Tout ça c’était du chinois… Ils avaient perdu l’habitude d’être traités en mômes… Ils étaient trop émancipés !… ils se rendaient plus compte des choses de l’obéissance !… C’était pas très compliqué pour réunir leur saint-frusquin !… ils avaient en somme que leurs os… et leurs petits frocs dessus !… en fait de garniture… Ils avaient quelques grolles de « fauche » qu’étaient jamais la pointure. Ils en mettaient souvent qu’une… Ils bagottaient plutôt pieds nus !… Eh bien ils ont trouvé quand même moyen d’embarquer tout un bric-à-brac… des myriades de clous, des crochets, trébuchets, frondes, des cordelettes, des pièges à glu… des jeux de râpes entiers, des cisailles et tous les ressorts à boudins et encore des lames de rasoirs emmanchées sur des longs bâtons… deux pinces complètes « Monseigneur »… Y avait que le Dudule qu’avait rien… Il travaillait avec ses doigts… Ils croyaient les gniards qu’où on les emmenait tout ça pourrait encore resservir… Ils se rendaient pas compte !… J’avais pourtant bien insisté… Ils prenaient rien au tragique… Ils avaient pourtant bien vu le vieux avec sa gueule en débris ! Et la vieille ils l’entendaient bien à travers la porte… comment qu’elle râlait… Mais ça les effrayait plus…
« Moi, tiens ! qu’il me faisait Dudule, je te jure qu’on sera revenu jeudi !…
— Tu les connais pas mon fiote ! que j’y répliquais… Surtout faites pas vos petits durs !… Ils vous boucleraient pour la vie !… Ils ont des cabanes terribles !… Gafez-vous ! rentrez vos marioles !… Fermez bien vos trappes à tous… » Même la Mésange elle crânouillait : « Ferdinand ! Penses-tu ! Balle-Peau ! C’est pour qu’on voye pas l’enterrement qu’ils nous font trisser !… Tout ça c’est du mou !… On reviendra sûrement pour dimanche !… Quand ça sera fini !… » Moi je voulais bien… Toute la petite fourgue ils l’ont paquetée… Y a eu encore discussion à propos de partage… Ils voulaient tous de « l’élastique »… du gros épais… Ils étaient des as pour les piafs !… Ils ont emmené du laiton, presque deux rouleaux… Et qui pesaient lourd !… Mais il en restait Nom de Dieu ! Tout un coffre dans le hangar !…
Les deux dames accompagnatrices, elles sont arrivées plus tôt qu’on pensait… Un peu des genres de « bonnes sœurs ». Pas de cornettes, mais des robes grises bien montantes, exactement toutes deux semblables, et puis des mitaines… et des drôles de voix trop douces et bien insistantes… Il faisait pas encore nuit…
« Alors voilà mes chers enfants… Il va falloir se presser un peu… qu’elle a dit comme ça la plus mince… J’espère que vous serez bien sages !… Nous allons faire un beau voyage… » Elles les ont rangés deux par deux… Mais Dudule tout seul en avant… C’était bien pour la première fois qu’ils se mettaient en ordre… Elles ont demandé à tous leurs noms…
« Maintenant il faudra plus causer !… Vous êtes des petits enfants très sages !… Comment t’appelles-tu toi mignonne ?…
— Mésange-Petite-Peau !… » qu’elle a répondu. C’était bien exact d’ailleurs que les autres l’appelaient ainsi. Ils étaient encore neuf en tout… Cinq garçons, quatre filles. Le Dudule nous laissait son clebs… Ils en voulaient pas à Versailles… Ils ont rompu un coup les rangs… Ils oubliaient la daronne !… Elle était toujours dans sa grange… Ils y ont été vite l’embrasser… Y a eu forcément un peu de larmes… C’était tout de même pas très marrant comme séparation… vu les circonstances… C’est la Mésange qu’a pleuré le plus…
« Au revoir Ferdinand !… Au revoir Ferdinand ! À bientôt !… » qu’ils me criaient encore de l’autre bout de la cour… les dames elles rassemblaient leur troupe…
« Voyons, mes enfants ! Voyons !… Allons mes petites filles… » Ils me lançaient les derniers appels tout au bout du chemin… « À bientôt pote !… à bientôt !… »
Merde ! Merde ! Moi je me rendais compte… L’âge ça c’est le plein tour de vache… Les enfants, c’est comme les années, on les revoit jamais. Le chien à Dudule on l’a refermé avec la vioque. Ils pleuraient ensemble tous les deux. C’est lui qui gémissait le plus fort. Ce jour-là c’est vrai, je peux bien le dire c’est un des plus moches de ma vie. Merde !
Une fois comme ça les mômes partis le brigadier s’est installé avec ses hommes dans la cuisine. Ils ont vu que j’étais bien peinard, ils me les ont enlevées mes menottes… Le corps était à côté… On avait plus rien à faire puisqu’on attendait que le lendemain l’arrivée du Procureur… Y aurait « Instruction » qu’ils disaient. Ils commentaient ça les Pandores ! Enfin ils nous engueulaient plus. Et puis alors ils avaient faim… Ils ont inspecté les placards… si ils voyaient pas du fricot… Ils cherchaient aussi à se rincer… Mais y avait plus rien comme tutu… On a rallumé du feu… Il pleuvait dans la cheminée… Et puis il a refait très froid. Février c’est le mois le plus petit, c’est aussi le plus méchant !… Le début de l’hiver avait pas été trop dur… maintenant ça se vengeait la saison… Ils causaient de tout ça entre eux les guignols… C’était des paysans dans l’âme… Ils traînaient leurs bottes partout… Je regardais leurs tronches de près… Ils fumaient leurs pipes… Ils étaient autour de notre table… On avait le temps de se contempler… Ils avaient comme une épaisse panne à partir des yeux. Entièrement les joues blindées… et puis encore des bourlaguets tout autour du cou… qui leur remontaient aux esgourdes… Ils étaient fadés en substances, ils étaient plutôt pansus ! surtout un qu’était le double des autres… Il fallait pas leur en promettre ! Leurs bicornes ils faisaient pyramide au milieu de la table, emboîtés en pile… Leurs bottes aussi c’était « ad hoc » pour faire les sept lieues !… Des porte-parapluies !… Quand ils se levaient tous les cinq en traînant leurs sabres ils déclenchaient une quincaille. qu’on a pas idée… Mais ils ont eu de plus en plus soif… Ils ont été chercher du cidre chez les vieux au bout du hameau… Plus tard encore, peut-être vers les huit heures du soir, un autre griffeton est arrivé… Il venait de leur casernement… Il leur apportait du pinard et une petite croûte… cinq gamelles… Il nous restait nous du café. J’ai dit qu’on pouvait leur en faire à condition qu’on nous le laisse moudre. Ils ont bien voulu. La vieille elle est sortie de sa grange. Ils ont été lui ouvrir. L’accès de la colère il était passé. Ça les privait bien ces colosses d’avoir que ça comme pitance ! Une petite gamelle pour chacun !… et la boule pour cinq !… La daronne elle avait du lard, je le savais bien, encore un petit peu en réserve… Et puis des lentilles, dans une planque à elle, des navets, et puis peut-être même encore une demi-livre de margarine…
« Je peux vous faire la soupe ! qu’elle a dit… Maintenant que les mômes sont plus là !… Je peux peut-être vous faire bouffer tous !… » Ils ont accepté très heureux… Ils s’en tapaient sur les cuisses… Mais elle repleurnichait quand même… Nous avions une marmite de taille !… elle tenait au moins quinze gamelles… Un autre pinard est arrivé… Celui-là il venait tout droit de Persant… C’était l’épouse du brigadier qui l’envoyait par un gamin avec une lettre et un journal… On s’est assis à côté d’eux… Forcément on partageait… Ça faisait un peu plus de vingt-quatre heures qu’on avait rien becté nous autres… Les gendarmes ils en redemandaient… On a vidé tout le chaudron… Ils ont causé qu’entre eux d’abord… Ils s’animaient à mesure… Ils ingurgitaient tant et plus… Ils se déboutonnaient franchement… Un des cinq… pas le brigadier… un qu’était déjà tout chauve, il semblait plus curieux que les autres… Il a demandé à la daronne ce qu’il faisait le mort en fait de métier avant de venir à la culture ?… Ça l’intéressait… Elle a essayé de lui répondre, mais elle a pas pu très bien… Elle s’étranglait à chaque parole… Elle se dissolvait en sanglots… Elle mouchait dans son assiette… Elle a éternué dans la poivrière… Tout le monde se marrait finalement… Et puis ça emportait la gueule… elle avait eu la main lourde avec le piment… Oh ! oua ! ouaf !… Il faisait chaud aussi dans la piaule… Le feu tirait à ravir !… Quand le vent était bien placé on aurait brûlé la baraque !… mais si il changeait de direction alors il refoulait dans la tôle !… On étouffait dans la fumée !… C’est toujours comme ça à la campagne…
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