– J’ai été fort malade, en effet, madame, répondit Henri; mais un spécifique usité dans nos montagnes, et qui me vient de ma mère, a guéri cette indisposition.
– Ah! vous m’apprendrez la recette, n’est-ce pas, Henri? dit Catherine en souriant cette fois véritablement, mais avec une ironie qu’elle ne put déguiser.
«Quelque contrepoison, murmura-t-elle; nous aviserons à cela, ou plutôt non. Voyant madame de Sauve malade, il se sera défié. En vérité, c’est à croire que la main de Dieu est étendue sur cet homme.»
Catherine attendit impatiemment la nuit, madame de Sauve ne parut point. Au jeu, elle en demanda des nouvelles; on lui répondit qu’elle était de plus en plus souffrante.
Toute la soirée elle fut inquiète, et l’on se demandait avec anxiété quelles étaient les pensées qui pouvaient agiter ce visage d’ordinaire si immobile.
Tout le monde se retira. Catherine se fit coucher et déshabiller par ses femmes; puis, quand tout le monde fut couché dans le Louvre, elle se releva, passa une longue robe de chambre noire, prit une lampe, choisit parmi toutes ses clefs celle qui ouvrait la porte de madame de Sauve, et monta chez sa dame d’honneur.
Henri avait-il prévu cette visite, était-il occupé chez lui, était-il caché quelque part? toujours est-il que la jeune femme était seule.
Catherine ouvrit la porte avec précaution, traversa l’antichambre, entra dans le salon, déposa sa lampe sur un meuble, car une veilleuse brûlait près de la malade, et, comme une ombre, elle se glissa dans la chambre à coucher.
Dariole, étendue dans un grand fauteuil, dormait près du lit de sa maîtresse.
Ce lit était entièrement fermé par les rideaux.
La respiration de la jeune femme était si légère, qu’un instant Catherine crut qu’elle ne respirait plus.
Enfin elle entendit un léger souffle, et, avec une joie maligne, elle vint lever le rideau, afin de constater par elle-même l’effet du terrible poison, tressaillant d’avance à l’aspect de cette livide pâleur ou de cette dévorante pourpre d’une fièvre mortelle qu’elle espérait; mais, au lieu de tout cela, calme, les yeux doucement clos par leurs blanches paupières, la bouche rose et entrouverte, sa joue moite doucement appuyée sur un de ses bras gracieusement arrondi, tandis que l’autre, frais et nacré, s’allongeait sur le damas cramoisi qui lui servait de couverture, la belle jeune femme dormait presque rieuse encore; car sans doute quelque songe charmant faisait éclore sur ses lèvres le sourire, et sur sa joue ce coloris d’un bien-être que rien ne trouble.
Catherine ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise qui réveilla pour un instant Dariole.
La reine mère se jeta derrière les rideaux du lit.
Dariole ouvrit les yeux; mais, accablée de sommeil, sans même chercher dans son esprit engourdi la cause de son réveil, la jeune fille laissa retomber sa lourde paupière et se rendormit.
Catherine alors sortit de dessous son rideau, et, tournant son regard vers les autres points de l’appartement, elle vit sur une petite table un flacon de vin d’Espagne, des fruits, des pâtes sucrées et deux verres. Henri avait dû venir souper chez la baronne, qui visiblement se portait aussi bien que lui.
Aussitôt Catherine, marchant à sa toilette, y prit la petite boîte d’argent au tiers vide. C’était exactement la même ou tout au moins la pareille de celle qu’elle avait fait remettre à Charlotte. Elle en enleva une parcelle de la grosseur d’une perle sur le bout d’une aiguille d’or, rentra chez elle, la présenta au petit singe que lui avait donné Henri le soir même. L’animal, affriandé par l’odeur aromatique, la dévora avidement, et, s’arrondissant dans sa corbeille, se rendormit. Catherine attendit un quart d’heure.
– Avec la moitié de ce qu’il vient de manger là, dit Catherine, mon chien Brutus est mort enflé en une minute. On m’a jouée. Est-ce René? René! c’est impossible. Alors c’est donc Henri! ô fatalité! C’est clair: puisqu’il doit régner, il ne peut pas mourir.
» Mais peut-être n’y a-t-il que le poison qui soit impuissant, nous verrons bien en essayant du fer.
Et Catherine se coucha en tordant dans son esprit une nouvelle pensée qui se trouva sans doute complète le lendemain; car, le lendemain, elle appela son capitaine des gardes, lui remit une lettre, lui ordonna de la porter à son adresse, et de ne la soumettre qu’aux propres mains de celui à qui elle était adressée.
Elle était adressée au sire de Louviers de Maurevel, capitaine des pétardiers du roi, rue de la Cerisaie, près de l’Arsenal.
Quelques jours s’étaient écoulés depuis les événements que nous venons de raconter, lorsqu’un matin une litière escortée de plusieurs gentilshommes aux couleurs de M. de Guise entra au Louvre, et que l’on vint annoncer à la reine de Navarre que madame la Duchesse de Nevers sollicitait l’honneur de lui faire sa cour.
Marguerite recevait la visite de madame de Sauve. C’était la première fois que la belle baronne sortait depuis sa prétendue maladie. Elle avait su que la reine avait manifesté à son mari une grande inquiétude de cette indisposition, qui avait été pendant près d’une semaine le bruit de la cour, et elle venait la remercier.
Marguerite la félicitait sur sa convalescence et sur le bonheur qu’elle avait eu d’échapper à l’accès subit de ce mal étrange dont, en sa qualité de fille de France, elle ne pouvait manquer d’apprécier toute la gravité.
– Vous viendrez, j’espère, à cette grande chasse déjà remise une fois, demanda Marguerite, et qui doit avoir lieu définitivement demain. Le temps est doux pour un temps d’hiver. Le soleil a rendu la terre plus molle, et tous nos chasseurs prétendent que ce sera un jour des plus favorables.
– Mais, madame, dit la baronne, je ne sais si je serai assez bien remise.
– Bah! reprit Marguerite, vous ferez un effort; puis, comme je suis une guerrière, moi, j’ai autorisé le roi à disposer d’un petit cheval de Béarn que je devais monter et qui vous portera à merveille. N’en avez-vous point encore entendu parler?
– Si fait, madame, mais j’ignorais que ce petit cheval eût été destiné à l’honneur d’être offert à Votre Majesté: sans cela je ne l’eusse point accepté.
– Par orgueil, baronne?
– Non, madame, tout au contraire, par humilité.
– Donc, vous viendrez?
– Votre Majesté me comble d’honneur. Je viendrai puisqu’elle l’ordonne.
Ce fut en ce moment qu’on annonça madame la duchesse de Nevers. À ce nom Marguerite laissa échapper un tel mouvement de joie, que la baronne comprit que les deux femmes avaient à causer ensemble, et elle se leva pour se retirer.
– À demain donc, dit Marguerite.
– À demain, madame.
– À propos! vous savez, baronne, continua Marguerite en la congédiant de la main, qu’en public je vous déteste, attendu que je suis horriblement jalouse.
– Mais en particulier? demanda madame de Sauve.
– Oh! en particulier, non seulement je vous pardonne, mais encore je vous remercie.
– Alors, Votre Majesté permettra…
Marguerite lui tendit la main, la baronne la baisa avec respect, fit une révérence profonde et sortit.
Tandis que madame de Sauve remontait son escalier, bondissant comme un chevreau dont on a rompu l’attache, madame de Nevers échangeait avec la reine quelques saluts cérémonieux qui donnèrent le temps aux gentilshommes qui l’avaient accompagnée jusque-là de se retirer.
– Gillonne, cria Marguerite lorsque la porte se fut refermée sur le dernier, Gillonne, fais que personne ne nous interrompe.
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