Alexandre Dumas affirme que Mlle George avait sollicité l'honneur d'accompagner l'empereur à Sainte-Hélène. Nous ne savons si le fait est vrai, mais il honorerait grandement l'amante du Premier Consul. Au milieu de tant de trahisons et de défections, ce serait une belle chose que ce témoignage de reconnaissance de la part d'une comédienne.
Après la chute de l'empereur, devant les hostilités royalistes de ses camarades, George se sentit cruellement dépaysée à la Comédie-Française. Elle en fut exilée par le duc de Duras, surintendant des théâtres, pour s'être bravement montrée avec un bouquet de violettes au corsage. Le gouvernement punissait ainsi cette innocente manifestation bonapartiste.
Mlle George va jouer en province. Au bout de cinq ans, Louis XVIII, qui était un homme d'esprit, la rappelle à la Comédie, et lui accorde un bénéfice à l'Opéra. Elle joua Britannicus . La recette fut énorme. Après ce triomphe, il semblait qu'elle dût reprendre sa place de sociétaire. Mais elle retrouva chez Mlle Duchesnois et ses partisans les intrigues et les mauvais procédés d'autrefois. Elle préféra jouer à l'Odéon Sémiramis , Mérope 3 3 1 er octobre 1822.
, Clytemnestre , l'Orphelin de la Chine , les Macchabées , de Guiraud 4 4 14 juin 1822.
. Elle parut ensuite dans Saül 5 5 9 novembre 1822. Mlle George joua en outre le Comte Julien , de Guiraud; Jane Shove , de Liadières (2 avril 1824).
, Cléopâtre et Jeanne d'Arc 6 6 Cléopâtre (2 juillet 1824), Jeanne d'Arc (14 mars 1825).
de Soumet. Mais bientôt une nouvelle carrière triomphale allait s'ouvrir devant elle.
Elle fut l'interprète admirable des premiers drames romantiques. Elle créa Christine , de Frédéric Soulié 7 7 13 octobre 1829.
; puis la Christine de Dumas; Une Fête sous Néron , de Soumet 8 8 Une Fête sous Néron (29 octobre 1829).— Christine , d'A. Dumas (30 mars 1829).
; la Maréchale d'Ancre , d'Alfred de Vigny 9 9 La première représentation de la Maréchale d'Ancre eut lieu le 25 juin 1830. Le 21 juin, la pièce avait dû être interrompue après le second acte, par suite d'une indisposition de George. La vraie première eut lieu le 25 juin. Le drame fut froidement accueilli.
; Jeanne la Folle , de Fontan 10 10 Jeanne la Folle , 28 août 1829.
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Ce n'étaient là que les préludes de succès plus retentissants. Sous la direction de Harel, à la Porte-Saint-Martin, la grande tragédienne, devenue avec Frédérick Lemaître l'incarnation la plus haute du drame romantique, sera successivement la Marguerite de Bourgogne de la Tour de Nesle (29 mars 1832), Lucrèce Borgia (12 février 1833), Marie Tudor (17 novembre 1833) et la marquise de Brinvilliers. Dans l'appendice, on lira les belles pages que Victor Hugo lui a consacrées.
Malgré ce répertoire incomparable, le public abandonna peu à peu la Porte-Saint-Martin. Les fusillades de la rue Transnonain et du Cloître-Saint-Merry absorbaient toutes les préocupations. Harel finit par succomber. L'interdiction du Vautrin de Balzac, au lendemain de la première représentation, amena la fermeture du théâtre.
Après une grande tournée en Italie, en Autriche, en Russie, Mlle George donna aux Italiens quelques représentations de Britannicus et de Lucrèce Borgia (janvier 1843). Elles eurent un très grand succès.
A l'Odéon, sous la direction Lireux, George joua Marie Tudor , avec Mme Marie Dorval, pour laquelle elle avait une grande amitié 11 11 Janvier 1844.
, puis la Chambre ardente , à la Gaîté, et la Tour de Nesle avec Frédérick Lemaître, à la Porte-Saint-Martin 12 12 Décembre 1844.
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On sait que Frédérick Lemaître, le plus grand comédien peut-être qui ait existé, avait un caractère détestable. Il se grisait volontiers, jouait admirablement, même lorsqu'il était ivre; mais il était encore plus insupportable sous l'influence de quelques bouteilles de Champagne ou de bourgogne. Un soir qu'il devait jouer avec George, il déclara qu'il ne paraîtrait pas en scène si on ne lui remettait une certaine somme sur ses appointements. Toutes les protestations du directeur, les supplications, les larmes de George restèrent inutiles. L'heure de commencer le spectacle était arrivée. Dans ce temps-là, il n'y avait jamais beaucoup d'argent dans la caisse d'un directeur. Pour ne pas faire manquer la représentation, Marguerite de Bourgogne se dévoua. Elle envoya ses bijoux au Mont-de-Piété, et remit à Frédérick la somme prêtée. Jamais Buridan ne fut plus magnifique: il se surpassa; mais il est probable que la pauvre George ne parvint pas à retirer ses diamants, si généreusement engagés.
Le moment approchait où Mlle George allait être forcée de prendre sa retraite. Un embonpoint, qu'elle n'avait pu ou su enrayer, rendait sa démarche pénible et alourdie; elle était devenue énorme. La voix, si émouvante autrefois, s'était éraillée. Le geste avait perdu peu à peu sa noblesse et sa majesté. Après une courte apparition au Théâtre-Historique 13 13 Marie Tudor (17 août 1848), Lucrèce Borgia (7 octobre 1848), la Tour de Nesle (24 juin 1849).
et quelques tentatives malheureuses en province, George dut renoncer au théâtre.
C'est le 27 mai 1849 qu'elle donna sa représentation d'adieux. Mlle Rachel avait accepté d'y jouer à côté de George. Soirée mémorable qui allait mettre en présence Clytemnestre et la créatrice de Lucrèce Borgia, et Mlle Rachel, qui avait conquis, dès son apparition, la première place au Théâtre-Français!
Rachel, que nous avons vue jouer deux fois, dans Cinna et à la première représentation de Diane , d'Augier, nous a laissé de si grands souvenirs, elle a été si admirablement louée par Eugène Delacroix, un de nos maîtres chers et préférés; Rachel, enfin, nous apparaît comme une si lumineuse et sculpturale figure, qu'il nous en coûte d'admettre les récits malveillants auxquels cette rencontre des deux tragédiennes a donné lieu. Jusqu'ici, nous avons à peu près suivi la brochure de Mirecourt. Nous allons lui emprunter, en faisant toutes réserves, le récit textuel de cette bataille fameuse.
«Cette bataille, dit-il, eut lieu aux Italiens.
«Rachel jouait le rôle d'Eriphyle, dans Iphigénie en Aulide , et George remplissait le rôle de Clytemnestre. Mlle Félix fut littéralement écrasée. Pâle, frémissante, elle suivait dans les coulisses, une brochure à la main, les tirades de Clytemnestre, et s'arrachait les cheveux de désespoir, en disant: «Mon Dieu! je n'arriverai jamais là! Quelle vigueur!»
«Au moment où Mlle George était en scène, un sifflet furieux partit d'une région de l'orchestre où se trouvait le jeune Félix.—«Ceci n'est pas pour moi, sans doute?» dit Clytemnestre à la salle, avec majesté.
«Tous les spectateurs se levèrent par un élan d'énergique protestation. Deux cents bouquets parurent aux pieds de l'illustre tragédienne, et, cinq minutes durant, les bravos l'empêchèrent de continuer son rôle. Quand Rachel reparut, après cette ovation provoquée par l'imprudence de ses partisans, on vit son œil briller de colère.
«Elle osa dire vers la cantonade, et en laissant échapper un geste de dédain:
«—Mais, ôtez donc ces fleurs; on ne peut plus marcher.»
«Des coups de sifflet, mieux nourris que le précédent, accueillirent cette insolente boutade. Personne ne protesta.
«—La cause est jugée, dit Victor Hugo. Nous venons de voir la statuette à côté de la statue. Quelle réduction!»
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