En se retournant, Livarot heurta un second cadavre.
– Monsoreau! cria-t-il.
– Quoi, Monsoreau aussi?
– Oui, Monsoreau percé comme un crible, et qui a eu la tête brisée sur le pavé.
– Ah ça, mais on a donc assassiné tous nos amis, cette nuit!
– Et sa femme, sa femme! cria Antraguet; Diane, madame Diane!
Personne ne répondit, excepté la populace, qui commençait à fourmiller autour de la maison.
C'est en ce moment que le roi et Chicot arrivaient à la hauteur de la rue Sainte-Catherine, et se détournaient pour éviter le rassemblement.
– Bussy! pauvre Bussy! s'écriait Ribérac désespéré.
– Oui, dit Antraguet, on a voulu se défaire du plus terrible de nous tous.
– C'est une lâcheté! c'est une infamie! crièrent les deux autres jeunes gens.
– Allons nous plaindre au duc! cria l'un d'eux.
– Non pas, dit Antraguet, ne chargeons personne du soin de notre vengeance; nous serions mal vengés, ami; attends-moi.
En une seconde il descendit, et rejoignit Livarot et Ribérac.
– Mes amis, dit-il, regardez cette noble figure du plus brave des hommes, voyez les gouttes encore vermeilles de son sang; celui-là nous donne l'exemple; celui-là ne chargeait personne du soin de le venger… Bussy! Bussy! nous ferons comme toi; et, sois tranquille, nous nous vengerons!
En disant ces mots, il se découvrit, posa ses lèvres sur les lèvres de Bussy; et, tirant son épée, il la trempa dans son sang.
– Bussy, dit-il, je jure sur ton cadavre que ce sang sera lavé dans le sang de tes ennemis!
– Bussy, dirent les autres, nous jurons de tuer ou de mourir!
– Messieurs, dit Antraguet, remettant son épée au fourreau, pas de merci, pas de miséricorde, n'est-ce pas?
Les deux jeunes gens étendirent la main sur le cadavre:
– Pas de merci, pas de miséricorde! répétèrent-ils.
– Mais, dit Livarot, nous ne serons plus que trois contre quatre.
– Oui, mais nous n'aurons assassiné personne, nous, dit Antraguet; et Dieu fera forts ceux qui sont innocents. Adieu, Bussy!
– Adieu, Bussy! répétèrent les deux autres compagnons.
Et ils sortirent, l'effroi dans l'âme et la pâleur au front, de cette maison maudite.
Ils y avaient trouvé, avec l'image de la mort, ce désespoir profond qui centuple les forces; ils y avaient recueilli cette indignation généreuse qui rend l'homme supérieur à son essence mortelle.
Ils percèrent avec peine la foule, tant, en un quart d'heure, la foule était devenue considérable.
En arrivant sur le terrain, ils trouvèrent leurs ennemis qui les attendaient, les uns assis sur des pierres, les autres pittoresquement campés sur les barrières de bois.
Ils firent les derniers pas en courant, honteux d'arriver les derniers.
Les quatre mignons avaient avec eux quatre écuyers.
Leurs quatre épées, posées à terre, semblaient attendre et se reposer comme eux.
– Messieurs, dit Quélus en se levant et en saluant avec une espèce de morgue hautaine, nous avons eu l'honneur de vous attendre.
– Excusez-nous, messieurs, dit Antraguet; mais nous fussions arrivés avant vous, sans le retard d'un de nos compagnons.
– M. de Bussy? fit d'Épernon; effectivement, je ne le vois pas. Il paraît qu'il se fait tirer l'oreille, ce matin.
– Nous avons bien attendu jusqu'à présent, dit Schomberg; nous attendrons bien encore.
– M. de Bussy ne viendra pas, répondit Antraguet.
Une stupeur profonde se peignit sur tous les visages; celui de d'Épernon seul exprima un autre sentiment.
– Il ne viendra pas! dit-il; ah! ah! le brave des braves a donc peur?
– Ce ne peut être pour cela, reprit Quélus.
– Vous avez raison, monsieur, dit Livarot.
– Et pourquoi ne viendra-t-il pas? demanda Maugiron.
– Parce qu'il est mort! répliqua Antraguet.
– Mort! s'écrièrent les mignons.
D'Épernon ne dit rien, et pâlit même légèrement.
– Et mort assassiné! reprit Antraguet. Ne le savez-vous pas, messieurs?
– Non, dit Quélus. Et pourquoi le saurions-nous?
– D'ailleurs, est-ce sûr? demanda d'Épernon.
Antraguet tira sa rapière.
– Si sûr, dit-il, que voilà de son sang sur mon épée.
– Assassiné! s'écrièrent les trois amis du roi. M. de Bussy assassiné!
D'Épernon continuait de secouer la tête d'un air de doute.
– Ce sang crie vengeance! dit Ribérac; ne l'entendez-vous pas, messieurs?
– Ah çà! reprit Schomberg, on dirait que votre douleur a un sens.
– Pardieu! fit Antraguet.
– Qu'est-ce à dire? s'écria Quélus.
– Cherche à qui le crime profite , dit le légiste, murmura Livarot.
– Ah ça, messieurs, vous expliquerez-vous haut et clair? dit Maugiron d'une voix tonnante.
– Nous venons justement pour cela, messieurs, dit Ribérac, et nous avons plus de sujets qu'il n'en faut pour nous égorger cent fois.
– Alors, vite l'épée à la main, dit d'Épernon en tirant son arme du fourreau; et faisons vite.
– Oh! oh! vous êtes bien pressé, monsieur le Gascon, dit Livarot; vous ne chantiez pas si haut quand nous étions quatre contre quatre.
– Est-ce notre faute, si vous n'êtes plus que trois? répondit d'Épernon.
– Oui, c'est votre faute! s'écria Antraguet; il est mort parce qu'on l'aimait mieux couché dans la tombe que debout sur le terrain; il est mort le poing coupé, pour que son poing ne pût plus soutenir son épée; il est mort parce qu'il fallait à tout prix éteindre ses yeux, dont l'éclair vous eût ébloui tous quatre. Comprenez-vous? suis-je clair?
Schomberg, Maugiron et d'Épernon hurlaient de rage.
– Assez, assez, messieurs! dit Quélus. Retirez-vous, monsieur d'Épernon; nous nous battrons trois contre trois; ces messieurs verront alors si, malgré notre droit, nous sommes gens à profiter d'un malheur que nous déplorons comme eux. Venez, messieurs, venez, ajouta le jeune homme en jetant son chapeau en arrière et en levant la main gauche, tandis que de la droite il faisait siffler son épée; venez, et, en nous voyant combattre à ciel ouvert et sous le regard de Dieu, vous pourrez juger si nous sommes des assassins. Allons, de l'espace! de l'espace!
– Ah! je vous haïssais, dit Schomberg, maintenant je vous exècre!
– Et moi, dit Antraguet, il y a une heure je vous eusse tué, maintenant je vous égorgerais. En garde, messieurs, en garde!
– Avec nos pourpoints ou sans pourpoints? demanda Schomberg.
– Sans pourpoint, sans chemise, dit Antraguet; la poitrine à nu, le cœur à découvert.
Les jeunes gens jetèrent leurs pourpoints et arrachèrent leurs chemises.
– Tiens, dit Quélus en se dévêtant, j'ai perdu ma dague. Elle tenait mal au fourreau, et sera tombée en route.
– Ou vous l'aurez laissée chez M. de Monsoreau, place de la Bastille, dit Antraguet, dans quelque fourreau dont vous n'aurez pas osé la retirer.
Quélus poussa un hurlement de rage, et tomba en garde.
– Mais il n'a pas de dague, monsieur Antraguet, il n'a pas de dague! cria Chicot, qui arrivait en ce moment sur le champ de bataille.
– Tant pis pour lui, dit Antraguet; ce n'est point ma faute.
Et, tirant sa dague de la main gauche, il tomba en garde de son côté.
Le terrain sur lequel allait avoir lieu cette terrible rencontre était ombragé d'arbres, ainsi que nous l'avons vu, et situé à l'écart.
Il n'était fréquenté d'ordinaire que par les enfants, qui venaient y jouer le jour, ou les ivrognes et les voleurs, qui venaient y dormir la nuit.
Les barrières, dressées par les marchands de chevaux, écartaient naturellement la foule, qui, semblable aux flots d'une rivière, suit toujours un courant, et ne s'arrête ou ne revient qu'attirée par quelque remous.
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