– Nous allons en voir de belles, dit le sergent du ton capable d’un homme qui en sait plus qu’il n’en dit.
– Comment? comment?
– Il ne faut pas débrider, même pour un instant… car, qui sait? d’un moment à l’autre on peut avoir besoin de nous.
– Ah! est-ce qu’on va se battre? dit le trompette. Et contre qui, s’il vous plaît?
– Contre qui? dit le sergent, répétant la question pour se donner le temps de réfléchir. Parbleu! belle demande! Contre qui veux-tu qu’on se batte, sinon contre les ennemis du roi?
– Oui, mais qu’est-ce que ces ennemis du roi? continua l’opiniâtre questionneur.
– Les ennemis du roi! il ne sait pas qui sont les ennemis du roi!
Et il haussa les épaules de pitié.
– C’est l’Espagnol qui est l’ennemi du roi; mais il ne serait pas venu comme cela en catimini sans qu’on s’en aperçût, observa l’un des cavaliers.
– Bah! reprit un autre; j’en connais bien des ennemis du roi qui ne sont pas Espagnols!
– Bertrand a raison, dit le sergent; et je sais bien de qui il veut parler.
– Et de qui donc enfin?
– Des huguenots, dit Bertrand. Il ne faut pas être sorcier pour s’en apercevoir. Tout le monde sait que les huguenots ont pris leur religion de l’Allemagne; et je suis bien sûr que les Allemands sont nos ennemis, car j’ai fait bien souvent le coup de pistolet contre eux, notamment à Saint-Quentin, où ils se battaient comme des diables.
– Tout cela est bel et bon, dit le trompette; mais la paix a été conclue avec eux, et l’on a sonné assez de fanfares à cette occasion pour qu’il m’en souvienne.
– La preuve qu’ils ne sont pas nos ennemis, dit un jeune cavalier mieux habillé que les autres, c’est que ce sera le comte de La Rochefoucauld qui commandera les chevau-légers dans la guerre que nous allons faire en Flandre; or, qui ne sait que La Rochefoucauld est de la religion? Le diable m’emporte s’il n’en est pas depuis les pieds jusqu’à la tête! Il a des éperons à la Condé , et porte un chapeau à la huguenote .
– Que la peste le crève! s’écria le sergent. Tu ne sais pas cela, toi, Merlin; tu n’étais pas encore avec nous: c’est La Rochefoucauld qui commandait l’embuscade où nous avons manqué de demeurer tous à La Robraye en Poitou. C’est un gaillard qui est tout confit en malices.
– Et il a dit, ajouta Bertrand, qu’une compagnie de reîtres valait mieux qu’un escadron de chevau-légers. J’en suis sûr comme voilà un cheval rouan. Je le tiens d’un page de la reine.
Un mouvement d’indignation se manifesta dans l’auditoire; mais il céda bientôt à la curiosité de savoir contre qui étaient dirigés les préparatifs de guerre et les précautions extraordinaires qu’ils voyaient prendre.
– Est-ce vrai, sergent, demanda le trompette, que l’on a voulu tuer le roi hier?
– Je parie que ce sont ces… d’hérétiques.
– L’aubergiste de la Croix-de-Saint-André , chez qui nous avons déjeuné, dit Bertrand, nous a conté comme cela qu’ils voulaient défaire la messe.
– En ce cas nous ferons gras tous les jours, observa Merlin très philosophiquement; le morceau de petit salé au lieu de la gamelle de fèves! Il n’y a pas là de quoi s’affliger.
– Oui; mais si les huguenots font la loi, la première chose qu’ils feront, ce sera de casser comme verre toutes les compagnies de chevau-légers, pour mettre à la place leurs chiens de reîtres allemands.
– Si cela est ainsi, je leur taillerais volontiers des croupières. Mort de ma vie! cela me rend bon catholique. Dites donc, Bertrand, vous qui avez servi avec les protestants, est-ce vrai que l’Amiral ne donnait que huit sous à ses cavaliers?
– Pas un denier de plus, le vieux ladre vert! Aussi l’ai-je quitté après la première campagne.
– Comme le capitaine est de mauvaise humeur aujourd’hui, dit le trompette. Lui qui d’ordinaire est si bon diable, et qui parle volontiers avec le soldat, il n’a pas desserré les dents tout le long de la route.
– Ce sont ces nouvelles-là qui le chagrinent, répondit le sergent.
– Quelles nouvelles?
– Oui; apparemment ce que veulent faire les huguenots.
– La guerre civile va recommencer, dit Bertrand.
– Tant mieux pour nous, dit Merlin, qui voyait toujours le bon côté des choses; il y aura des coups à donner, des villages à brûler, et des huguenotes à houspiller.
– Il y a de l’apparence qu’ils ont voulu recommencer leur vieille affaire d’Amboise, dit le sergent; c’est pour cela que l’on nous fait venir. Nous y mettrons bon ordre.
Dans ce moment le cornette revint avec son escouade; il s’approcha du capitaine et lui parla bas, tandis que les soldats qui l’avaient accompagné se mêlaient à leurs camarades.
– Par ma barbe! dit un de ceux qui avaient été en reconnaissance, je ne sais ce qui se passe aujourd’hui dans Paris. Nous n’avons pas vu un chat dans la rue; mais, en récompense, la Bastille est pleine de troupes: j’ai vu des piques de Suisses qui foisonnaient dans la cour comme des épis de blé, quoi!
– Il n’y en avait pas plus de cinq cents, répartit un autre.
– Ce qui est certain, dit le premier, c’est que les huguenots ont voulu assassiner le roi, et que l’Amiral a été blessé dans la bagarre de la propre main du grand duc de Guise.
– Ah! le brigand! c’est bien fait! s’écria le sergent.
– Tant il y a, continua le cavalier, que ces Suisses disaient, dans leur diable de baragouin, qu’il y a trop longtemps que l’on souffre les hérétiques en France.
– C’est vrai que depuis un temps ils font bien les fiers, dit Merlin.
– Ne dirait-on pas qu’ils nous ont battus à Jarnac et à Moncontour, tant ils piaffent et font les fendants?
– Ils voudraient, dit le trompette, manger le gigot et ne nous donner que le manche.
– Il est bien temps que les bons catholiques leur donnent un tour de peigne.
– Pour moi, dit le sergent, si le roi me disait: Tue-moi ces coquins-là , que je perde mon baudrier si je me le faisais dire deux fois!
– Belle-Rose, dis-nous donc un peu ce qu’a fait notre cornette? demanda Merlin.
– Il a parlé avec une espèce d’officier des Suisses; mais je n’ai pu entendre ce qu’il disait. Il faut toujours que cela soit curieux, car il s’écriait à tout moment: Ah! mon Dieu! ah! mon Dieu !
– Tiens, voici des cavaliers qui viennent à nous au grand galop; c’est sans doute un ordre que l’on nous apporte.
– Ils ne sont que deux, ce me semble; et le capitaine et le cornette vont à leur rencontre.
Deux cavaliers se dirigeaient rapidement vers la compagnie de chevau-légers. L’un, richement vêtu, et portant un chapeau couvert de plumes et une écharpe verte, montait un cheval de bataille. Son compagnon était un homme gros, court, ramassé dans sa petite taille; il était vêtu d’une robe noire, et portait un grand crucifix de bois.
– On va se battre, sûr, dit le sergent; voici un aumônier qu’on nous envoie pour confesser les blessés.
– Il n’est guère agréable de se battre sans avoir dîné, murmura tout bas Merlin.
Les deux cavaliers ralentirent l’allure de leurs chevaux, de manière qu’en joignant le capitaine ils purent les arrêter sans effort.
– Je baise les mains de Mr de Mergy, dit l’homme à l’écharpe verte. Reconnaît-il son serviteur, Thomas de Maurevel?
Le capitaine ignorait encore le nouveau crime de Maurevel; il ne le connaissait que comme l’assassin du brave de Mouy. Il lui répondit fort seulement:
– Je ne connais point Mr de Maurevel. Je suppose que vous venez nous dire enfin pourquoi nous sommes ici.
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