Ne verrons-nous pas bientôt sur les grandes lignes, à côté du wagon-restaurant, le wagon d’escrime où le mécanicien viendra de temps en temps faire un petit assaut avec le chef de train ?
O saint Don Quichotte, priez pour nous !
J’ai dit que nous faisions de la politique et de la guerre de sentiment et jamais de logique.
Je n’en citerai qu’une preuve entre cent mille.
Il y a quelques années, un officier de grande valeur qui fait aujourd’hui la campagne du Tonkin, M. le général de Négrier, alors colonel, ayant à réprimer une insurrection d’Arabes dans le Sud Oranais et sachant bien qu’on ne peut frapper ces fanatiques que par leur religion, abattit la célèbre mosquée de Sidi-Cheik.
L’Arabe est fataliste. « Dieu le veut ! » est toute sa foi. Si Dieu ne le défend pas, c’est qu’il abandonne ses enfants.
Or, l’opinion publique s’émut en France, le gouvernement s’indigna. On avait outragé la religion de ces pauvres ennemis ! On avait détruit leur temple ! Profanation !
On fit reconstruire la mosquée ! Allah avait vaincu !
Or, c’est le même gouvernement qui, quelques mois plus tard, expulsait les moines et fermait leurs églises en France.
Les académies
( Gil Blas , 22 décembre 1884)
On parlait, dans un salon académique, de la réception de François Coppée. Une jeune femme, pour qui les combinaisons qui ont étonné et éloigné M. Soulary n’ont pas de mystères, s’écria : « Ça me fait de la peine de voir nommer Coppée ; j’aurais préféré qu’on en choisît un autre. »
Comme on la savait grande admiratrice du poète, on s’étonna. Elle reprit : « C’est justement parce que je l’aime beaucoup que ça m’a ennuyée. Moi je ne nomme que les académiciens pour qui je n’ai ni admiration ni amitié. »
« Je ne nomme » fit sourire les hommes. Mais les femmes ne le remarquèrent point. Quelqu’un demanda : « Alors vous préférez les ganaches ? » Elle dit : « Oui, les vieux surtout. Vous ne comprenez pas pourquoi. C’est bien simple pourtant.
« J’adore Coppée, et voilà que j’ai peur de désirer sa mort.
« Vous n’y êtes point encore ?
« Qu’est-ce que nous connaissons parmi les académiciens. Trois poètes : Coppée dont nous avons lu tous les vers, Sully Prudhomme dont nous avons lu quelques vers, et Hugo qui a fait des vers superbes, mais que nous avons un peu… un peu oubliés. Pardon, nous nous rappelons encore quelques pièces des Châtiments et de La Légende des Siècles, n’est-ce pas ?
« Nous connaissons très bien les auteurs dramatiques et les romanciers, en tout dix écrivains.
« Il en reste trente. Qui ? Nous savons leurs noms, nous autres, parce qu’ils sont de l’Académie. C’est vrai. Mais qu’ont-ils fait ? Personne ne sait. Personne ! Voilà pourtant ceux que je préfère, les vrais académiciens, ceux que nous devrions toujours nommer.
« Chaque fois qu’un fauteuil est vacant, moi je ne m’informe jamais des titres d’un candidat, mais de son âge et de ses maladies. Que m’importe qu’il ait fait une traduction en vers de Don Quichotte ou bien dix volumes de bavardages sur l’idée de Patrie dans la poésie scandinave, ou bien vingt volumes de commentaires sur les poètes marocains du XVIe siècle. Ce qui m’importe et ce qui m’amuse, par exemple, c’est qu’il meure le plus vite possible.
« Je voudrais qu’on forçât les candidats à passer devant une espèce de conseil de révision qui écarterait les bien portants. On ne nous dirait point les titres ni la valeur de leurs œuvres qui ne nous intéressent guère, mais les noms et la gravité de leurs maladies et les lésions organiques de leur corps. C’est le plus atteint qui aurait le plus de chances.
« N’ai-je point raison ?
« Quoi de plus ennuyeux et de plus inutile que l’Académie quand elle est au complet ? Que fait-elle ? A quoi sert-elle ?
« Mais sitôt qu’un académicien meurt, quel amusement ! Toute la France s’émeut, tout Paris se passionne. Qui le remplacera ? Moi je sens un petit frisson au cœur quand je lis dans mon journal, le matin, qu’un immortel vient de mourir ! Voilà mes bons jours, car j’ai du plaisir sur la planche pour six mois au moins. Et s’il en meurt deux ou trois de suite, je deviens folle de contentement. Et tout le monde est comme moi, sans exceptions !
« Qui remplacera le trépassé ? Quelle émotion ! Chacun fait sa liste. On pointe, on discute, on suppose, on calcule. Il n’y a rien de plus amusant, non rien, absolument rien ! Que d’intrigues, de visites, de mines, de contre-mines, de combinaisons, d’influences mises en mouvement, de manœuvres ! Quelle joie quand votre candidat réussit ! Et comme il faut déployer d’adresse, de ruse, de tact, de politique.
« C’est là la vraie distraction de Paris l’hiver, du Paris intelligent, du Paris qui pense.
« Personne ne pourra dire le contraire. Aussi je trouve très fâcheux qu’on amène à l’Académie des jeunes gens comme François Coppée, qui nous feront attendre très longtemps leur successeur. Songez que nous pourrions disparaître avant lui ! Ça n’est pas gai cette idée-là.
« Du moment que nous ne nommons des académiciens que pour avoir le plaisir de les remplacer, c’est avec l’espérance de les voir mourir bientôt. Plus il en meurt, plus nous devons être satisfaits. Il faut donc les prendre très vieux, très infirmes, très malades.
« Moi, je l’avoue, quand il se passe deux ou trois mois sans qu’il en soit parti un seul pour l’autre monde, je fais brûler un petit cierge à Notre-Dame. Ça m’a réussi souvent.
« Il y a beau temps que l’Académie n’existerait plus, croyez-moi, si ce n’était pas si amusant de la renouveler.
« C’est un petit jeu, cela, un petit jeu littéraire et tout à fait passionnant.
Si j’étais écrivain, je composerais un livre sur ce sujet :
« L’ACADÉMIE FRANÇAISE OU LE JEU DE LA MORT ET DES QUARANTE VIEILLARDS »
« ou encore
« JEU DE LA MORT ET DES IMMORTELS. »
La petite dame avait-elle tort ? A d’autres de le décider. Mais il me semble pour être juste, qu’il y avait du vrai dans sa manière de raisonner.
Voilà donc Coppée baptisé avec la prose de M. Cherbuliez. (A sa place, je me laverais la tête.) Au tour de M. Edmond About, maintenant, et puis au tour de M. Ludovic Halévy. Le Paris qui pense va s’amuser avec ces entrées à sensation.
Mais on attend les sorties ? A qui le tour ?
Il n’est point que l’Académie où l’on s’exerce à discourir.
Voilà que la Société des gens de lettres est en train de devenir une concurrence de l’Institut. La maison n’est pas au coin du quai.
On y discute le mérite littéraire, la valeur du verbe et de l’adjectif, le style et la composition, en des morceaux préparés avec prétention.
Cet autre petit jeu serait fort innocent, s’il était inoffensif. Malheureusement, il ne l’est point.
Le fait qui vient de se produire est assez curieux pour qu’on le cite.
La Société des gens de lettres est une association de gens qui écrivent bien ou mal, souvent mal et quelquefois bien, et qui se sont associés pour tirer tout le profit possible de leurs œuvres et empêcher le pillage littéraire, si facile et si constant. C’est donc uniquement une réunion d’intérêts pécuniaires, une réunion de marchands de prose ou de vers, une réunion de commerçants qui mettent en commun, pour l’exploiter, un fonds ayant une valeur mercantile. Ils forment donc absolument le contraire d’une académie.
S’il en fallait une preuve, il suffirait de lire les noms des sociétaires. Pour dix qui sont connus un peu ou beaucoup, on en trouve cinquante ignorés du monde entier. Pour dix qui écrivent en une langue élégante ou seulement correcte, on en trouve cinquante qui se servent du charabia négro-français le plus étonnant. Là sont réunis tous ceux qui fabriquent en gros le roman-feuilleton, honorables débitants de lignes, habiles en leur métier spécial, mais qui n’ont pas connu ce qu’un poète nommerait les idéales caresses de la langue française, cette divine maîtresse des artistes. Trublots de la littérature, ils n’ont jamais fréquenté que la bonne de la maison. Cela n’empêche que leurs intérêts soient aussi respectables que ceux de MM. Daudet, Claretie, Coppée et de tous les vrais écrivains qui font partie de cette association, mais cela devrait empêcher ces barbouilleurs de papier de s’ériger en juges aussi intolérants qu’incompétents.
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