– Il n’en est rien cependant, répondit le docteur; les uns cherchent l’or, les autres la vérité, les deux choses les plus précieuses du monde.
– Apportez la corde à nœuds, cria Argyropoulos à ses Arabes; nous allons explorer et sonder les parois du puits, car l’excavation doit se prolonger bien au-delà.» Huit ou dix hommes, pour faire contrepoids, s’attelèrent à une extrémité de la corde, dont on laissa l’autre bout plonger dans le puits.
Avec l’agilité d’un singe ou d’un gymnaste de profession, Argyropoulos se suspendit au cordeau flottant et se laissa couler à une quinzaine de pieds environ, se tenant des mains aux nœuds et battant les parois du puits des talons.
Le roc ausculté rendit partout un son mat et plein; alors Argyropoulos se laissa couler au fond du puits, frappant le sol du pommeau de son kandjar, mais la roche compacte ne résonnait pas.
Evandale et Rumphius, enfiévrés par une curiosité anxieuse, se penchaient sur le bord du puits, au risque de s’y précipiter la tête la première, et suivaient avec un intérêt passionné les recherches du Grec.
«Tenez ferme là-haut», cria enfin le Grec, lassé de l’inutilité de sa perquisition, et il empoigna la corde à deux mains pour remonter.
L’ombre d’Argyropoulos, éclairé en dessous par la torche qui continuait à brûler au fond du puits, se projetait au plafond et y dessinait comme la silhouette d’un oiseau difforme.
La figure basanée du Grec exprimait un vif désappointement, et il se mordait la lèvre sous sa moustache.
«Pas l’apparence du moindre passage! s’écria-t-il, et pourtant l’excavation ne saurait s’arrêter là.
– A moins pourtant, dit Rumphius, que l’Égyptien qui s’était commandé ce tombeau ne soit mort dans quelque morne lointain, en voyage ou en guerre, et qu’on n’ait abandonné les travaux, ce qui n’est pas sans exemple.
– Espérons qu’à force de chercher nous rencontrerons quelque issue sécrète, continua Lord Evandale: sinon, nous essaierons de pousser une galerie transversale à travers la montagne.
– Ces damnés Égyptiens étaient si rusés pour cacher l’entrée de leurs terriers funèbres! ils ne savaient que s’imaginer afin de désorienter le pauvre monde, et on dirait qu’ils riaient par avance de la mine décontenancée des fouilleurs», marmottait Argyropoulos.
S’avançant sur le bord du gouffre, le Grec sonda de son regard perçant comme celui d’un oiseau nocturne les murs de la petite chambre qui formait la partie supérieure du puits.
Il ne vit rien que les personnages ordinaires de la psychostasie, le juge Osiris assis sur son trône, dans la pose consacrée, tenant le pedum d’une main et le fouet de l’autre, et les déesses de la Justice et de la Vérité amenant l’esprit du défunt devant le tribunal de l’Amenti.
Tout à coup il parut illuminé d’une idée subite et fit volte-face: sa vieille expérience d’entrepreneur de fouilles lui rappela un cas à peu près semblable, et d’ailleurs le désir de gagner les mille guinées du lord surexcitait ses facultés; il prit un pic des mains d’un fellah et se mit, en rétrogradant, à heurter rudement à droite et à gauche les surfaces du rocher, au risque de marteler quelques hiéroglyphes et de casser le bec ou l’élytre d’un épervier ou d’un scarabée sacré.
Le mur interrogé finit par répondre aux questions du marteau et sonna creux.
Une exclamation de triomphe s’échappa de la poitrine du Grec et son œil étincela.
Le savant et le lord battirent des mains.
«Piochez là», dit à ses hommes Argyropoulos qui avait repris son sang-froid.
On eut bientôt pratiqué une brèche suffisante pour laisser passer un homme. Une galerie, qui contournait dans l’intérieur de la montagne l’obstacle du puits opposé aux profanateurs, conduisait à une salle carrée dont le plafond bleu posait sur quatre piliers massifs enluminés de ces figures à peau rouge et à pagne blanc, qui présentent si souvent dans les fresques égyptiennes leur buste de face et leur tête de profil.
Cette salle débouchait dans une autre un peu plus haute de plafond et soutenue seulement par deux piliers. Des scènes variées, la bari mystique, le taureau Apis emportant la momie vers les régions de l’Occident, le jugement de l’âme et le pesage des actions du mort dans la balance suprême, les offrandes faites aux divinités funéraires ornaient les piliers et la salle.
Toutes ces figurations étaient tracées en bas-relief méplat dans un trait fermement creusé, mais le pinceau du peintre n’avait pas achevé et complété l’œuvre du ciseau. Au soin et à la délicatesse du travail, on pouvait juger de l’importance du personnage dont on avait cherché à dérober le tombeau à la connaissance des hommes.
Après quelques minutes données à l’examen de ces incises, dessinées avec toute la pureté du beau style égyptien à son époque classique, on s’aperçut que la salle n’avait pas d’issue et qu’on avait abouti à une sorte de caecum. L’air se raréfiait; les torches brûlaient avec peine dans une atmosphère dont elles augmentaient encore la chaleur, et leurs fumées se remployaient en nuages; le Grec se donnait à tous les diables, comme si le cadeau n’était pas fait et accepté depuis longtemps: mais cela ne remédiait à rien. On sonda de nouveau les murs sans aucun résultat; la montagne, pleine, épaisse, compacte, ne rendait partout qu’un son mat: aucune apparence de porte, de couloir ou d’ouverture quelconque!
Le lord était visiblement découragé, et le savant laissait pendre flasquement ses bras maigres le long de son corps.
Argyropoulos, qui craignait pour ses vingt-cinq mille francs, manifestait le désespoir le plus farouche. Cependant il fallait rétrograder, car la chaleur devenait véritablement étouffante.
La troupe repassa dans la première salle, et là, le Grec, qui ne pouvait se résigner à voir s’en aller en fumée son rêve d’or, examina avec la plus minutieuse attention le fût des piliers pour s’assurer s’ils ne cachaient pas quelque artifice, s’ils ne masquaient pas quelque trappe qu’on découvrirait en les déplaçant: car, dans son désespoir, il mêlait la réalité de l’architecture égyptienne aux chimériques bâtisses des contes arabes.
Les piliers, pris dans la masse même de la montagne, au milieu de la salle évidée, ne faisaient qu’un avec elle, et il aurait fallu employer la mine pour les ébranler.
Tout espoir était perdu!
«Cependant, dit Rumphius on ne s’est pas amusé à creuser ce dédale pour rien. Il doit y avoir quelque part un passage pareil à celui qui contourne le puits. Sans doute le défunt a peur d’être dérangé par les importuns, et il se fait celer; mais avec de l’insistance on entre partout. Peut-être une dalle habilement dissimulée, et dont la poudre répandue sur le sol empêche de voir le joint, recouvre-t-elle une descente qui mène, directement ou indirectement, à la salle funèbre.
– Vous avez raison, cher docteur, fit Evandale; ces damnés Égyptiens joignent les pierres comme les charnières d’une trappe anglaise: cherchons encore.» L’idée du savant avait paru judicieuse au Grec, qui se promena et fit se promener ses fellahs en frappant du talon dans tous les coins et recoins de la salle.
Enfin, non loin du troisième pilier, une sourde résonance attira l’oreille exercée du Grec, qui se précipita à genoux pour examiner la place, balayant avec la guenille de burnous qu’un de ses Arabes lui avait jetée l’impalpable poussière tamisée par trente-cinq siècles dans l’ombre et le silence; une ligne noire, mince et nette comme le trait tracé à la règle sur un plan d’architecte, se dessina, et, suivie minutieusement, découpa sur le sol une dalle de forme oblongue.
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