On a bouclé la cambuse… On a étalé le parchemin entre nos deux chaises et la table… C’était une œuvre mirifique cette « Carte aux Trésors »… Ça donnait vraiment du vertige… rien qu’en jetant dessus un coup d’œil… Surtout si l’on considère le moment où il survenait ce drôle de Jésus !… après des temps si difficiles ! Il nous bluffait pas le cureton !… C’était bien exact sur sa carte tous les flouzes planqués dans la flotte… C’était pas niable ! Et près des côtes… avec les relevés « longitudes »… On pouvait bien se figurer que si on la trouvait la cloche pour descendre rien qu’à 600 mètres, ça deviendrait du vrai nougat ! On était tranquille comme Baptiste… Nous possédions à la cuiller tous les trésors de l’ Armada !… Y avait qu’à se baisser pour les prendre… C’était tout à fait le cas de le dire… Rien qu’à trois milles marins de Lisbonne à travers l’embouchure du Tage… gîtait une planque colossale !… Et là, c’était vraiment commode, une entreprise pour débutants !… Si on se payait un peu d’audace, qu’on force un peu la technique… Alors ça prenait d’autres tournures !… On pouvait prétendre raide comme balle remonter tout à la surface le trésor du « Saar Ozimput » englouti dans le Golfe Persique deux mille ans avant Jésus-Christ… Plusieurs coulées de gemmes uniques ! Des parures ! Des émeraudes d’une magnificence incroyable !… un petit milliard au bas mot… Le lieu précis de ce naufrage, le curé l’avait sur sa carte pointé très exactement… Cent fois, d’autre part, maints sondages, pratiqués au cours des siècles, avaient relevé la position… Pas d’erreur possible !… Ça n’était plus, tous frais à part, qu’un petit problème de chalumeaux… de « fraises oxhydriques »… Une mise au point… Quand même un petit aléa pour pomper les trésors du « Saar »… Nous réfléchîmes tout un jour… Et d’autres minimes « inconnues » dans la législation persane nous firent un instant tiquer… Et puis nous tenions d’autres blots, ceux-là entièrement sous la main, sucrés, parfaitement accessibles… dans des mers les plus clémentes !… absolument libres de requins ! Il fallait penser aux plongeurs ! Fuyons ! Fuyons les tragédies…
Tous les fonds du globe, en somme, regorgeaient de coffres inviolés, de galiotes farcies de diamants… Peu de détroits, peu de criques, de golfes, de rades ou d’embouchures qui ne recelassent sur la carte quelque pharamineux butin !… très facilement renflouable à partir de quelques cents mètres !… Tous les trésors de Golconde ! Galères ! Frégates ! Caravelles ! Bisquines ! pleines à craquer de rubis et Koh-I-Nors ! de doublons « triples effigies »… Les côtes spécialement du Mexique paraissaient à ce propos positivement indécentes !… Les conquistadores les avaient semble-t-il pour notre gouverne littéralement remblayées, perdues avec leurs lingots et les pierres précieuses… Si on insistait réellement et à partir de 1200 mètres… les diamants devenaient pour rien !… Par exemple au large des Açores, pour ne citer que ce cas-là… un vapeur du siècle dernier, le Black Stranger , un cargo mixte, un courrier du Transvaal en contenait pour plus d’un milliard… lui tout seul (d’après les plus prudents experts…). Il gîtait sur un fond de roches à 1 382 mètres et en « porte-à-faux » !… Déjà crevé par le mitan… Y avait plus qu’à fouiller les tôles !…
Notre curé en connaissait d’autres, un choix stupéfiant… Toutes les épaves récupérables… et toutes faciles à vider… Plusieurs centaines à vrai dire… Il en avait criblé sa carte de trous pour les prospections… Ça figurait les endroits des sauvetages les plus urgents… au dixième de millimètre… Ils étaient en noir, vert ou rouge suivant l’importance du trésor… Avec des petites croix…
C’était plus que des questions de technique ! d’astuce ! d’à-propos !… À nous de démontrer nos talents !… Ça n’a pas traîné, Ventredieu !… Des Pereires, comme ça, dans la fièvre, pour pas laisser rien refroidir… saisissant sa plume, une rame, la règle, la gomme, le buvard, il a rédigé devant nous, s’accompagnant à haute voix, une véritable proclamation !… C’était vibrant !… C’était sincère !… Et puis en même temps minutieux et probe !… Voilà comment qu’il travaillait !… Il a situé tout le problème au poil !… en moins de cinq minutes ! dans l’inspiration ! C’était un boulot de première !… « Faut pas remettre les choses au lendemain !… Il faut que cet article sorte tout de suite… ça fera un numéro spécial !… » Voilà comment il ordonnait… Le curé il était heureux ! Il jubilait… Il pouvait plus causer du tout…
Je ne fis qu’un bond rue Rambuteau… J’emmène tout le pèze dans ma poche… Je laisse seulement cinquante francs pour la grosse mignonne… Merde !… Je m’étais donné assez de mal !… je les aurais laissés dans la caisse, sûrement jamais je les aurais revus !… Le vieux il en faisait une gueule !… Il devait des avances à Naguère… Il avait déjà fait sa mise !… Tout ça c’était plus fort que lui… Mais ça devenait bien préférable que je reste moi le trésorier !… Ça risquait infiniment moins !… On dépenserait que peu à peu… et pas du tout sur les « gayes »… Ah ! j’en étais sûr !… C’est moi qui réglerais les notes… Taponier d’abord, premier privilège ! son « numéro spécial » !… Il vivait plus cet imprimeur… Quand il a regardé mes « espèces », il en croyait par ses deux châsses !… Il les a bien visées quand même !… et par transparence !… Du liquide ! Il était groggy complètement !… Il savait plus quoi me répondre… Je lui ai réglé six cents francs pour les dettes en retard, et puis encore deux cents autres pour le « numéro » et pour le tam-tam du concours !… Là il s’est alors dépêché… Deux jours après on les a reçus les exemplaires… Expédiés, bandés, collés, timbrés, tout !… Je les ai portés à la grande poste en voiture à bras avec Courtial et Madame !…
Le curé, au moment de sortir, on le lui a bien demandé qu’il nous inscrive son adresse, son nom, sa rue, etc… mais il avait nettement refusé !… Il voulait rester anonyme !… Ça nous intriguait… Evidemment qu’il était drôle ! Mais beaucoup moins que tant des autres… C’était un homme corpulent, il avait extrêmement bonne mine, et propre et rasé, à peu près le même âge à Courtial… mais complètement chauve… Il explosait en bégayant dans les poussées de l’enthousiasme !… Il tenait plus alors sur son siège tellement qu’il se trémoussait !… On l’avait trouvé bien optimiste… Certainement bizarre… Mais enfin, ce qu’il avait prouvé, c’est qu’il avait bien du pognon !… C’était le vrai commanditaire !… C’était le premier nous qu’on voyait… Il pouvait être un peu étrange…
En revenant tous trois de la Grande Poste, on a passé juste devant le « quart » avec la bagnole, rue des Bons-Enfants… Je fais au vieux : « Arrêtez minute !… Chiche que je l’avertis !… Je vais lui dire que tout va bien ! » Une idée de merdeux qui me traverse d’aller crâner avec le flouze… d’y dire qu’on était plein de pognon !… Je bondis donc, je pousse leur pote… Ils me reconnaissent les poulets :
— Alors, Zigomar ?… qu’il me demande celui du pupitre… Quoi tu viens foutre ?… Tu veux faire un tour au local ?…
— Non, que je lui dis… Non, Monsieur !… C’est pas pour moi la cabane ! Je venais simplement en passant vous montrer un petit numéraire… » Et je lui sors mes quatre fafiots… Je les agite devant ses yeux… « Voilà que je fais… Et pas volé !… Je viens vous prévenir tout simplement que c’est encore pour un concours… “ La Cloche à plongeur ! ”…
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