Ses cheveux aussi, dès qu’elle passait devant la cheminée, devenaient tout lumière et jeux !… Merde ! Elle devenait fée ! c’était évident. Moi, c’est là au coin de la lèvre que je l’aurais surtout bouffée.
Elle était aussi aimable avec moi qu’avec le crétin, elle me traduisait les moindres mots, tout ce qui se racontait à table, toutes les histoires de morveux… Elle me donnait des explications, en français d’abord, elle prononçait tout lentement… Elle se donnait un double boulot… Son vieux, il clignait toujours derrière ses lorgnons… Il faisait plus beaucoup l’oiseau, il se contentait d’acquiescer… « Yes Ferdinand ! Yes ! » qu’il approuvait… Engageant… Et puis, il s’amusait tout seul, il se curait les crocs très lentement, et puis les oreilles, il jouait avec son râtelier, il le décollait, il le faisait remonter encore. Il attendait que les gosses finissent, alors, il refonçait en prières.
Une fois qu’on était relevés, Mme Merrywin essayait encore un petit peu, avant qu’on retourne en classe, de m’intéresser aux objets… « The table , la table, allons Ferdinand !… » Je résistais à tous les charmes. Je répondais rien. Je la laissais passer par-devant… Ses miches aussi elles me fascinaient. Elle avait un pot admirable, pas seulement une jolie figure… Un pétard tendu, contenu, pas gros, ni petit, à bloc dans la jupe, une fête musculaire… Ça c’est du divin, c’est mon instinct… La garce je lui aurais tout mangé, tout dévoré, moi je le proclame… Je gardais toutes mes tentations. Des autres moujingues de la tôle je m’en méfiais comme de la peste. C’était qu’une bande de petits morveux, des petits batailleurs, bien ragoteurs, bien enragés, bien connards. J’avais plus de goût pour les babioles, je les trouvais même écœurants… tous ces mômes avec leurs grimaces… J’avais plus l’âge ni la patience. Je trouvais plus ça possible l’école… Tout ce qu’ils fabriquent, tout ce qu’ils récitent… c’est pas écoutable en somme… à côté de ce qui nous attend… de la manière qu’on vous arrange après qu’on en est sorti… Si j’avais voulu jaspiner, je les aurais moi, incendiées en trois mots, trois gestes, toutes ces fausses branlures. Il en serait pas resté un debout. Rien que de les voir caramboler autour des « crickets », il me passait des haines… Dans les débuts, ils m’attendaient dans les coins pour me dresser soi-disant… Ils avaient décidé comme ça que je causerais quand même. Ils s’y mettaient une douzaine. Ils avalaient leurs cigarettes… je faisais celui qui voyait rien. J’attendais de les avoir tout près. Alors à bloc, je les faisais rebondir, à grands coups de beignes dans les châsses, à pleines grolles dans les tibias… Une vraie pâtée ! La décoction ! Comme des quilles ça carambolait !… Ils se tâtaient les os longtemps… Après ils étaient plus convenables… Ils devenaient doux, respectueux… Ils revenaient un peu flairer… J’en rallongeais deux ou trois… Ils se le tenaient alors pour dit.
C’était vraiment moi le plus fort, et peut-être le plus méchant… Français ou Anglais, les lardons c’est tout du kif comme vermine… Faut piétiner ça dès l’entrée… Faut pas y aller avec le dos, ça se corrige d’autor ou jamais ! À la détrempe ! la Capitale ! Sinon c’est vous qu’on escalade !… Tout est crevé, pourri, fondu. Il vous resterait plus que la chiasse si vous laissiez passer l’occase ! Si je m’étais mis à leur causer, j’aurais raconté forcément comment c’était les vrais « business… » ! les choses exactes de l’existence, les apprentissages… Moi je les aurais vite affranchis ces mirmidons à la gomme ! Ils savaient rien ces petits… Ils soupçonnaient pas… Ils comprenaient que le football, c’est pas suffisant… Et puis se regarder la bite…
Les heures de classe étaient pas longues, on s’y collait que le matin…
En fait d’instruction, de religion, de sports variés, M. Merrywin avait la haute main, il se chargeait de tout, il était seul, il avait pas d’autres professeurs.
Dès le petit jour, c’est lui-même, en sandales et robe de chambre qui passait pour nous réveiller. Il fumait déjà sa pipe, une petite en terre. Il agitait autour des lits sa longue badine, il fustigeait par-ci, par-là, mais jamais très fort. Hello boys ! Hello boys ! avec sa voix de petite vieille.
On le suivait aux lavabos… Y avait une rangée de robinets, on s’en servait le moins possible. C’était trop froid pour savonner. Et la pluie n’arrêtait plus. À partir du mois de décembre ce fut vraiment du déluge. On voyait plus rien de la ville, ni du port, ni du fleuve au loin… Toujours le brouillard, un coton énorme… Les pluies le détrempaient aussi, on apercevait des lumières, elles disparaissaient encore… On entendait toutes les sirènes, tous les appels des bateaux, dès l’aube c’était la rumeur… Les treuils qui grincent, le petit train qui longe les quais… qui halète et piaule…
Il remontait en arrivant le gaz « papillon », Merrywin, pour qu’on puisse trouver nos chaussettes. Après le lavabo, on se trissait, encore tout humides, vers la mince bectance, au sous-sol. Un coup de prière et le breakfast ! C’est le seul endroit où on brûlait un peu de charbon, le si gras, le si coulant, qui fait volcan, qui détone, qui sent l’asphalte. C’est agréable comme odeur, mais c’est son relent de soufre qui pique quand même un petit peu fort !
À table, y avait les saucisses sur du pain grillé, mais par exemple trop minuscules ! C’est bon, certes ! une gourmandise, mais y en avait jamais assez. Je les aurais avalées toutes. À travers la fumée, les flammes jouaient en reflets sur le mur, sur Job et puis l’Arche… ça faisait des mirages fantastiques.
Ne causant pas la langue anglaise, j’avais tout le temps de m’amuser l’œil… Le vieux, il mastiquait lentement. Mme Merrywin, elle arrivait après tout le monde. Elle avait habillé Jonkind, elle l’installait sur sa chaise, elle écartait les ustensiles, surtout les couteaux, c’était vraiment admirable qu’il se soye pas déjà éborgné… Et le voyant si goulu, qu’il ait pas déjà bouffé une petite cafetière, qu’il en soye pas déjà crevé… Nora, la patronne, je la regardais furtivement, je l’entendais comme une chanson… Sa voix, c’était comme le reste, un sortilège de douceur… Ce qui m’occupait dans son anglais c’était la musique, comme ça venait danser autour, au milieu des flammes. Je vivais enveloppé aussi moi, un peu comme Jonkind en somme, dans l’ahurissement. Je vivais gâteux, je me laissais ensorceler. J’avais rien à faire. La punaise, elle devait bien se rendre compte ! C’est fumier les femmes. Elle était vicelarde comme les autres. « Mais dis donc ! que je me fais, Arthur ! T’as pas mangé du cerf-volant ? T’es pas malade ? Dis, des fois ? Tu la perds ! Tu t’envoles Bouboule ! Mon trognon chéri ! Raccroche mon Jésus ! Pince-toi l’œuf ! Il est quart moins deux ! »… Aussitôt c’était fatal, je me racornissais à l’instant… Je me ratatinais tout en boule. C’était fini ! c’était passé ! J’avais la trappe recousue !
Fallait que je reste sur mes gardes, l’imagination m’emportait, l’endroit était des plus songeurs avec ses rafales opaques et ses nuages partout. Il fallait se planquer, se reblinder sans cesse. Une question me revenait souvent, comment qu’elle l’avait épousé l’autre petit véreux ? le raton sur sa badine ? ça paraissait impossible ! Quel trumeau ! quel afur ! quelle bobinette ! en pipe il ferait peur ! il ferait pas vingt sous ! Enfin c’était son affaire !…
C’est toujours elle qui me relançait, qui voulait que je conversationne : « Good Morning Ferdinand ! Hello ! Good Morning ! » … J’étais dans la confusion. Elle faisait des mimiques si mignonnes… J’ai failli tomber bien des fois. Mais je me repiquais alors dare-dare… Je me faisais revenir subitement les choses que j’avais sur la pomme… Je revoyais la tête à Lavelongue, à Gorloge, mélimélo !… J’avais un choix pour dégueuler ! la mère Méhon !… Çâkya-Mouni !… J’avais qu’à me laisser renifler, j’avais le nez toujours dans la merde ! Je me répondais par l’intérieur… « Parle toujours, parle encore dis ma langouste ! C’est pas toi qui me feras tiquer… Tu peux te fendre toute la musette… Faire des sourires comme douze grenouilles ! Je passerai pas !… Je suis bien gercé, je garantis, j’ai la colonne qui déborde »… Je repensais à mon bon papa… à ses entourloupes, ses salades… à tous les bourres qui m’attendaient, aux turbins qu’étaient à la traîne, à tous les fientes des clients, tous les haricots, les nouilles, les livraisons… à tous les patrons ! aux dérouilles que j’avais poirées ! Au Passage !… Toutes les envies de la gaudriole me refoulaient pile jusqu’au trognon… Je m’en convulsais, moi, des souvenirs ! Je m’en écorchais le trou du cul !… Je m’en arrachais des peaux entières tellement j’avais la furie… J’avais la marge en compote. Elle m’affûterait pas la gironde ! Bonne et mirifique c’était possible… Qu’elle serait encore bien plus radieuse et splendide cent dix mille fois, j’y ferais pas le moindre gringue ! pas une saucisse ! pas un soupir ! Qu’elle se trancherait toute la conasse, qu’elle se la mettrait toute en lanières, pour me plaire, qu’elle se la roulerait autour du cou, comme des serpentins fragiles, qu’elle se couperait trois doigts de la main pour me les filer dans l’oignon, qu’elle s’achèterait une moule tout en or ! J’y causerais pas ! jamais quand même !… Pas la moindre bise… C’était du bourre ! c’était pareil ! Et voilà ! J’aimais encore mieux fixer son daron, le dévisager davantage… ça m’empêchait de divaguer !… Je faisais des comparaisons… Y avait du navet dans sa viande… Un petit sang vert et frelaté… Y avait de la carotte aussi à cause des poils tout en vrilles barrant des oreilles et en bas des joues… Qu’est-ce qu’il avait pu lui faire pour la tomber la jolie ?… C’était sûrement pas la richesse… C’était une erreur alors ?… Maintenant aussi faut se rendre compte, les femmes c’est toujours pressé. Ça pousse sur n’importe quoi… N’importe quelle ordure leur est bonne… C’est tout à fait comme les fleurs… Aux plus belles le plus puant fumier !… La saison dure pas si longtemps ! Gi ! Et puis comment ça ment toujours ! J’en avais des exemples terribles ! Ça n’arrête jamais ! C’est leur parfum ! C’est la vie !…
Читать дальше