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Jane Austen: Catherine Morland

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Jane Austen Catherine Morland

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Écrit en 1803, Catherine Morland (Northanger Abbey) est le premier roman de Jane Austen, même s'il n'a été publié qu'en 1818, un an après sa mort. La jeune et naïve Catherine Morland est invitée par des voisins de ses parents à passer quelques semaines à Bath. Là, elle se lie d'amitié avec la jeune et inconstante Isabelle Thorpe et son frère, le présomptuteux John qui se pose rapidement en prétendant de Catherine. Elle y rencontre également Henry Tilney et sa charmante soeur Eléonore. Catherine n'est pas insensible au charme de Henry. Aussi, quand le père d'Henry invite Catherine à passer quelques jours dans sa maison, elle est au comble du bonheur. D'autant plus que Catherine, très imprégnée par ses lectures de romans gothiques alors très à la mode, apprend que la demeure de M. Tilney est une ancienne abbaye: Northanger Abbey…

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Dès assises, M meAllen se félicita d’avoir préservé sa robe de tout dommage.

– Il eût été affreux de la déchirer, n’est-ce pas? dit-elle. C’est une mousseline si délicate. Pour ma part, je n’ai vu dans la salle rien qui me plût autant, je vous assure.

– Comme c’est gênant, soupira Catherine, de n’avoir pas une seule connaissance ici.

– Oui, ma chère, reprit M meAllen, avec une parfaite sérénité. C’est très fâcheux, en effet.

– Que faire? Les messieurs qui sont à cette table et les dames nous regardent comme étonnés de nous voir là; nous semblons nous introduire dans leur société.

– Et c’est bien ce que nous faisons. Que c’est donc désagréable! Je souhaiterais que nous eussions beaucoup de connaissances ici.

– Je voudrais que nous en eussions une: ce serait quelqu’un vers qui aller.

– Très vrai, ma chère; et si nous connaissions quelqu’un, n’importe qui, nous le rejoindrions immédiatement. Les Skinner étaient ici l’an dernier: je souhaiterais qu’ils fussent ici maintenant.

– Ne ferions-nous pas mieux de nous en aller? Vous voyez qu’il n’y a pas ici de tasse de thé pour nous.

– Il n’y en a plus, en effet. Comme c’est contrariant! Mais je pense qu’il vaut mieux que nous restions tranquilles: on est si ballotté dans une telle foule. Ma coiffure, dans quel état est-elle, ma chère? Quelqu’un m’a donné un coup qui l’aura bousculée, j’en ai peur.

– Non, vraiment, elle est très bien. Mais, chère madame Allen, êtes-vous sûre qu’il n’y ait personne que vous connaissiez, dans cette multitude de gens? Je suis persuadée que vous devez connaître quelqu’un.

– Non, sur ma parole. Je souhaiterais connaître quelqu’un. De tout mon cœur je souhaiterais avoir beaucoup de connaissances ici, et alors je vous trouverais un partenaire. Je serais si heureuse que vous dansiez. Voyez! voyez cette femme. Quelle toilette baroque! une toilette si démodée! Regardez-la par derrière.

Du temps passa, puis un de leurs voisins leur offrit du thé, ce qui fut accepté avec reconnaissance, et elles échangèrent quelques mots avec le courtois monsieur. De toute la soirée, ç’avait été le seul moment où quelqu’un leur eût adressé la parole, quand enfin, le bal fini, elles furent découvertes et rejointes par M. Allen.

– Eh bien, miss Morland? dit-il aussitôt. J’espère que le bal vous a paru agréable.

– Très agréable, en effet, répondit-elle, essayant en vain de réprimer un bâillement.

– J’aurais voulu qu’elle pût danser, dit M meAllen. J’aurais voulu que nous pussions trouver un danseur pour elle. J’ai dit combien j’aurais été heureuse si les Skinner eussent été là cet hiver plutôt que l’hiver dernier; ou si les Parry étaient venus, comme ils en avaient parlé un jour. Elle aurait pu danser avec George Parry. Je suis si triste qu’elle n’ait pas eu de cavalier!

– Nous aurons plus de chance un autre soir, j’espère, dit M. Allen en manière de consolation.

La foule diminuait. Maintenant on pouvait circuler avec plus d’aisance. Et pour une héroïne qui n’avait pas encore joué un rôle très distinct dans les événements de la soirée, le moment était venu d’être en relief. De cinq en cinq minutes, grâce aux déplacements de la foule, s’accroissaient les chances de succès de Catherine. Maints jeunes gens la pouvaient regarder, qui, dans la foule, ne l’avaient vue. Aucun cependant ne tressaillit d’un étonnement enthousiaste. Nul murmure de questions empressées ne se propagea. Et personne ne l’appela une déité. Cependant Catherine était très «à son avantage». Qui l’eût vue trois ans auparavant, l’aurait trouvée maintenant fort belle.

On la regarda cependant, et avec quelque admiration, car, à portée de son oreille, deux messieurs la déclarèrent une jolie fille. Ces mots eurent un effet magique. Immédiatement elle jugea la soirée plus gaie; sa petite vanité était satisfaite; elle se sentit plus reconnaissante envers les deux jeunes gens pour cette simple louange, qu’une héroïne de qualité l’eût été pour quinze sonnets célébrant ses charmes, et elle alla vers sa voiture, réconciliée avec tout le monde et parfaitement satisfaite de la part d’attention que lui avait accordée le public.

III

Chaque jour avait maintenant son cortège de devoirs réguliers: visiter les magasins, voir quelque nouvelle partie de la ville, passer une heure à la Pump-Room, où elles regardaient tout le monde et ne parlaient à personne.

M meAllen ne se lassait pas de formuler son désir d’avoir à Bath de nombreuses relations, quoique l’expérience lui prouvât quotidiennement qu’elle n’y connaissait personne.

Elles firent leur apparition aux Lower Rooms et, cette fois, la fortune fut plus favorable à notre héroïne. Le maître des cérémonies lui présenta comme danseur un jeune homme très distingué. Il s’appelait Tilney. Vingt-quatre ou vingt-cinq ans, grand, la figure agréable, l’œil très intelligent et vif, les façons courtoises – un jeune homme, sinon tout à fait beau, très près de l’être. Catherine était enchantée. Ils parlèrent peu en dansant. Mais quand ils se furent assis pour prendre le thé, il se montra tel qu’elle s’était imaginée qu’il fût: il parlait avec facilité, et, dans sa manière, il y avait une finesse et un enjouement qui impressionnaient Catherine. Après avoir parlé de ce qu’ils voyaient autour d’eux, il lui dit tout à coup:

– Jusqu’ici, mademoiselle, j’ai manqué à tous les devoirs d’un danseur: je ne vous ai pas encore demandé tout ensemble depuis combien de temps vous êtes à Bath, si vous vîntes jamais ici auparavant, si vous avez été aux Upper Rooms, au théâtre, au concert et si vous aimez cette ville. C’est impardonnable. Mais vous plairait-il maintenant de me satisfaire sur ces points? S’il en est ainsi, je commence.

– Ne vous mettez pas en peine de cela, monsieur.

– Ce n’est pas une peine, je vous assure, mademoiselle.

Alors, composant sa physionomie et adoucissant sa voix, il ajouta précieusement:

– Êtes-vous depuis longtemps à Bath, mademoiselle?

– Depuis une semaine environ, monsieur, répondit Catherine, s’efforçant de ne pas rire.

– Vraiment! (avec un étonnement joué).

– Quoi d’étonnant?

– En effet, quoi? dit-il, de son ton naturel. Mais il sied que je paraisse éprouver une certaine émotion à votre réponse; la surprise est plus facilement traduisible et non moins en situation que tout autre sentiment. Poursuivons. Vîntes-vous jamais ici auparavant, mademoiselle?

– Jamais monsieur.

– Vraiment! Avez-vous honoré les Upper Rooms de votre présence?

– Oui, monsieur. J’y étais lundi.

– Avez-vous été au théâtre?

– Oui, monsieur. Mardi.

– Au concert?

– Oui, monsieur. Mercredi.

– Bath vous plaît-il?

– Oui, beaucoup.

– Maintenant il convient que je sourie avec plus d’affectation. Et ensuite nous pourrons redevenir naturels.

Catherine détourna la tête, ne sachant si elle pouvait se hasarder à rire.

– Je vois ce que vous pensez de moi, dit-il gravement. Je ferai piètre figure dans votre journal de demain.

– Mon journal!

– Oui, je sais exactement ce que vous direz: «Vendredi, allai aux Lower Rooms. Avais mis ma robe de mousseline à fleurs garnie de bleu, des souliers noirs. Étais très à mon avantage. Mais fus étrangement harcelée par un olibrius qui voulut danser avec moi et dont l’absurdité m’affligea fort.»

– Certainement, je ne dirai pas cela.

– Vous dirai-je ce que vous devriez dire?

– Je vous en prie.

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