Sèvres naquit dans les jupons d'une femme qui s'appelait la Pompadour.
Louis XV avait acheté cette fabrique et il la faisait exploiter sans se préoccuper curieusement des résultats quand sa maîtresse, séduite par des échantillons qu'elle en vit, décida le roi à y faire de grandes dépenses.
Elle prit dès lors l'établissement sous sa protection, le surveilla, le soutint, s'en occupa sans cesse ; et sous son inspiration de jolie femme, reine des élégances, la manufacture devint le merveilleux atelier d'où sortit cette porcelaine d'Amour qui semble faite pour les boudoirs.
Puisse M. Grévy prendre une maîtresse qui décide une nouvelle renaissance de cet établissement national. Les vases de Sèvres d'aujourd'hui, d'un bleu violet abominable, sont bons tout au plus à offrir au roi Malikoko, à la reine de Madagascar, au shah de Perse, aux princes nègres que veut séduire M. de Brazza.
On les emploie, du reste, principalement en gratifications offertes aux fonctionnaires et employés du gouvernement, qui font un nez, comme on dit, quand on leur apporte un objet coté cinq cents francs, et qui ne ferait pas mal dans les boutiques à tourniquets des foires.
Sèvres eut une rivale redoutable, une rivale souvent heureuse, dans la célèbre manufacture de Meissen en Saxe, mère des incomparables bonbonnières, carrées ou rondes, qui portent sur leur couvercle ces paysages aux tons violets si invraisemblablement fins, ces merveilles de couleur unie, où des arbres déliés avoisinent de fluettes maisons dont le toit lance une imperceptible fumée grise sur un ciel couleur de lait.
Le haut et le bas
( Le Gaulois , 16 mars 1883)
Donc, nous voici condamnés à l'émeute à perpétuité. Hier, c'était l'émeute, et demain ce sera l'émeute, et après-demain encore ; car il n'y a aucune raison pour que cet état de choses finisse.
Pourquoi les ouvriers se révoltent-ils ? Parce qu'ils n'ont pas de travail ! Et pourquoi n'ont-ils pas de travail ? Parce que nous ne leur en donnons pas.
Et nous ne leur en donnons pas parce qu'un bourgeois doté d'une fortune moyenne mange un revenu de huit jours en employant pendant huit heures seulement un de ces aimables farceurs qu'on appelle un travailleur.
Voilà. Nous ne pouvons plus nourrir les ouvriers au prix que coûte leur pain ; et les ouvriers, pas contents de notre système d'économie, menacent de se payer eux-mêmes sur le bourgeois.
Ah ! Les ouvriers sont des gens difficiles à contenter ! Il est un moyen bien simple de s'assurer de cette vérité.
Quand un pauvre employé change de logement et a la prétention de faire clouer sur ses murs quelques petites baguettes de bois qu'il a payées lui-même 15 centimes le mètre, il fait venir le menuisier voisin. Il évite le tapissier par prudence et appelle un simple menuisier, un citoyen à tablier gris qui empoisonne d'abord l'appartement par toutes les odeurs variées et nauséabondes qu'il porte sur lui (vin, eau-de-vie, etc.)
L'homme se met à l'œuvre, coupe et cloue, pendant six heures, et, huit jours plus tard, apporte sa note, qui monte à quatre-vingts francs et débute ainsi :
Coupes et pose de cadre, moulures sapin :
7 mont. ch. 2,15 15,05
Trav. 1 cours de 10,86
Autres d. en 0013 17,23
26 coupes d'onglets ch. 0,20 5,20
4 coupes à faux ch. 0,40 1,60 — 4994 — 041 — 20,48 F
Lesdites moulures teintées, vaut 4314 — 030 — 12,94 F
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33,42 F
Et cela dure ainsi pendant six pages. Le coup de scie vaut 0,24. L'entaille de développement ( ?), 0,25. Le coup dans le mur pour porter un cadre, 0,18.
Le malheureux employé perd la tête, essaye de comprendre, n'y peut parvenir, et sait seulement qu'il doit 80 francs pour six heures de travail.
Souvent il paye sans rien dire ; mais parfois il va trouver un architecte qui réduit cette note à 45 francs en constatant que tous les tarifs ont été forcés. Et il ajoute
« Si vous vous étiez entendus préalablement pour fixer un prix, cela vous aurait coûté vingt francs en tout. »
Donc les tarifs de Paris permettent de demander 45 francs pour un travail qui en vaut 20 à 25. Et, toujours, les fournisseurs, les patrons forcent les chiffres de ces tarifs.
Or, ne serait-il pas juste et sage de condamner comme coupable d'une tentative de vol tout maître ouvrier ayant employé cette ruse vis-à-vis du bourgeois qui ignore les prix ?
Car, dans ce cas, l'homme a essayé indubitablement de voler son client, les tarifs de la ville de Paris étant des tarifs officiels, imprimés, établis.
Si le simple menuisier agit ainsi, que fera l'ébéniste, et le tapissier ? Oh ! Le tapissier ! ! ! Le maçon, le simple maçon, gagne de 0,60 centimes à 0,80 centimes par heure. En prenant une moyenne de 0,70 centimes, il se fait des journées de 6,80 francs. Eh mais ! ! !.. Nos bons tailleurs gagnent soixante-cinq pour cent environ sur nos vêtements, sous prétexte que certains clients payent mal. Quant au chapelier, il achète en gros 5 à 6 francs le chapeau qu'il nous revend de 18 à 22 francs, les prix des fabricants étant les mêmes pour tous les chapeliers.
Et tous nos fournisseurs, tous les ouvriers, tous ceux qu'on appelle des travailleurs, agissent de même.
Le maçon, bientôt, établira ainsi ses notes : « Le 17 mars, posé 800 briques à 0,20, 16 francs. » Et nous présenterons à nos directeurs un mémoire ainsi rédigé :
Le 17 mars.
Article-tête : 17 500 lettres à 002 350
1200 points à 001 12
1800 virgules à 001 18
1500 points et virgules à 002 30
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410
Des êtres calmes et pacifiques, par exemple, ce sont les misérables employés de l'État, douaniers, petits commis des préfectures ou de l'enregistrement, gardes forestiers et autres, gens sobres, sages, économes, rangés, pour qui tout écart de conduite serait fatal, qui forment en somme le personnel le plus honnête, le plus laborieux, le plus méritant et le plus digne de la France, qui ont femme et enfants, et qui gagnent de six à douze cents francs par an.
Mais c'est vous qui devriez vous révolter, braves gens ! Et, puisqu'on n'écoute pas vos plaintes timides, vous devriez prendre vos chefs par le cou et les étrangler un peu, pour qu'ils s'occupent enfin de vous.
Debout, employés des ministères et des préfectures, saisissez vos plumes et vos couteaux à papier, et cernez dans leurs cabinets les préfets et les ministres. Cela vous serait si facile, à vous, de murer un ministre pendant quatre ou cinq jours. Mais vous êtes des bourgeois tranquilles et pacifiques, et vous crèverez de faim en silence, pendant que les citoyens braillards, qui gagnent en deux mois autant que vous en un an, pillent les boutiques des boulangers.
Comme ce serait gai pourtant d'apprendre un soir que tous les ministères ont fait prisonniers les ministres, et qu'ils ne les rendront à la France qu'après une augmentation générale des appointements.
Quant aux émeutiers de dimanche prochain, on devrait prendre vis-à-vis d'eux une mesure équitable et simple.
Il faudrait les cerner et les fouiller tout bêtement. Tout homme demandant du pain avec plus de cent sous dans la poche serait nourri par l'État, à l'ombre d'une prison, pendant six mois ; et les cent sous seraient distribués aux soldats pour les dédommager des corvées que leur imposent ces mauvais plaisants.
Que veulent-ils, ces tapageurs ? Ils veulent être ministres à leur tour, tout simplement. Il n'y aurait, d'ailleurs, aucun mal à cette révolution. Les nouveaux venus ne seraient pas doux par exemple, ni libéraux, ni conciliants, ni tolérants ; mais les émeutes deviendraient plus rares, les citoyens d'en bas étant toujours plus disposés à cogner que les citoyens du milieu.
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