« Allez ! Allez ! qu’ils nous ont dit… Faut pas vous en faire… C’est évident que vous y êtes pour rien !… Tout ça c’est des chinoiseries ! Que des formalités banales ! C’est pour l’extérieur ! Pour la forme ! Faut pas vous frapper ! Ils vont vous relâcher tout de suite ! C’est un décorum ! » La vieille elle se désolait quand même…
« On le connaît un peu nous autres !… C’est pas pour la première fois qu’on le voit travailler !… S’il avait eu des vrais soupçons il serait resté bien plus longtemps ! Et puis en plus ! raide comme balle ! il vous aurait tous embarqués !… Ah ! Alors il hésiterait pas ! On le connaît quand même ! Seulement qu’un poil de présomption ! Et puis hop il vous tourniquait ! Ah ! Alors c’était dans la fouille ! Ah ! Il est terrible pour le doute ! Ah ! Il se perd pas dans les nuages… Ah c’est un vrai petit frisé ! Ah ! Avec lui y a pas de chanson !
— Alors, Messieurs, vous êtes bien sûrs qu’il va pas revenir ?… que c’est pas seulement pour le froid ?… C’est peut-être pour ça qu’il est parti ?…
— Ah ! Il a pas froid aux châsses ! Ah ! Vous pouvez être peinards ! Mais non que c’est de la rigolade ! Du m’as-tu vu ! Ah ! là ! là ! Moi je me frapperais toujours plus ! C’est lui qu’est venu pour des prunes !… Ah ! alors ! Hein ! Il peut râler ? » Ils étaient tous de cet avis…
Ils sont remontés dans leur carriole… Ils se parlaient déjà de gonzesses… Il fallait qu’ils démarrent doucement… Ça craquait fort sur leurs essieux… Ils étaient de trop dans la bagnole… Tassés les uns dans les autres… Y en avait deux des journalistes qu’étaient venus très exprès de Paris… ils regrettaient bien aussi le voyage… Tellement que la vieille les relançait avec ses questions ils ont fini par mugir en chœur, en cadence :
« C’est pas un crime !… Pop ! Pop ! Pop ! »
« C’est pas un crime !… Pop ! Pop ! Pop ! »
Tapant comme ça des talons à crever le plancher… Au bout du compte ils se marraient bien. Ils entonnaient des saloperies… Ils sont partis sur Dupanloup !
Le gendarme qui restait de garde, il a trouvé dans le hameau une autre bicoque, une toute vide, près de l’abreuvoir, où il pouvait rentrer son cheval. Il préférait ça comme endroit… La nôtre d’écurie c’était qu’un décombre… toute la flotte passait… Et puis alors des courants d’air que ça sifflait comme des orgues !… Sa bête elle souffrait là-dedans. Elle chancelait, chavirait de froid sur ses guibolles… Il l’a donc emmenée ailleurs… Et puis il est revenu encore… peut-être une heure avant la soupe… Il voulait nous dire quelque chose…
« Écoutez ! Vous deux patachons ! Vous pourrez-t-y rester tranquilles ? Il va falloir que j’aille à Tousne !… » C’était un bourg assez loin de l’autre côté du bois Berlot… « Il faut que j’aille chercher mon avoine. J’en ai plus moi dans mes sacoches ! J’ai ma belle-sœur qu’est là-bas… Elle est buraliste… Alors je resterai peut-être pour la soupe… Je serai rentré un peu plus tard… Mais pas plus tard que dix heures !… Alors vous ! Vous ferez pas les gourdes, hein ! J’ai plus un seul grain d’avoine !… Et puis tiens je vais emmener le dada… Comme il a son fer qu’est parti… Je passerai à la forge… Je rentrerai à cheval… Je serai plus tôt revenu… Alors c’est compris ? Hein ?… Vous laissez entrer personne ?… » C’était compris, entendu… Il s’emmerdait avec nous… Il allait se taper la cloche… « Bon vent ! » qu’on s’est dit… Il a retraversé devant la ferme avec son gaye à la bride… Je l’ai vu s’éloigner… Il commençait à faire nuit…
Nous tous les deux avec la vieille, on n’a pas mouffeté… J’attendais qu’il fasse vraiment noir pour sortir… chercher du bois… Alors j’ai fait vite… la palissade j’ai arraché trois planches d’un coup… Je cassais tout ça en margotins… mais qui fumaient forcément… C’était trop humide… Je suis retourné avec la vieille… J’étais content qu’on se réchauffe… C’était pas du luxe ! Mais il fallait fermer les yeux ! Ça piquait trop fort… Elle était redevenue toute sage après la séance… Mais encore comment inquiète !
« Tu crois ça toi les guignols ?… qu’ils vont rien nous dire de plus ? Tu crois pas qu’ils cachent encore une truquerie quelconque ?… » Elle m’interrogeait… « Tu les as entendus pourtant comment qu’ils m’ont soupçonnée ?… Et tous ! T’as bien vu au premier abord… Comme ça de but en blanc !… Ah ! Dis donc c’est un sacré vice ! Et allez donc ! Ah ! Alors !…
— Qui ça les bourriques ?…
— Ben oui ! Les bourriques quoi !…
— Oh ! le brigadier c’est qu’un gros plouc !… Comment qu’il a perdu le sifflet ! acacac ! devant les gerbes !… en cinq sec !… Il existait plus !… Il savait plus où il était !… Il avait plus un mot à dire !… Il avait rien vu ce poireau-là !… De quoi qu’il aurait causé ?… Les journalistes ils l’ont bien dit… Vous avez bien vu quand même !… Ceux-là, ils auraient remarqué… Ils la connaissent eux la musique !… Ils nous auraient sûrement prévenus… Ils l’aiment pas eux le zozoteur… C’était que des présomptions… Rien que des baveries !… pas autre chose !… Ils seraient pas barrés comme des pets… si ils pensaient nous posséder ! Ah ! non alors !… Pas d’erreur… Ils seraient encore là tous les bourres ! mais c’est évident voyons !… Plutôt quarante-deux fois qu’une !… Vous l’avez bien entendu !… le zozoteur lui-même ! quand il est sorti ? Comment qu’il a dit aux autres !… : “ Ça c’est un suicide ! ” Voilà c’est tout ! C’est pas midi à quatorze heures !… Le médecin aussi il l’a vu !… Je l’ai entendu quand il disait au petit bourrique. “ De bas en haut, mon ami ! De bas en haut !… ” C’était bien net ! Pas un charre !… Et voilà !… Faut pas inventer !… Ça suffit quand même !…
— Ah ! En effet, t’as raison !… » qu’elle me répondait tout doucement… Mais elle restait pas convaincue… Elle se fiait pas trop…
« Comment qu’ils vont l’enterrer ?… Ils font d’abord l’autopsie ? Et après ? Pour quoi faire ? Hein ?… T’as pas idée ?… Il faut qu’ils cherchent encore quelque chose ?…
— Ça je peux pas vous dire…
— J’aurais bien voulu tant qu’à faire qu’ils le remmènent à Montretout… Mais c’est bien trop loin à présent… Puisqu’ils l’emmènent à Beauvais… Ça se fera donc là-bas l’enterrement ? J’aurais bien voulu un “ Service ”… Je leur demanderai, moi… Tu crois qu’ils voudront ?… » Ça j’en savais rien non plus…
« Je me demande ce que ça peut coûter à Beauvais un petit “ Service ” ?… Simplement dans une chapelle !… La plus petite classe par exemple ?… C’est sûrement pas plus cher qu’ailleurs… Tu sais, il était pas religieux lui, mais enfin quand même… Ils l’ont assez martyrisé ! Un peu de respect ça fera pas de mal… Qu’est-ce qu’ils vont encore lui faire ?… Ils voyent donc pas assez comme ça ?… Il a rien dans le corps le pauvre homme !… Puisque c’est tout dans la tête… Ça se voit au premier coup d’œil mon Dieu !… C’est assez horrible !… » Elle recommençait à chialer…
« Ah ! Ferdinand mon petit bonhomme !… Quand je pense qu’ils ont pu croire ça !… Ah ! Et puis tu sais… tant qu’ils y étaient… fallait pas qu’ils se gênent… Moi ! Pour moi ! ça m’est bien égal !… À présent… Mais pour toi ? Tu crois que c’est fini ?… Toi, mon pauvre petit c’est pas la même chose… Il faut que tu te défendes !… T’as la vie devant toi !… Toi c’est pas pareil !… Toi tu y es pour rien dans tout ça… Au contraire !… Mon Dieu au contraire !… Il faudrait bien qu’ils te laissent tranquille… Tu viens avec moi à Beauvais ?…
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