Эжен Сю - La coucaratcha. II

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Eugène Sue

La coucaratcha (II/III)

MON AMI WOLF

§ I.

FRAGMENTS DU JOURNAL D'UN INCONNU

– Mais comme cette nouvelle volonté ne faisait pour ainsi dire que de naître, elle n'était pas encore assez forte pour vaincre l'autre, qui avait toute la force qu'une longue habitude peut donner. Cependant ces deux volontés, l'une ancienne et l'autre nouvelle, l'une charnelle et l'autre spirituelle, se combattaient dans mon cœur, et chacune le tirant de son côté, elles le mettaient en pièces.

Confessions de Saint-Augustin , LIV. VIII, ch. V.

…Pendant une relâche que nous fîmes à Malte en 18… les officiers du vaisseau anglais le Genôa voulurent recevoir à leur bord l'état-major de notre frégate.

A dîner, je me trouvais placé entre deux officiers supérieurs; mon voisin de gauche était un grand homme sec, à cheveux grisonnants, taciturne, peu buveur, et ne parlant pas un mot de français: – je lui versai à boire trois fois, et n'y pensai plus. —

Mon voisin de droite était un homme de trente ans au plus, d'une belle figure, brun, svelte, élégant, s'exprimant dans notre langue avec une merveilleuse facilité, – quoiqu'un accent presqu'imperceptible trahît son origine étrangère. – Il m'apprit qu'il était Danois, mais naturalisé Anglais.

Il fallait qu'une singulière attraction me portât vers lui, car avant le dîner nous ne nous connaissions pas du tout, et au pudding nous étions déjà fort liés; – enfin, plus tard, quand on enleva la nappe pour servir les fruits secs et les vins de France, nous n'avions, je crois, plus rien à nous apprendre sur notre passé, notre présent, je dirais presque notre avenir.

Suivant l'usage, l'intimité commença d'abord par un échange confidentiel d'horreurs et de calomnies sur les personnes de nos commandants respectifs, et par des remarques satiriques sur nos inférieurs; après quoi vint la relation impartiale des injustices et des passe-droits qu'on nous avait fait subir, des grades qu'on nous avait volés . – Puis, comme nous finîmes par maudire notre état, après nous être mutuellement prouvé qu'il n'en était pas au monde de plus détestable, – ce fut entre nous à la vie et à la mort.

D'après la coutume admise dans les repas que nous nous donnions avec les Anglais, on commençait par casser les pieds des verres à pattes, de façon qu'il était impossible de laisser son verre plein après avoir salué du geste à chacun des innombrables toasts que l'on portait à l'union des deux pavillons. – Or comme les toasts se succédaient sans interruption toutes les cinq minutes, et qu'il y avait à peu près trois heures que nous étions à table; – comme après les vins on avait servi le punch, et qu'en fumant nous avions prodigieusement bu de ce punch, nous finîmes par être, sinon gris, au moins fort communicatifs et disposés les uns envers les autres à une confiance sans bornes.

Mon nouvel ami surtout qui, selon ce qu'il m'apprit, ne buvait ordinairement que de l'eau, avait voulu faire ce jour-là, en mon honneur, une exception à son régime. – Malgré les paternelles remontrances du vieil officier de gauche qui lui répétait sans cesse en anglais: – Ne buvez pas, voilà deux ans que nous sommes embarqués ensemble, vous n'avez pas avalé une goutte de grog. – Ne buvez pas, vous vous tuerez, n'en ayant pas l'habitude.

Mais mon intime improvisé, que je nommerai Wolf, ne tenait pas compte de ces exhortations; – il paraissait se trouver fort bien de l'effet du punch, sa figure d'abord pâle, s'anima, se rosa peu à peu, ses yeux brillèrent, sa conversation devint plus vive, plus énergique, plus intime, enfin. – Cet homme que j'aurais d'abord cru froid, s'exalta peu à peu, et je trouvai chez lui les signes de cette impétuosité concentrée des gens du Nord, si différente de la vivacité molle et éphémère des méridionaux.

Le punch flambait toujours et nous faisions un furieux tapage à bord du Genôa , on parlait bruyamment, on disputait, on criait, et le thême de cette discussion orageuse était autant que je puis m'en souvenir, l'amour et les sacrifices qu'il imposait parfois .

C'était une question bien amusante à entendre discuter par une vingtaine de marins fort débauchés qui d'ordinaire s'occupaient très-peu de la théorie de ce tendre délassement, mais comme l'importance que l'on attache à une discussion est toujours en raison inverse des connaissances que l'on peut y déployer, – on échangeait de pitoyables raisons, – pour et contre – avec un acharnement singulier.

– «Bah, dit Wolf, en posant son verre sur la table avec tant de force qu'il le brisa: – Ils sont stupides, ils parlent de cela comme les aveugles des couleurs… Venez-vous faire un tour de dunette?»

– Volontiers, répondis-je… car il fait horriblement chaud ici…

Nous montâmes, l'air était tiède, le temps lourd, et les pavillons des navires pendaient collés le long des mâts.

– «Tenez, me dit mon ami Wolf, en m'arrêtant par le bras et fixant sur moi ses yeux étincelants, – nous nous entendons si bien tous deux qu'il faut que je vous dise une histoire qui m'est arrivée; mais ceci est entre nous au moins, ajouta-t-il avec un regard presque féroce, que le bon Dieu m'étrangle si je sais pourquoi je vous fais cette confidence, si c'est le punch, ou l'air, ou la fatalité, ou le diable qui m'y force, mais je ne puis m'empêcher de vous raconter cela, et pourtant, quand vous m'aurez entendu, je suis sûr que vous me regarderez comme le dernier des misérables, – mais c'est égal encore une fois, je ne puis m'en empêcher… —

Il y avait dans l'expression de la figure, dans l'accent de la voix de mon ami Wolf, un tel caractère de vérité que je compris parfaitement cette influence de l'ivresse qui vous pousse à l'indiscrétion, influence fatale, dont on se rend compte, que l'on maudit, mais qu'on n'a pas la force de combattre, s'agirait-il d'un secret sacré.

Aussi dis-je prudemment à mon ami, j'aimerais mieux attendre à demain, nous serions plus calmes et alors…

– «Pardieu, je crois bien que nous serions plus calmes, mais alors je ne vous dirais plus mon histoire, et il faut que je vous la raconte… Pourtant voyez-vous il est possible que demain quand je penserai à la folie que je fais étant gris, il est possible que je vous propose de nous brûler la cervelle à pair ou non, afin que mon secret soit éteint par votre mort, ou rendu sans importance par la mienne… Je sais bien que vous allez me dire que c'est ridicule, mon cher, mais que voulez-vous y faire, c'est comme cela…»

Ce diable de Wolf avait tant de naïveté et d'abandon dans ses manières que je n'eus pas la force de lui en vouloir, moi, et encore moins la pensée de reculer devant une confidence dont les résultats promettaient autant… – Je me disposai donc à écouter, nous nous assîmes sur le couronnement et il commença après m'avoir affectueusement serré la main.

§ II.

LE RÉCIT

«Il y a environ deux ans de cela me dit Wolf, – c'était pendant la guerre, je commandais une goëlette dans la Méditerranée, ma mission se bornait à convoyer de temps à autre des bâtiments marchands, – Je me trouvais alors mouillé à Porto Venere, petit port d'Italie entre le golfe de Gênes et celui d'Especia, près des îles Palmeries. —

«J'avais la plus entière confiance dans mon second, et j'allais fréquemment à terre, quoique la ville de Porto Venere fut horriblement triste, mais le fait est que j'y avais fait la connaissance d'une fort jolie demoiselle dont le père était capitaine de port.

«Je ne sais comment diable elle était venue en Italie, mais elle était Péruvienne et s'appelait Pépa.

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