitt » rentraient ce qu’ils voulaient… même qu’ils seraient plus légers que des plumes et encore deux fois moins nourris… D’abord, tout le monde se débinerait… Ils attendraient pas la déroute… Le collège était plus possible… Plus de football c’était la faillite !… Le vieux, il en avait la foire !… Il faisait encore quelques efforts. Il m’interrogeait en français… si j’avais pas de réclamations, des plaintes à lui adresser… Si les mômes me faisaient pas de misères !… Il manquerait plus que ça ! Si j’avais les grolles trop mouillées ?… Si je voulais pas un plat spécial ?… C’était pas la peine qu’on explique, j’avais honte devant Nora, de faire le boudeur et l’andouille… mais l’amour-propre c’est accessoire… Du moment qu’on est résolu, il faut d’abord tenir ses promesses… Je devenais plus indispensable à mesure qu’on perdait des élèves… On me faisait mille avances… des sourires… des grâces… Les mômes, ils se décarcassaient… Le petit Jack, celui qui faisait le clebs le soir, il m’apportait des autres bonbons… et même de son petit cresson, le minuscule… qu’a goût de moutarde… celui qui pousse dans des boîtes, raide comme de la barbe, dans des caisses exprès, toutes moisies, sur l’appui des fenêtres…
Le vieux les avait rencardés qu’ils devaient se montrer tous plaisants… Qu’on me retienne encore jusqu’à Pâques… que c’était une question sportive, l’honneur du collège… que si je m’en allais plus tôt, l’équipe était dans les pommes… qu’elle jouerait plus les « Pitwitt »…
Pour me rendre la situation encore beaucoup plus agréable, on m’a dispensé des études… Je distrayais tout le monde en classe… Je claquais tout le temps mon pupitre… J’allais regarder à la fenêtre, les brouillards et le mouvement du port… Je faisais des travaux personnels avec des marrons et des noix, je constituais des combats navals… des grands voiliers en allumettes… J’empêchais les autres d’apprendre…
L’idiot, il se tenait à peu près, mais c’était son porte-plume, qu’il se poussait, lui, dans le fond du nez… Il en mettait souvent deux, quelquefois quatre dans une seule narine… Il enfonçait tout, il gueulait… Il buvait les encriers… C’était mieux aussi qu’il se promène… En grandissant il devenait dur à surveiller… On nous a sortis ensemble… J’ai regretté un peu la classe… J’apprenais pas mais j’étais bien, je détestais pas l’intonation anglaise… C’est agréable, c’est élégant, c’est flexible… C’est une espèce de musique, ça vient comme d’une autre planète… J’étais pas doué pour apprendre… J’avais pas de mal à résister… Papa le répétait toujours que j’étais stupide et opaque… C’était donc pas une surprise… Ça me convenait mon isolement, de mieux en mieux… C’est l’entêtement moi, ma force… Il a fallu qu’ils s’inclinent, qu’ils cessent de m’importuner… Ils ont flatté mes instincts, mes penchants pour la vadrouille… On m’a promené tant et plus dans les environs, par monts et villages, avec l’idiot, sa brouette et tous ses joujoux…
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