Mayne Reid - Les chasseurs de chevelures
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Vous ne pouvez comprendre toute l'horreur de cette situation, vous qui vivez dans des contrees septentrionales, sur une terre remplie de lacs, de rivieres et de sources limpides. Vous n'avez jamais ressenti la soif. Vous ne savez pas ce que c'est que d'etre prive d'eau! Elle coule pour vous de toutes les hauteurs, et vous etes blase sur ses qualites. Elle est trop crue; elle est trop fade; elle n'est pas assez limpide. Il n'en est pas ainsi pour l'habitant du desert, pour celui qui voyage a travers l'ocean des prairies. L'eau est le principal objet de ses soins, de son eternelle inquietude: l'eau est la divinite qu'il adore. Il peut lutter contre la faim tant qu'il lui reste un lambeau de ses vetements de cuir. Si le gibier manque, il peut attraper des marmottes, chasser le lezard et ramasser les grillons de la prairie. Il peut se procurer toutes sortes d'aliments. Donnez-lui de l'eau, il pourra vivre et se tirer d'affaire; avec du temps il atteindra la limite du desert. Prive d'eau, il essayera de macher une bille ou une pierre de calcedoine; ouvrira les cactus spheroidaux et fouillera les entrailles du buffalo sanglant; mais il finira toujours par mourir. Sans eau, eut-il d'ailleurs des provisions en abondance, il faut qu'il meure. Ah vous ne savez pas ce que c'est que la soif! C'est une terrible chose. Dans les sauvages deserts de l'ouest c'est la soif qui tue.
Il etait tout naturel que je fusse en proie au desespoir. Je pensais avoir atteint environ le milieu de la Jornada . Je savais que, sans eau, il me serait impossible d'atteindre l'autre extremite. L'angoisse m'avait deja saisi; ma langue etait dessechee et ma gorge se contractait. La fievre et la poussiere du desert augmentaient encore mes souffrances. Le besoin, l'atroce besoin de boire, m'accablait d'incessantes tortures. Ma presence d'esprit m'avait abandonne et j'etais completement desoriente. Les montagnes, qui jusqu'alors nous avaient servi de guide, semblaient maintenant se diriger dans tous les sens. J'etais embrouille au milieu de toutes ces chaines de collines. Je me rappelais avoir entendu parler d'une fontaine l' Ojo del Muerto , qui, disait-on, se trouvait a l'ouest de la route. Quelquefois il y avait de l'eau dans cette fontaine; d'autres fois il etait arrive que des voyageurs l'avaient trouvee completement a sec, et avaient laisse leurs os sur ses bords. Voila du moins ce qu'on racontait a Socorro. Pendant quelques minutes, je restai indecis; puis, tirant presque machinalement la rene droite, je dirigeai mon cheval vers l'ouest. Je voulais d'abord chercher la fontaine, et si je ne la trouvais pas, pousser vers la riviere. C'etait revenir sur mes pas, mais il me fallait de l'eau sous peine de mort. Je me laissais aller sur ma selle, faible et vacillant, m'abandonnant a l'instinct de mon cheval. Je n'avais plus l'energie necessaire pour le conduire. Il me porta plusieurs milles vers l'ouest, car j'avais le soleil en face. Tout a coup je fus reveille de ma stupeur. Un spectacle enchanteur frappait mes yeux. Un lac! – Un lac, dont la surface brillait comme le cristal! Etais-je bien sur de le voir? N'etait-ce pas un mirage? Non, ses contours etaient trop fortement arretes. Ils n'avaient pas cette apparence grele et nuageuse qui caracterise le phenomene. Non; ce n'etait pas un mirage. C'etait bien de l'eau!
Involontairement mes eperons presserent les flancs de mon cheval; mais il n'avait pas besoin d'etre excite. Il avait vu l'eau et se precipitait vers elle avec une energie toute nouvelle. Un moment apres, il etait dedans jusqu'au ventre. Je m'elancai de ma selle et plongeai a mon tour, et j'etais sur le point de puiser l'eau avec le creux de mes mains, lorsque mon attention fut eveillee par l'attitude de mon cheval. Au lieu de boire avidement, il s'etait arrete, secouant la tete, et soufflant avec toutes les apparences du desappointement. Mon chien, lui aussi, refusait de boire et s'eloignait de la rive en se lamentant et en hurlant. Je compris ce que cela signifiait; mais avec cette obstination qui repousse tous les temoignages et ne s'en rapporte qu'a l'experience propre, je puisai quelques gouttes dans ma main et les portai a mes levres. L'eau etait salee et brulante! J'aurais pu prevoir cela avant d'arriver au lac, car j'avais traverse des champs de sel qui l'environnaient comme d'une ceinture de neige; mais, a ce moment, la fievre me brulait le cerveau et je n'avais plus ma raison. Il etait inutile de rester la plus longtemps. Je sautai sur ma selle. Je m'eloignai du bord et de sa blanche ceinture de sel. Ca et la le sabot de mon cheval sonnait contre les ossements blanchis d'animaux, tristes restes de nombreuses victimes. Ce lac meritait bien son nom de Laguna del Muerto (lac de la mort). Je me dirigeai vers son extremite meridionale, et pointai de nouveau vers l'ouest, dans l'espoir de gagner la riviere.
A dater de ce moment jusqu'a une epoque assez eloignee, ou je me trouvai place au milieu d'une scene toute differente, ma memoire ne me rappelle que des choses confuses; quelques incidents, sans aucune liaison entre eux, mais se rapportant a des faits reels, sont restes dans mon souvenir. Ils sont meles dans mon esprit avec d'autres visions trop terribles et trop depourvues de vraisemblance pour que je puisse les considerer autrement que comme des hallucinations de mon cerveau malade. Quelques-unes cependant etaient reelles. De temps en temps la raison avait du me revenir, sous l'influence d'une espece d'oscillation etrange de mon cerveau. Je me rappelle etre descendu de cheval sur une hauteur. J'avais du parcourir auparavant une longue route sans m'en rendre compte, car le soleil etait pres de l'horizon quand je mis pied a terre. C'etait un point tres-eleve, au bord d'un precipice, et devant moi je voyais une belle riviere, coulant doucement a travers des bosquets verts comme l'emeraude. Il me semblait que ces bosquets etaient remplis d'oiseaux qui chantaient delicieusement. L'air etait rempli de parfums et le paysage qui se deroulait devant moi m'offrait tous les enchantements d'un Elysee. Autour de moi tout paraissait lugubre, sterile et brule d'une intolerable chaleur. La soif qui me torturait etait surexcitee encore par l'aspect de l'eau. Tout cela etait reel: tout cela etait exact.
Il faut que je boive! Il faut que j'atteigne la riviere! c'est de l'eau douce et fraiche… Oh! il faut que je boive! Que vois-je? Le rocher est a pic. Non, je ne puis descendre ici; je descendrai plus facilement la-bas. – Qui est la! – Qui etes-vous, monsieur?
– Ah! c'est toi, mon brave Moro; c'est toi, Alp, Venez! Venez! suivez-moi! descendons! descendons a la riviere! – Ah! Encore ce rocher maudit! – Regardez comme cette eau est belle! Elle nous sourit. On entend son joyeux clapotement! Allons boire! – Non, pas encore; nous ne pouvons pas encore descendre. Il faut aller plus loin. Mon Dieu! il n'est pas possible de sauter d'une telle hauteur! mais il faut pourtant que nous apaisions notre soif! Viens. Gode! viens, Moro, mon vieil ami! Alp! Viens! Allons! nous atteindrons la riviere; nous boirons. – Qui parle de Tantale? Ah! ah! ce n'est pas moi; ce n'est pas moi! – Arriere! demon! ne me poussez pas! – Arriere! arriere! Vous dis-je. – Oh!.. Des formes etranges, des demons innombrables, dansent autour de moi et me tirent vers le bord du rocher. Je perds pied; je me sens lance dans l'air, puis tomber, tomber, et tomber encore, et cependant l'eau reste toujours a la meme distance de moi, et je la vois au-dessous couler brillante au milieu des arbres verts…
Je suis sur une roche, sur une masse de dimensions enormes; mais elle n'est pas en repos; elle se meut a travers l'espace, tandis que je reste immobile sur elle, etendu, ralant de desespoir et d'impuissance. C'est un aerolithe! ce ne peut etre qu'un aerolithe! Grand Dieu! quel choc quand il va rencontrer une planete! Horreur! horreur!
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