Jane Austen - Catherine Morland

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Écrit en 1803, Catherine Morland (Northanger Abbey) est le premier roman de Jane Austen, même s'il n'a été publié qu'en 1818, un an après sa mort.
La jeune et naïve Catherine Morland est invitée par des voisins de ses parents à passer quelques semaines à Bath. Là, elle se lie d'amitié avec la jeune et inconstante Isabelle Thorpe et son frère, le présomptuteux John qui se pose rapidement en prétendant de Catherine. Elle y rencontre également Henry Tilney et sa charmante soeur Eléonore. Catherine n'est pas insensible au charme de Henry. Aussi, quand le père d'Henry invite Catherine à passer quelques jours dans sa maison, elle est au comble du bonheur. D'autant plus que Catherine, très imprégnée par ses lectures de romans gothiques alors très à la mode, apprend que la demeure de M. Tilney est une ancienne abbaye: Northanger Abbey…

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– Et quand pensez-vous, monsieur, dit-il à son père, que je puisse espérer ce plaisir? Pour l’assemblée paroissiale, il faut que je sois lundi à Woodston, et je serai probablement obligé d’y rester deux ou trois jours.

– Bien, bien. Nous irons vous voir un de ces jours, au petit bonheur. Il n’y a aucune nécessité de fixer le jour. Vous n’aurez pas à vous déranger. Ne changez rien à vos habitudes. Ce que vous aurez à la maison suffira. Je crois pouvoir répondre de l’indulgence de ces jeunes femmes pour la table d’un célibataire. Voyons… Lundi, vous serez très occupé; ce ne sera pas pour lundi. Et mardi, je serai très occupé; j’attends mon intendant de Brockham; il a son rapport à me faire dans la matinée, et, l’après-midi, je ne puis décemment m’abstenir de paraître au cercle. Réellement, je ne pourrais plus affronter les gens de ma connaissance, si je ne m’y montrais pas; on sait que je suis dans le pays; on prendrait fort mal mon abstention; et ce m’est une règle, miss Morland, de ne jamais blesser un de mes voisins quand, au prix d’un léger sacrifice, je puis m’en dispenser. Ce sont gens d’importance. Deux fois par an, je leur envoie un demi-chevreuil et je dîne avec eux quand ce m’est possible. Mardi est donc, pour ces motifs, hors de question. Mais mercredi peut-être, Henry, pourrez-vous nous attendre. Nous serons chez vous de bonne heure, que nous ayons le temps de jeter un coup d’œil autour de nous. Il nous faut deux heures et quarante-cinq minutes, je pense, pour aller à Woodston. Nous monterons en voiture à dix heures. Ainsi vers une heure moins un quart, mercredi, vous pouvez vous attendre à nous voir.

Un bal même n’aurait pas fait plus de plaisir à Catherine que cette petite excursion: elle désirait tant connaître Woodston! Son cœur bondissait encore de joie quand Henry, environ une heure après, entra botté et en manteau et dit:

– Je viens, jeunes femmes, et sur un mode moralisateur, vous faire constater que nos plaisirs doivent toujours être payés et que souvent nous donnons l’argent comptant du bonheur immédiat contre une traite sur l’avenir à laquelle le signataire peut fort bien ne pas faire honneur. Mon exemple en témoigne avec éloquence. Du fait que je puis espérer vous voir à Woodston mercredi, ce que le mauvais temps ou vingt autres causes peuvent empêcher, me voilà obligé de partir sur l’heure et deux jours plus tôt que je ne voulais.

– Partir! dit Catherine, dont la figure s’allongea. Et pourquoi?

– Pourquoi? dit Henry. Comment pouvez-vous poser cette question? Parce qu’il me faut le temps d’affoler ma vieille gouvernante, parce que je dois faire préparer un dîner pour vous, j’imagine.

– Oh! ce n’est pas sérieux.

– Si, et triste, en outre: je préférerais de beaucoup rester ici.

– Pourtant, après ce qu’a dit le général… quand il se montre si particulièrement soucieux de ne vous causer aucun embarras…

Henry se contenta de sourire.

– C’est tout à fait inutile, pour votre sœur et moi, vous le savez bien, et le général a posé pour condition que vous ne prépariez rien d’exceptionnel. Enfin, même s’il n’avait pas fait la moitié des recommandations qu’il a faites, il se consolerait aisément, à sa propre table, de s’être trouvé, une fois par hasard, en présence d’un repas qui ne fût pas succulent.

– Je voudrais pouvoir raisonner comme vous, pour lui et pour moi. Au revoir. Comme c’est demain dimanche, Éléonore, je ne reviendrai pas.

Il partit. C’était pour Catherine une opération plus simple de douter de son propre jugement que de celui de Henry: elle ne tarda donc pas à lui donner raison, quelque peine qu’elle eût de ce départ. Mais la conduite du général ne restait pas moins inexplicable pour elle. Qu’il aimât fort la bonne chère, elle l’avait remarqué sans le secours de personne. Mais pourquoi disait-il une chose alors qu’il en pensait une autre?… À ce compte on ne pouvait jamais se comprendre. Qui, sauf Henry, aurait deviné ce que désirait le général? Du samedi au mercredi, elles seraient privées de la présence de Henry, c’était le final de ses réflexions, et certainement la lettre du capitaine Tilney allait arriver, et mercredi, elle en était sûre, il pleuvrait. Le passé, le présent, l’avenir étaient également moroses. Son frère était si malheureux; la perte qu’elle avait faite en Isabelle, si grande! Éléonore aussi serait moins gaie en l’absence de Henry. Et Catherine, qu’est-ce qui pourrait bien l’amuser. Elle était blasée sur les joies toujours pareilles que donnent les bois et les pépinières, et l’abbaye maintenant ne l’intéressait pas plus que toute autre demeure. La seule émotion qui pût résulter pour elle de l’abbaye était d’ordre désagréable, puisque ces lieux lui remémoraient sa folie. Quelle révolution dans ses idées! Elle qui avait tant désiré se trouver dans une abbaye! Maintenant son imagination se complaisait à évoquer le décor simple d’un presbytère, quelque Fullerton mieux aménagé. Fullerton avait ses défauts, Woodston n’en avait nul. Ce mercredi arriverait-il jamais?

Ce mercredi arriva exactement à son tour dans la semaine. Il arriva par un beau temps. Catherine nageait en plein ciel. Vers dix heures, une voiture à quatre chevaux sortait de l’abbaye. Vingt milles furent franchis, et les habitants de Northanger entrèrent dans Woodston, vaste et populeux bourg agréablement situé. Catherine osait à peine dire combien elle en trouvait agréable le site, car le général semblait avoir honte d’un pays si plat et d’un village moins grand qu’une ville. Mais, en son cœur, elle préférait Woodston à toutes les localités qu’elle eût jamais vues, et elle regardait admirative les maisons et jusqu’aux échoppes. Au bout du village, et un peu à l’écart, s’élevait le presbytère, solide maison de pierre, de construction récente, avec sa marquise et ses portes vertes. Comme la voiture approchait de l’habitation, Henry, avec les compagnons de sa solitude, un jeune terre-neuve de haute race et deux ou trois bassets, s’avança pour la bienvenue.

Catherine était trop troublée en entrant pour rien remarquer ou rien dire, et quand le général lui demanda son impression, elle n’avait pas encore vu la chambre même où elle se trouvait. Regardant alors autour d’elle, elle découvrit que cette chambre était de tous points parfaite; mais elle était trop réservée pour le dire et la froideur de sa louange désappointa le général.

– Nous n’appelons pas cette maison une belle maison. Nous ne la comparons pas à Fullerton et à Northanger. Nous la considérons comme un simple presbytère; petit, restreint, nous l’avouons, mais peut-être habitable, et, en somme, pas inférieur à la plupart des autres; bref, je crois qu’il y a peu de presbytères de campagne, en Angleterre, qui lui soient, et de loin, comparables. Quelques améliorations seraient à propos, je suis loin de dire le contraire; on pourrait peut-être mouvementer la façade par un vitrage en saillie; mais, entre nous, s’il est quelque chose que je déteste, ce sont bien ces raccommodages-là.

Catherine n’était pas en mesure d’apprécier l’importance de ce discours. La conversation, grâce à Henry, dévia. On apporta des boissons. Le général ne tarda pas à se rasséréner. Catherine s’acclimatait.

De cette pièce, qui était une somptueuse salle à manger, on sortit pour visiter l’appartement. On montra d’abord à Catherine celui du maître de la maison; pour la circonstance, un ordre minutieux y régnait. Puis on la conduisit dans une vaste pièce vacante, qui serait plus tard le salon et dont les baies s’ouvraient sur un gai paysage de prairies. Spontanément la visiteuse exprima son admiration, et en toute honnête simplicité:

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