Je m’explique. Ma conviction profonde est que la rage n’existe pas chez l’homme, ainsi d’ailleurs que beaucoup d’autres maladies spéciales aux espèces animales. Un grand nombre de maladies humaines également ne peut pas atteindre les bêtes. Je veux dire que le virus rabique, inoculé par le chien, par le loup ou par l’aiguille de M. Pasteur, n’a aucune action sur l’organisme humain. La rage, mal contagieux, ne peut être communiquée à l’homme par aucun procédé scientifique ou naturel, alors même que beaucoup d’hommes meurent de bizarres accidents rabiformes qu’on nomme également « rage », mais qui ne proviennent que d’une idée fixe, c’est-à-dire d’une maladie cérébrale, ou d’une affection nerveuse de la famille du tétanos.
Les preuves dont je pourrais appuyer cette opinion sont innombrables. Je me contenterai d’en citer quelques-unes puisées soit dans mon expérience personnelle, soit dans les savants ouvrages de MM. Bouley, Bréchet, Portal, Magendie, Tardieu, Boudin, Vernois, Sausen, Renault, etc., etc., et aussi dans un petit volume des plus curieux de M. Faugère-Dubourg, publié en 1866, sous ce titre : Le Préjugé de la Rage .
Je suis donc convaincu que la rage.proprement dite n’existe pas, n’a jamais existé chez l’homme.
Deux cas se présentent.
Les gens qui meurent à la suite d’une morsure de chien qui est ou qu’on suppose enragé succombent.
Soit par des accidents du genre tétanique que produirait tout aussi bien chez eux la morsure d’un autre animal quelconque, chat, rat, lapin, mouton, cheval, singe, etc., etc., ou même une blessure, un coup, une piqûre, une coupure.
Soit par des accidents nerveux en tout semblables à ceux de la rage, mais produits par l’obsession de l’idée face.
J’arrive aux preuves. Il faut constater d’abord que beaucoup de personnes mordues par des chiens non enragés meurent de la rage, avec tous les symptômes caractéristiques de ce mal.
J’ai vu moi-même trois exemples, ayant gardé les chiens en pension pendant deux ans après le décès des victimes.
Tout le monde se rappelle aussi un garçon fort connu à Paris, mort récemment de la rage, alors que le chien par lequel il fut mordu vit encore, et qu’une autre personne, mordue en même temps, n’a rien eu.
Qu’est-ce donc qu’un virus communiqué par un animal qui ne le porte pas en lui ?
Autre exemple fort cité, d’un ordre différent.
Le 16 janvier 1853, deux jeunes gens se disaient adieu dans le port du Havre, l’un d’eux partant pour l’Amérique. Ils furent mordus en même temps par le même chien.
Celui qui restait mourut au bout d’un mois. L’autre ne le sut point et demeura quinze ans en Amérique, ignorant absolument ce qu’était devenu son compagnon.
A son retour, au mois de septembre 1868, il apprit soudain la fin misérable de son ancien ami ; il prit peur, et expira trois semaines plus tard, avec tous les symptômes connus de la rage.
Donc, dans ces deux cas, nous avons affaire, sans hésitation possible, à la rage morale que les médecins eux-mêmes ont dénommée hydrophobie rabiforme . Le docteur Café dit à ce sujet : « Seule la rage spontanée (hydrophobie rabiforme) est susceptible de guérison, l’imagination pouvant détruire ce qu’elle a enfanté. »
Donc, il existe une rage imaginaire, impossible à distinguer de l’autre, mortelle quand l’imagination qui l’a créée ne la guérit pas, et présentant, jusqu’à la fin, tous les signes caractéristiques de la vraie.
Je dis moi, qu’il n’y en a qu’une, l’imaginaire, à moins qu’on ne soit en présence d’une sorte de tétanos produit par une morsure, assimilable à une blessure quelconque.
Je m’appuierai d’abord sur ceci que cette maladie, présentant chez l’animal des signes caractéristiques absolument opposés à ceux observés chez l’homme, ne peut être que d’une nature essentiellement différente.
1° L’autopsie révèle chez le chien des lésions profondes, des altérations des organes, des poumons et de l’encéphale engorgés de sang, des inflammations violentes des bronches, de la trachée artère, du larynx, de l’arrière-bouche, de l’œsophage, de l’estomac, de l’utérus, de la vessie, et enfin des infiltrations sanguines dans le tissu cellulaire environnant les nerfs, sans toutefois révéler le siège même du mal (observations de Dupuy).
Chez l’homme, rien de tout cela, rien que les désordres légers des centres nerveux et les épanchements au cerveau, remarqués dans toutes les maladies de l’encéphale. — Or, les névroses ont cela de particulier qu’elles ne laissent pas d’autres vestiges après la mort.
Ce n’est pas tout.
Chez les chiens, la rage amène une insensibilité absolue de l’épiderme. On peut les battre, les brûler au fer rouge, les tailler à coups de couteau sans qu’ils accusent aucune douleur, eux qu’un simple coup de fouet fait hurler cinq minutes quand ils sont dans leur état normal.
Chez l’homme, au contraire, la prétendue rage développe une telle excitation nerveuse qu’il ne peut tolérer aucun contact, même celui d’une plume, même celui du plus léger courant d’air sur la peau, supporter aucun bruit, même celui d’une montre, ni aucun reflet de lumière, ni aucune odeur sans être saisi aussitôt par d’intolérables douleurs.
Nous retrouvons encore là les symptômes ordinaires des névroses, absolument différents, on le voit, de ceux que présente la rage confirmée chez le chien.
Or, cherchons maintenant si d’autres accidents que des morsures de chien peuvent produire tous les symptômes de la rage chez l’homme.
1° Marcel Donnat a vu mourir de l’hydrophobie deux personnes chez qui cette maladie nerveuse provenait de rhumatismes.
2° Le baron Portal cite le fait d’une jeune fille atteinte d’une esquinancie, dont elle mourut avec tous les signes les plus flagrants de l’hydrophobie. L’autopsie révéla que le pharynx, l’œsophage, le larynx et la trachée artère étaient enflammés dans toute leur étendue et gangrenés sur quelques points.
Voici encore une observation du docteur Selig, citée par le docteur Marc dans le Dictionnaire des Sciences médicales , et rapportée par M. Faugère-Dubourg :
« Un homme âgé de trente et quelques années, après s’être échauffé par des travaux champêtres pendant une journée des plus chaudes du mois de juillet, se baigna le soir dans une rivière dont l’eau était très froide. Le lendemain, il éprouva une douleur rhumatismale au bras droit et de la roideur dans la nuque ; le troisième jour, en outre, un sentiment de pesanteur dans tous les membres et quelques mouvements fébriles.
La douleur du bras disparut à la suite d’un vomitif qu’on lui fit prendre ; mais celle de la nuque était plus prononcée, et la céphalalgie, l’ardeur ainsi que la soif, devinrent plus intenses. Pendant la nuit, les accidents augmentèrent. Il s’y joignit une hydrophobie. Toutes les fois qu’il approchait de ses lèvres un verre ou une cuillerée remplie de liquide, et même lorsqu’un de ces objets frappait sa vue, il éprouvait un tremblement universel avec convulsion, et poussait des cris aigus ; jusqu’à l’haleine des personnes qui s’approchaient trop près de lui, l’incommodait, de sorte qu’il les suppliait de s’éloigner.
Comme ce malade n’avait été mordu par aucun animal, M. le docteur Selig fit la médecine antiphlogistique dérivative et calmante. Vers midi, amélioration sous tous les rapports, nulle agitation, nulle anxiété, point de chaleur ni de soif, possibilité d’avaler de temps à autre, quoique avec difficulté, des cuillerées d’infusion ; cependant, tremblements et mouvements convulsifs. Après midi, un peu de sommeil. Le soir, à huit heures, chaleur fébrile, agitation, anxiété, soif ardente, avec impossibilité d’avaler seulement une goutte de liquide sans tremblements et convulsions. Le voisinage, l’atmosphère, l’haleine du chirurgien agitent le malade au point de déterminer un tremblement continuel avec convulsions et sueur profuse. Dans les moments de rémission, le malade assure que l’atmosphère, ainsi que l’haleine des personnes qui l’entourent, lui deviennent insupportables, et prie avec instance les assistants de s’éloigner. L’agitation et l’anxiété s’accroissent d’heure en heure, au point que le malade supplie de le contenir. Il mourut à onze heures.
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