« Il me répondit. J'écrivis de nouveau. Et cette correspondance ne lui déplut point sans doute, car il la continua avec une exactitude scrupuleuse.
« Nous devînmes amis, amis intimes. Je lui faisais toutes mes confidences. Il me racontait les dessous ignorés de sa vie, ses ennuis. Il s'épanchait enfin, se confiait tout entier à cette inconnue lointaine qui avait conquis son estime et son affection.
« Un jour je partis pour Paris, radieuse. J'allais le voir, lui serrer les mains, entendre sa voix, connaître son visage.
« Je lui écrivis de venir me trouver.
« Il refusa.
« Je fus atterrée. J'écrivis de nouveau. Il refusa encore. Il fallait, disait-il, garder toutes nos illusions que la réalité détruit toujours. La connaissance de nos êtres diminuerait l'intimité de nos cœurs. Nous nous aimions si bien que nous ne pouvions que troubler ces délicates et tendres relations.
« Enfin, il ne vint pas.
« Je retournai dans ma province, un peu attristée, et je continuai à lui envoyer toutes mes pensées. Quant à lui, il semblait même devenu plus affectueux, plus expansif.
« Je retournai à Paris pour m'y fixer, et, un jour, je reçois une lettre où il me demandait d'une façon détournée quelques détails sur ma personne. Il avait peur que je ne fusse laide.
« J'étais jolie, monsieur. Je puis bien le dire maintenant, très jolie même ; et je lui envoyai une description détaillée de moi, jusqu'à la taille… en partant de la tête. C'était déjà beaucoup.
« Le lendemain mon domestique jetait son nom dans mon salon plein de monde.
« Je tressaillis, près de perdre connaissance !
« Dieu, qu'il était laid !
« Tout petit, noir, l'air vieux, la figure grimaçante, il s'avançait intimidé au milieu du cercle d'hommes qui m'entourait.
« J'eus envie de me sauver. Non, ce n'était pas lui, ce singe, lui mon ami, mon cher confident, mon intime, lui ! Il me sembla tout à coup que je ne le connaissais plus. Que notre bonne affection était brisée, finie. Que j'avais perdu le doux secret, la consolation mystérieuse de ma vie. Je ne pourrais jamais écrire à ce magot ce que j'écrivais à l'autre. Et quelle tristesse, le soir ! J'en pleurai.
« Il n'avait guère parlé. Il n'avait fait que me regarder. Il revint le lendemain. Je n'étais pas seule. Il partit presque aussitôt, et il m'écrivit qu'il désirait me voir seule, longtemps.
« Oh ! Mais non… Pour rien au monde je n'aurais voulu maintenant me trouver seule avec lui ! Il était trop laid, vraiment trop laid ! Il y a des limites à tout.
« Lui, sans doute, ne me trouvait point si mal qu'il avait craint, car chaque jour il sonnait à ma porte. Je ne le recevais jamais, à moins que je ne fusse entourée d'amis. E je le voyais s'exaspérer et m'aimer chaque jour davantage, car il m'aimait éperdument.
« J'essayai par mes lettres d'apaiser cette passion inutile. Non je ne pouvais pas y répondre. C'était impossible, impossible.
« Lui, me suppliait de lui accorder un rendez-vous. Enfin je cédai et je lui fixai une heure où nous pourrions… nous expliquer.
« Il entra, nerveux, irrité : « Madame, dit-il, il faut choisir. Vous vous jouez de moi, vous me martyrisez, vous me désespérez. Il faut choisir entre le monde et moi. »
« Je le regardai longuement. — Non, je ne pouvais pas. — Alors, lui prenant la main : « Mon pauvre ami, lui dis-je, eh bien… je choisis le monde. »
« Il demeura d'abord debout, immobile, atterré. Puis il s'enfuit comme un fou.
« Il avait raison d'abord, monsieur, il ne fallait pas nous voir et troubler ainsi notre charmante intimité. »
Bataille de livres
( Le Gaulois , 28 octobre 1883)
On a fait grand bruit, au printemps, d'un livre de Mme Juliette Lamber, Païenne. On vient de faire encore du bruit autour du livre d'un jeune homme, M. Francis Poictevin ; et Mme Juliette Lamber se trouve, comme directrice de la Nouvelle Revue, un peu compromise littérairement en cette entreprise.
Bien que les querelles entre écoles soient choses inutiles en général, il est peut-être bon, de temps en temps, d'en parler, non pour convaincre les partis, mais pour tâcher simplement d'éclairer la question.
Païenne, de Mme Adam (Juliette Lambert), a été, en général, maltraitée par la presse. Païenne aurait paru voici trente ans, ou mieux, voici soixante, on l'aurait louée avec extase. Tout change, surtout la mode littéraire. Les œuvres de talent sont exposées, comme les autres, à subir les modifications du goût général. Seuls, les vrais chefs-d'œuvre n'ont rien à redouter du temps.
Je voudrais, sans blesser en rien Mme Adam, qui est une femme de haute valeur, dire, en toute franchise, en toute liberté, ce que je pense de son tempérament littéraire. Par cela même qu'on a été vif à son égard, je prends le droit d'exprimer hardiment mon opinion.
Avant tout intelligente ; fort habile à manier les gens, à les séduire et à les conquérir ; fine d'une finesse un peu brutale ; également aimable envers tous ceux qui en valent la peine, avec de légères préférences venues peut-être d'une sympathie ou peut-être d'une bonne politique ; travaillée par des préoccupations trop diverses pour avoir une véritable puissante ; puissante cependant à force de bonne grâce, Mme Adam semble être une force de la nature, une semi-paysanne simple et douée de mille flairs campagnards aiguisés par la grande habitude du monde, par le frottement continu de la société civilisée.
De cette nature féminine tout d'une pièce est résulté un singulier tempérament littéraire. Aimant les choses grandes et simples, Mme Adam s'est trouvée naturellement portée vers l'art grec, qui est purement plastique ; d'où il résulte qu'elle déteste notre art moderne, subtil, raffiné, tout de nuances. Son esprit sain et droit n'admet pas la complexe habileté des écrivains contemporains qui vont aux fonds mystérieux de l'âme pour y éveiller des sensations légères comme ces parfums rapides qui passent dans l'air, un soir d'été, qui vous effleurent une seconde et qu'on ne retrouve plus. Or, il est peu naturel de vouloir rester grec à notre époque faisandée. Et voilà pourquoi Païenne, qui est, à mon humble avis, la meilleure œuvre de Mme Juliette Lamber, n'a pas été comprise par tout le monde.
C'est un poème d'amour exalté et mystique, plein d'élans largement poétiques, plein d'ardeur, plein de remarquables qualités de style, mais où l'on rencontre aussi parfois une manière de dire les choses qui rappelle un peu les périphrases de l'abbé Delille.
Est-ce grec ? Le souffle sensuel et vraiment puissant qui passe dans ces pages est-il bien le même qui animait les grands maîtres sincères de l'Antiquité ? J'en doute un peu. Nous avons eu Florian depuis. L'inspiration grecque de Mme Adam est pleine de craintes modernes, d'hésitations devant la vérité impudique et toute nue. C'est un peu trop l'art grec comme l'aurait compris Mme de Staël, comme le comprenaient les élégants écrivains du siècle dernier.
Une des qualités de ce livre lui a nui. Ayant à exprimer des choses difficiles à dire, surtout pour une femme, l'auteur s'est efforcé d'être chaste dans son verbe. Il lui a donc fallu avoir recours à des tournures auxquelles nous ne sommes plus accoutumés. Elle appartient du reste à l'école littéraire qui nous vient de l'emphatique Jean-Jacques Rousseau, d'où sortit le pompeux et magnifique Chateaubriand, et qui semble finie à peu près depuis la mort de George Sand. Elle soigne son style. Soigner son style ne veut pas dire travailler son style. La nuance est délicate à saisir. On soigne son style quand on a un certain idéal de phrase élégante, sonore, mais monotone et un peu cérémonieuse. On travaille son style quand on pioche sa phrase sincèrement, sans parti pris de lui donner une certaine forme convenue dont on désire ne pas sortir.
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