– Pour moi, mademoiselle? dit le roi en souriant. Je ne vous comprends pas.
– Votre Majesté a-t-elle donc déjà oublié ce qui s’est passé hier au soir chez Son Altesse Royale?
– Oh! oublions cela, je vous prie, ou plutôt permettez-moi de ne me souvenir que pour vous remercier encore une fois de votre lettre, et…
– Sire, interrompit La Vallière, voilà l’eau qui tombe, et Votre Majesté demeure tête nue.
– Je vous en prie, ne nous occupons que de vous, mademoiselle.
– Oh! moi, dit La Vallière en souriant, moi, je suis une paysanne habituée à courir par les prés de la Loire, et par les jardins de Blois, quelque temps qu’il fasse. Et, quant à mes habits, ajouta-t-elle en regardant sa simple toilette de mousseline, Votre Majesté voit qu’ils n’ont pas grand-chose à risquer.
– En effet, mademoiselle, j’ai déjà remarqué plus d’une fois que vous deviez à peu près tout à vous-même et rien à la toilette. Vous n’êtes point coquette, et c’est pour moi une grande qualité.
– Sire, ne me faites pas meilleure que je ne suis, et dites seulement: Vous ne pouvez pas être coquette.
– Pourquoi cela?
– Mais, dit en souriant La Vallière, parce que je ne suis pas riche.
– Alors vous avouez que vous aimez les belles choses s’écria vivement le roi.
– Sire, je ne trouve belles que les choses auxquelles je puis atteindre. Tout ce qui est trop haut pour moi…
– Vous est indifférent?
– M’est étranger comme m’étant défendu.
– Et moi, mademoiselle, dit le roi, je ne trouve point que vous soyez à ma Cour sur le pied où vous devriez y être. On ne m’a certainement point assez parlé des services de votre famille. La fortune de votre maison a été cruellement négligée par mon oncle.
– Oh! non pas, Sire. Son Altesse Royale Mgr le duc d’Orléans a toujours été parfaitement bon pour M. de Saint-Remy, mon beau-père. Les services étaient humbles, et l’on peut dire que nous avons été payés selon nos œuvres. Tout le monde n’a pas le bonheur de trouver des occasions de servir son roi avec éclat. Certes, je ne doute pas que, si les occasions se fussent rencontrées, ma famille n’eût eu le cœur aussi grand que son désir, mais nous n’avons pas eu ce bonheur.
– Eh bien! mademoiselle, c’est aux rois à corriger le hasard, et je me charge bien joyeusement de réparer, au plus vite à votre égard, les torts de la fortune.
– Non, Sire, s’écria vivement La Vallière, vous laisserez, s’il vous plaît, les choses en l’état où elles sont.
– Quoi! mademoiselle, vous refusez ce que je dois, ce que je veux faire pour vous?
– On a fait tout ce que je désirais, Sire, lorsqu’on m’a accordé cet honneur de faire partie de la maison de Madame.
– Mais, si vous refusez pour vous, acceptez au moins pour les vôtres.
– Sire, votre intention si généreuse m’éblouit et m’effraie, car, en faisant pour ma maison ce que votre bonté vous pousse à faire, Votre Majesté nous créera des envieux, et à elle des ennemis. Laissez-moi, Sire, dans ma médiocrité; laissez à tous les sentiments que je puis ressentir la joyeuse délicatesse du désintéressement.
– Oh! voilà un langage bien admirable, dit le roi.
– C’est vrai, murmura Aramis à l’oreille de Fouquet, et il n’y doit pas être habitué.
– Mais, répondit Fouquet, si elle fait une pareille réponse à mon billet?
– Bon! dit Aramis, ne préjugeons pas et attendons la fin.
– Et puis, cher monsieur d’Herblay, ajouta le surintendant, peu payé pour croire à tous les sentiments que venait d’exprimer La Vallière, c’est un habile calcul souvent que de paraître désintéressé avec les rois.
– C’est justement ce que je pensais à la minute, dit Aramis. Écoutons.
Le roi se rapprocha de La Vallière, et, comme l’eau filtrait de plus en plus à travers le feuillage du chêne, il tint son chapeau suspendu au-dessus de la tête de la jeune fille.
La jeune fille leva ses beaux yeux bleus vers ce chapeau royal qui l’abritait et secoua la tête en poussant un soupir.
– Oh! mon Dieu, dit le roi, quelle triste pensée peut donc parvenir jusqu’à votre cœur quand je lui fais un rempart du mien?
– Sire, je vais vous le dire. J’avais déjà abordé cette question, si difficile à discuter par une jeune fille de mon âge, mais Votre Majesté m’a imposé silence. Sire, Votre Majesté ne s’appartient pas; Sire, Votre Majesté est mariée; tout sentiment qui écarterait Votre Majesté de la reine, en portant Votre Majesté à s’occuper de moi, serait pour la reine la source d’un profond chagrin.
Le roi essaya d’interrompre la jeune fille, mais elle continua avec un geste suppliant:
– La reine aime Votre Majesté avec une tendresse qui se comprend, la reine suit des yeux Votre Majesté à chaque pas qui l’écarte d’elle. Ayant eu le bonheur de rencontrer un tel époux, elle demande au Ciel avec des larmes de lui en conserver la possession, et elle est jalouse du moindre mouvement de votre cœur.
Le roi voulut parler encore, mais cette fois encore La Vallière osa l’arrêter.
– Ne serait-ce pas une bien coupable action, lui dit-elle, si, voyant une tendresse si vive et si noble, Votre Majesté donnait à la reine un sujet de jalousie? oh! pardonnez-moi ce mot, Sire. Oh! mon Dieu! je sais bien qu’il est impossible, ou plutôt qu’il devrait être impossible que la plus grande reine du monde fût jalouse d’une pauvre fille comme moi. Mais elle est femme, cette reine, et, comme celui d’une simple femme, son cœur peut s’ouvrir à des soupçons que les méchants envenimeraient. Au nom du Ciel! Sire, ne vous occupez donc pas de moi, je ne le mérite pas.
– Oh! mademoiselle, s’écria le roi, vous ne songez donc point qu’en parlant comme vous le faites vous changez mon estime en admiration.
– Sire, vous prenez mes paroles pour ce qu’elles ne sont point; vous me voyez meilleure que je ne suis; vous me faites plus grande que Dieu ne m’a faite. Grâce pour moi, Sire! car, si je ne savais le roi le plus généreux homme de son royaume, je croirais que le roi veut se railler de moi.
– Oh! certes! vous ne craignez pas une pareille chose, j’en suis bien certain, s’écria Louis.
– Sire, je serais forcée de le croire si le roi continuait à me tenir un pareil langage.
– Je suis donc un bien malheureux prince, dit le roi avec une tristesse qui n’avait rien d’affecté, le plus malheureux prince de la chrétienté, puisque je n’ai pas pouvoir de donner créance à mes paroles devant la personne que j’aime le plus au monde et qui me brise le cœur en refusant de croire à mon amour.
– Oh! Sire, dit La Vallière, écartant doucement le roi, qui s’était de plus en plus rapproché d’elle, voilà, je crois, l’orage qui se calme et la pluie qui cesse.
Mais, au moment même où la pauvre enfant, pour fuir son pauvre cœur, trop d’accord sans doute avec celui du roi, prononçait ces paroles, l’orage se chargeait de lui donner un démenti; un éclair bleuâtre illumina la forêt d’un reflet fantastique, et un coup de tonnerre pareil à une décharge d’artillerie éclata sur la tête des deux jeunes gens, comme si la hauteur du chêne qui les abritait eût provoqué le tonnerre.
La jeune fille ne put retenir un cri d’effroi.
Le roi d’une main la rapprocha de son cœur et étendit l’autre au-dessus de sa tête comme pour la garantir de la foudre.
Il y eut un moment de silence où ce groupe, charmant comme tout ce qui est jeune et aimé, demeura immobile, tandis que Fouquet et Aramis le contemplaient, non moins immobiles que La Vallière et le roi.
– Oh! Sire! Sire! murmura La Vallière, entendez-vous?
Читать дальше