– Par un conseil?
– Par ce que tu voudras.
– Il n’est pas temps encore.
– Décidément, tu fais le plaisant.
– Plût à Dieu!… Si je faisais le plaisant, c’est que la circonstance serait plaisante… et malheureusement, elle ne l’est pas.
– Qu’est-ce que cette défaite: il n’est pas temps?
– Non, monseigneur, il n’est pas temps. Si la notification de l’arrêté du roi était parvenue à Paris, je ne dis pas… Voulez-vous que nous expédiions un courrier à M. le président d’Aligre?
– Pour qu’on se moque plus tôt de nous!…
– Quel amour-propre ridicule, monsieur le maréchal! vous feriez perdre la tête à un saint… Tenez laissez-moi finir mon plan de descente en Angleterre, et achevez de vous noyer dans votre intrigue de portefeuille, puisque la besogne est à moitié faite.
Le maréchal connaissait les humeurs noires de M. Rafté; il savait qu’une fois sa mélancolie déclarée, le secrétaire n’était plus bon à toucher avec des pincettes.
– Voyons, ne me boude pas, dit-il, et, si je ne comprends pas, fais-moi comprendre.
– Alors, monseigneur veut que je lui trace un plan de conduite?
– Certainement, puisque tu prétends que je ne sais pas me conduire moi même.
– Eh bien, soit! écoutez donc.
– J’écoute.
– Vous enverrez à M. d’Aligre, dit Rafté d’un ton bourru, la lettre de M. d’Aiguillon, vous y joindrez l’arrêté pris par le roi en son conseil. Vous attendrez que le parlement se soit assemblé là-dessus et en ait délibéré, ce qui arrivera immédiatement; ensuite de quoi, vous monterez en carrosse et irez rendre une petite visite à votre procureur, maître Flageot.
– Plaît-il? s’écria Richelieu, que ce nom fit bondir comme la veille. Encore M. Flageot! que diable maître Flageot a-t-il à faire en tout ceci, et qu’irai-je, moi, faire chez un maître Flageot?
– J’ai eu l’honneur de vous dire, monseigneur, que maître Flageot était votre procureur.
– Eh bien, après?
– Eh bien, s’il est votre procureur, il a des sacs à vous… des procès quelconques… vous irez lui demander des nouvelles de vos procès.
– Demain?
– Oui, monsieur le maréchal, demain.
– Mais c’est votre affaire, cela, monsieur Rafté.
– Non pas, non pas… Bon quand maître Flageot était un simple gratte-papier; alors je pouvais traiter d’égal à égal avec lui: mais, comme à partir de demain, maître Flageot est un Attila, un fléau des rois, ni plus ni moins, ce n’est pas trop d’un duc et pair, maréchal de France, pour conférer avec ce tout-puissant.
– Tout cela, est-ce sérieux, ou jouons-nous la comédie?
– Vous verrez demain si c’est sérieux, monseigneur.
– Mais encore, dis-moi ce qui m’arrivera chez ton maître Flageot?
– J’en serais bien fâché… vous voudriez me prouver demain que vous aviez deviné d’avance… Bonsoir, monsieur le maréchal. Rappelez-vous ceci: un courrier à M. d’Aligre tout de suite, une visite à maître Flageot demain. Ah! l’adresse… le cocher la sait, il m’y a conduit assez de fois depuis huit jours.
Chapitre XCIX Où le lecteur retrouvera une de ses anciennes connaissances qu’il croyait perdue, et que peut-être il ne regrettait pas
Le lecteur nous demandera sans doute pourquoi maître Flageot, qui va jouer un si majestueux rôle, était appelé procureur au lieu d’avocat; le lecteur ayant raison, nous ferons droit à sa requête.
Les vacances étaient depuis quelque temps réitérées au parlement, et les avocats plaidaient si peu, que ce n’était pas la peine d’en parler.
Maître Flageot, prévoyant le moment où on ne plaiderait pas du tout, fit quelques arrangements avec maître Guildou, le procureur, qui lui céda son étude et sa clientèle moyennant la somme de vingt-cinq mille livres une fois données. Voilà comment maître Flageot se trouva être procureur. Que si on nous demande maintenant comment il paya les vingt-cinq mille livres, nous répondrons que ce fut en épousant mademoiselle Marguerite, à qui cette somme échut en héritage vers la fin de l’année 1770, trois mois avant l’exil de M. de Choiseul.
Maître Flageot depuis longtemps s’était fait remarquer par sa persévérance à tenir le parti de l’opposition. Une fois procureur, il redoubla de violence, et à cette violence gagna quelque célébrité. Ce fut cette célébrité, jointe à la publication d’un mémoire incendiaire sur le conflit de M. d’Aiguillon avec M. de La Chalotais, qui attira l’attention de M. Rafté, lequel avait besoin de se tenir au courant des affaires du parlement.
Mais, malgré sa dignité nouvelle et son importance croissante, maître Flageot ne quitta pas la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur. Il eût été trop cruel à mademoiselle Marguerite de ne pas s’entendre appeler madame Flageot par les voisines, et de ne pas être respectée par les clercs de maître Guildou, passés au service du nouveau procureur.
On devine ce que M. de Richelieu souffrait en traversant Paris, le Paris nauséabond de cette zone pour aborder à ce trou punais [1]que l’édilité parisienne décorait du nom de rue.
Devant la porte de maître Flageot, le carrosse de M. de Richelieu fut arrêté par un autre carrosse qui s’arrêtait aussi.
Le maréchal aperçut une coiffure de femme qui descendait de cette voiture, et, comme ses soixante-quinze ans ne l’avaient pas rebuté du métier de galant, il se hâta de plonger ses pieds dans la boue noire pour aller offrir la main à cette dame qui descendait seule.
Mais, ce jour-là, le maréchal jouait de malheur: une jambe sèche et rugueuse qui s’allongea sur le marchepied, trahit une vieille femme. Un visage ridé, tanné sous une ligne de rouge, acheva de lui prouver que cette femme était non seulement vieille, mais décrépite.
Il n’y avait cependant pas à reculer, le maréchal avait fait le mouvement, et le mouvement avait été vu; d’ailleurs, M. de Richelieu n’était pas jeune. Cependant la plaideuse, car quelle femme à voiture fût venue en cette rue, si elle n’eût été une plaideuse? cependant, disons-nous, la plaideuse n’imita point l’hésitation du duc; elle déposa avec un horrible sourire sa patte dans la main de Richelieu.
– J’ai vu cette figure-là quelque part, dit tout bas le maréchal.
Et, tout haut:
– Est-ce que madame monte aussi chez maître Flageot? demanda-t-il.
– Oui, monsieur le duc, répliqua la vieille.
– Oh! j’ai l’honneur d’être connu de vous, madame? s’écria le duc, désagréablement surpris, en s’arrêtant sur le seuil de l’allée noire.
– Qui ne connaît M. le maréchal duc de Richelieu? fut-il répondu. Il faudrait ne pas être femme.
– Cette guenon croit donc qu’elle est une femme? murmura le vainqueur de Mahon.
Et il salua le plus gracieusement du monde.
– Si j’osais demander à mon tour, ajouta-t-il, à qui j’ai l’honneur de parler?
– Je suis la comtesse de Béarn, votre servante, répondit la vieille en faisant une révérence de cour sur le plancher boueux de l’allée, à trois pouces d’une trappe de cave ouverte, dans laquelle le maréchal s’attendait méchamment à la voir disparaître à son troisième plié.
– Enchanté, madame, ravi, dit-il, et je rends mille grâces au hasard. Vous avez donc aussi des procès, madame la comtesse?
– Eh! monsieur le duc, je n’en ai qu’un; mais quel procès! Il n’est pas que vous n’en ayez ouï parler?
– Fort bien, fort bien; ce grand procès… c’est vrai, pardon. Comment diable avais-je oublié cela?
– Contre les Saluces.
– Contre les Saluces, oui, madame la comtesse; ce procès sur lequel on a fait cette chanson…
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