Vers midi, M. Kluber et ses invités entrèrent dans le premier restaurantde Soden.
Il s'agissait de choisir le menu.
M. Kluber avait proposé de dîner dans le gartensalon , un pavillonfermé. Cette fois, Gemma se révolta et déclara qu'elle voulait dînerdans le jardin, au grand air, à une des petites tables disposées devantle restaurant. «Elle en avait assez, ajouta-t-elle, d'être tout le tempsavec les mêmes personnes, elle voulait voir de nouveaux visages.»
Plusieurs tables étaient déjà occupées par des groupes de visiteurs.
M. Kluber céda avec condescendance au «caprice» de sa fiancée. Pendantqu'il s'entretenait à part avec l' oberkelner (le maître d'hôtel),Gemma resta immobile, les yeux baissés, les lèvres serrées: elle sentaitque Sanine l'observait sans cesse, et elle semblait mécontente de cetteinsistance.
Enfin, M. Kluber revint pour annoncer que le dîner serait prêt dans unedemi-heure, et proposa de faire en attendant une partie de quilles. Ilajouta que ce jeu est excellent pour éveiller l'appétit: «Hé! hé! hé!»
Il jouait en virtuose, il prenait, pour jeter la boule, des attitudesd'Hercule, mettant tous les muscles en jeu et en même temps relevantlégèrement la jambe. M. Kluber était un athlète en son genre, et fortbien tourné! Impossible d'avoir des mains plus blanches ni plusdélicates, et c'était un plaisir de le voir les essuyer dans un mouchoirde soie imitation d'indienne, rouge et or, et des plus cossus!..
Enfin, le dîner fut servi, et toute la société put prendre place autourd'une petite table.
Qui ne connaît pas le classique dîner allemand? Une soupe aqueuse avecde grosses boulettes de pâte et de la cannelle; un bouilli archi-cuit, sec comme un bouchon, nageant dans de la graisse blanche gluante etflanqué de pommes de terre devenues poisseuses, et de raifort râpé.Ensuite, un plat d'anguille tournée au bleu, arrosée de vinaigre etsemée de câpres, auquel succède le rôti servi avec de la confiture, etl'inévitable Mehlspeise , une sorte de pouding qu'accompagne une saucerouge et aigre.
Il est vrai qu'en revanche, le vin et la bière étaient de premier choix!
Tel est le menu du dîner que le premier restaurateur de Soden servit àses hôtes.
En somme, tout se passa très correctement. Peu d'animation, par exemple,même quand M. Kluber porta un toast à «ce que nous aimons!» ( was wirlieben! ) L'entrain manqua. C'était trop comme il faut, trop convenablepour être gai.
Après le dîner, on servit du café clair, roussâtre, un vrai caféallemand.
M. Kluber, en parfait gentleman, demanda à Gemma la permission de fumerun cigare.
C'est alors qu'il se passa quelque chose d'imprévu, de très désagréableet même de très inconvenant.
À une table voisine se trouvaient quelques officiers de la garnison deMayence. Il était facile de voir, d'après la direction de leurs regardset leurs chuchotements, que la beauté de Gemma les avait frappés. Un deces officiers, qui avait été à Francfort, ne détachait pas ses yeux dela jeune fille, comme s'il la connaissait très bien. Il savaitcertainement qui elle était.
Messieurs les officiers avaient déjà beaucoup bu; leur table étaitcouverte de bouteilles. Subitement, l'officier qui regardait sans cesseGemma se leva, et, le verre à la main, s'approcha de la table où setrouvait la jeune Italienne.
C'était un tout jeune homme, très blond, dont les traits étaient assezagréables, même sympathiques; mais la boisson avait altéré son visage; ses joues se contractaient, les yeux enflammés vaguaient avec un airimpertinent.
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