À chaque courrier, sur la table, ça ne cessait pas de rejaillir ! éblouir, caracoler, les solutions mirifiques !… On attendait plus que notre cureton. Il avait promis de revenir le dernier jeudi du mois !… C’était fixé, entendu… On était là solide au poste… Il devait ramener dix mille francs… C’était l’avance sur notre part !… Ça devait nous permettre tout de suite de liquider quelques drapeaux, les plus urgents dans le quartier, de faire revenir notre téléphone ! De faire passer des belles photos dans un « numéro tout spécial » !… Entier consacré à la Cloche !… Déjà, on parlait beaucoup de nous dans les organes de grande presse pour le sauvetage des sous-marins, pas seulement pour pêcher les fabuleux flouzes engloutis… C’était juste l’année qui suivit la catastrophe du Farfadet … L’émotion était encore vive… Nous avions sûrement l’occasion d’une reconnaissance nationale !…
Cependant toutes ces perspectives ne grisaient guère la grosse mignonne !… Elle faisait même plutôt une sale gueule ! Elle voulait le revoir le curé avant de marcher davantage… Elle l’attendait donc ce jeudi avec impatience… Elle me demandait dix fois par heure, si quelquefois je l’apercevais pas ?… au bout des Galeries ?… Et le patron ?… Où qu’il pouvait encore être… ? Il tirait sûrement sa bordée ?… Il était pas dans la cave ?… Non ?… Il était barré depuis le matin… On venait nous le réclamer de partout !… Ça devenait assez inquiétant… Je dis à la vieille : « Attendez-moi ! Je cours jusqu’aux Émeutes »… À peine sur le pas de la porte… Je l’aperçois Monsieur qui flanoche, qui traverse tout doucement le jardin… Il guigne les nourrices… Il s’en fait pas une petite miette… Il sifflote la vache ! Il a des bouteilles plein les bras… Je bondis… Je saute… Je l’aborde…
« Eh bien ! Ferdinand ! Eh bien ! T’as l’air joliment nerveux… Ça brûle chez nous ?… Quelque chose qui ne va pas ?… Il est arrivé ?
— Non ! que je lui fais… Il est pas là !…
— Alors il va venir bientôt !… qu’il me répond bien tranquille… Voilà du Banyuls toujours… et un Amer !… de l’Anisette ! et des biscuits !… Je sais pas ce qu’il aime ce cureton !… Un curé qu’est-ce que ça picole ?… De tout, je l’espère !… » Il voulait qu’on fête la chose… « Je crois sincèrement, Ferdinand ! que nous avançons désormais sur une Royale Route… Ah ! oui ! ça s’annonce… Ça se dessine !… Ah ! Je regardais les plans ce matin !… Encore un de ces arrivages ! Un torrent d’idées, mon colon !… Une fois passée l’avalanche… moi ! Je vais alors faire un de ces tris !… De tout ce qui peut prendre une tournure… De tout ce qui doit être oublié… C’est pas lui qui peut faire ça… Moi je veux qu’il me laisse carte blanche ! Pas d’empirisme !… Des connaissances ! Ça va se discuter dès tantôt !… Et puis, tu comprends, c’est pas tout ! Et le répondant ? Je peux pas m’engager à lure-lure ! Ah ! non ! Ça serait trop commode ! C’est plus de mon âge ! Ah ! mais non !… Un compte en banque ! D’abord ! Avant tout !… Et deux cents billets sur la table ! Signatures conjointes ! Lui et moi ! Je convoque les constructeurs !… On s’engage !… On peut causer !… On sait ce qu’on dit !… Nous ne sommes plus tout de même des puceaux ! » Un petit doute cependant l’effleure…
« Tu crois que tout ça va lui plaire ?…
— Ah !… que je fais… Je suis bien tranquille… » J’en étais absolument sûr.
Ainsi, tout en bavardant, nous nous rapprochons du journal… On attend encore un peu… Toujours aucun curé en vue ! Ça devenait quand même assez tarte !… Mme des Pereires, fort nerveuse, essayait de remettre un peu d’ordre… Que ça ait pas l’air trop étable… Déjà que c’était normalement une terrible pétaudière, alors depuis cette cohue, y avait plus un sifflet d’espace !… Un fumier énorme !… Un cochon retrouvait pas ses petits… Une litière en pleine éruption… absolument écœurante… du plancher jusqu’au deuxième… papelards fendus, bouquins crevassés, manuels pourris, manuscrits, mémoires, tout ça rendu en serpentins… nuées de confetti voltigeurs… Tous les encartages dépiautés, en vrac, en mélasse… Ils avaient même, ces voyous, embarqué toutes nos belles statues !… Décapité le Flammarion ! Sur l’Hippocrate plaqué en buvard des belles bacchantes toutes violettes… On a extirpé du tumulte avec un mal invraisemblable, trois chaises, la table et le grand fauteuil. On a chassé les clients… On a dégagé un espace pour recevoir le saint homme…
À cinq heures et demie tapant, en retard de seulement trente minutes… le voilà là-bas, qui s’annonce… Je l’aperçois, moi, qui traverse par la Galerie d’Orléans… Il était porteur d’une serviette, une noire extrêmement bourrée… Il entre… On le salue. Il pose son fardeau sur la table… Tout va bien ! Il s’éponge… Il avait dû marcher très vite… Il cherchait son souffle… La conversation débute… C’est Courtial qui mène le train… La vieille, elle, monte à l’Alcazar… elle en redescend quelques dossiers, les plus remarquables !… Y en a déjà un vrai petit choix ! Elle pose le tout près de la serviette. Il sourit agréablement… Il a l’air assez satisfait… Il feuillette comme ça d’un doigt vague… Il pique au hasard… Il semble pas très résolu… Nous attendons, nous ne bougeons pas… qu’il veuille bien faire ses réflexions… Nous respirons très prudemment… Il trifouille encore quelques pages… et puis il plisse toute sa figure !… C’est un tic !… Encore un autre ! Une saccade vraiment hideuse ! Mais c’est la crise !… Comme une vraie transe qui le saisit… Il rejette alors toute cette paperasse… Il balance tout dans la vitrine… Et puis il s’attrape la tétère… Il se la tripote à deux mains. Il se la malaxe, il se la trifouille… Il se pince, il se pétrit tout le menton… et les joues, le gras, les plis, le nez aussi, les oreilles… C’est une satanée convulsion !… Il se rabote les châsses, il se relaboure le cuir chevelu… Et puis brutalement il s’incline… D’un coup il se baisse, le voilà par terre… Il replonge toute la tête dans les papiers… Il renifle toute la masse… Il grogne, il souffle extrêmement fort… Il en étreint une grande brassée et puis… Wouaff !… Il lance tout en l’air !… Il envoie tout dans le plafond… Ça pleut les papelards, les dossiers, les plans, les brochures… On en a partout… On se voit plus… Une fois… deux fois… il recommence ! Toujours poussant des hurlements ! des joyeux !… Il est jubileur ! il gigote… il fouille encore… Les gens s’attroupent devant notre porte… Il retourne toute sa serviette… Il en tire des autres journaux, rien que des coupures, des brasses entières… Il éparpille aussi tout ça… Parmi, je vois bien… y a du biffeton !… J’ai repéré dans la paperasse !… Je les vois qui s’envolent… Je vais piquer les ramasser… Je sais comment faire… Mais voilà deux costauds qui chargent… À coups d’épaule ils branlent la porte… Ils écartent… Ils bousculent la foule. Ils passent. Ils sautent sur le curé. Ils le ceinturent, ils l’écrabouillent, ils le renversent, le bloquent à terre… Ah ! il étrangle la pauvre vache ! Il va râler sous la table… « Police ! » qu’ils nous font à nous… Ils l’extirpent par les nougats… Ils s’assoient sur le malheureux…
« Vous le connaissez depuis longtemps ? » qu’ils nous demandent alors…
C’est des Inspecteurs… Le plus hargneux, il nous sort sa carte… On répond vite qu’on y est pour rien !… Absolument ! Le cureton, il gigote toujours… Il se débat la pauvre tranche… Il trouve moyen de se remettre à genoux… Il pleurniche… Il nous implore… « Pardon !… Pardon !… qu’il nous demande… C’était pour mes petits pauvres… Pour mes aveugles… Pour mes petits sourds et muets… » Il supplie qu’on le laisse quêter…
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