« Quand ? »
« Dès que possible. Je pars maintenant de chez moi. »
Mackenzie n’avait pas envie d’y aller – en fait elle n’avait même pas envie de sortir de son lit. Mais elle n’avait jamais entendu Colby dans un tel état. Et vu l’importance de cette journée, elle se dit qu’elle devrait faire de son mieux pour être présente pour son amie.
« Je serai là dans une vingtaine de minutes, » dit Mackenzie.
En soupirant, Mackenzie sortit de son lit et fit le strict minimum pour se préparer à sortir de chez elle. Elle se brossa les dents, enfila un sweat et un pantalon de training, attacha ses cheveux en queue de cheval et sortit.
En parcourant les six pâtés de maisons qui la séparaient de la cinquième rue, elle commença à sentir le poids de cette journée s’abattre sur ses épaules. Elle terminait aujourd’hui sa formation à l’académie du FBI, allait recevoir son diplôme un peu avant midi et se trouvait parmi les cinq premiers de sa classe. À la différence de la plupart des stagiaires qu’elle avait appris à connaître durant les vingt dernières semaines, aucun membre de sa famille ne viendrait assister à la remise de son diplôme et célébrer avec elle sa réussite. Elle serait toute seule, comme elle l’avait été durant la majeure partie de sa vie, depuis l’âge de seize ans. Elle faisait des efforts pour se persuader que ça n’avait pas vraiment d’importance mais en fait, ça l’affectait. Ça ne la rendait pas triste mais provoquait plutôt en elle une sorte de sentiment d’angoisse auquel elle s’était habituée au fil du temps.
Alors qu’elle s’approchait du Starbucks, elle remarqua même que le traffic était un peu plus dense que normal – probablement dû à l’arrivée des amis et de la famille des autres stagiaires. Mais cette idée ne l’affecta pas vraiment. Elle avait passé les dix dernières années de sa vie à s’efforcer de ne pas se préoccuper de ce que sa mère et sa soeur pensaient d’elle, alors pourquoi commencer aujourd’hui ?
Quand elle entra dans le Starbucks, elle vit que Colby était déjà arrivée. Elle sirotait une tasse de café et regardait d’un air absent à travers la vitre. Une autre tasse était posée devant elle. Mackenzie supposa que c’était pour elle. Elle prit place en face de Colby tout en lui montrant bien qu’elle était complètement crevée : ses yeux se rétrécirent avec un air maussade au moment où elle s’assit.
« C’est pour moi ? » demanda Mackenzie, en prenant la tasse de café en main.
« Oui, » dit Colby. Elle avait l’air fatiguée, triste et d’humeur assez maussade.
« Alors, que se passe-t-il ? » demanda Mackenzie, afin d’éviter que Colby ne cherche à tourner autour du pot.
« Je ne vais pas au FBI, » dit Colby.
« Quoi ? » demanda Mackenzie, sur un ton réellement surpris. « Je pensais que tu avais tout réussi haut la main. »
« Oui, c’est vrai. Mais c’est juste que… je ne sais pas. Être à l’académie m’a épuisée. »
« Colby… tu n’es pas sérieuse, là. »
Elle avait dit ça sur un ton insistant mais elle s’en fichait. Ça ne ressemblait pas du tout à Colby. Une telle décision était le résultat d’une remise en question totale. Ça n’avait rien à voir avec un caprice ou le stress d’une femme au bord de la crise de nerfs.
Comment pouvait-elle abandonner ?
« Mais je suis sérieuse, » dit Colby. « Ça ne m’intéresse plus vraiment depuis au moins trois semaines. Parfois, je rentre chez moi et je pleure sur mon sort car je me sens piégée. Je n’ai plus du tout envie de ça. »
Mackenzie était stupéfaite. Elle ne savait pas vraiment quoi dire.
« Et tu prends cette décision le jour de la remise des diplômes ? »
Colby haussa les épaules et se mit à nouveau à regarder d’un air absent à travers la vitre. Elle avait l’air crevée et démoralisée.
« Colby… tu ne peux pas laisser tomber. Ne fais pas ça. » Ce qu’elle avait sur le bout de la langue mais qu’elle évita de dire, c’était : Si tu arrêtes maintenant, ces vingt dernières semaines ne signifient plus rien. Et ça fait aussi de toi une dégonflée.
« Ah, mais je n’abandonne pas vraiment du tout au tout, » dit Colby. « J’irai à la remise des diplômes aujourd’hui. En fait, il faut que j’y aille, je n’ai pas le choix. Mes parents sont venus de Floride pour l’occasion et je n’ai pas vraiment d’autre alternative que d’y aller. Mais après ça, ce sera fini. »
Quand Mackenzie avait commencé son entraînement à l’académie, les instructeurs les avaient prévenus que le taux d’abandon parmi les stagiaires durant les vingt semaines de formation était d’environ vingt pourcents – et qu’il était même arrivé jusqu’à trente pourcents dans le passé. Mais penser que Colby ferait partie de ces chiffres n’avait aucun sens.
Colby avait une forte personnalité et faisait preuve d’obstination. Comment pouvait-elle prendre une telle décision avec autant de désinvolture ?
« Qu’est-ce que tu vas faire, alors ? » demanda Mackenzie. « Si tu laisses vraiment tout ça derrière toi, tu penses te diriger vers quoi ? »
« Je ne sais pas, » dit-elle. « Peut-être quelque chose en rapport avec la prévention du trafic d’êtres humains. Quelque chose dans le domaine de la recherche ou des ressources, je ne sais pas. Je veux dire par là qu’être agent du FBI n’est pas ma seule option, n’est-ce pas ? Il y a des tonnes d’autres options. Mais je ne veux pas être un agent. »
« Tu parles vraiment sérieusement en fait, » dit Mackenzie, sur un ton sec.
« Oui. Je voulais juste t’en informer maintenant parce qu’après la remise des diplômes, mes parents vont vouloir toute mon attention. »
Oh, ma pauvre petite, pensa Mackenzie, sur un ton sarcastique. Ça doit vraiment être horrible.
« Je ne comprends toujours pas pourquoi, » dit Mackenzie.
« Et je ne m’attends pas à ce que tu le comprennes. C’est vraiment ton truc, tu es douée et tu adores ce que tu fais. Je pense que tu as été faite pour être agent, tu sais ? Quant à moi… je ne sais pas. Un effondrement soudain et inattendu, j’imagine. »
« Oh, Colby… je suis désolée. »
« Pas besoin de l’être, » dit-elle. « Une fois que j’aurai remis papa et maman dans l’avion pour la Floride, je me sentirai soulagée. Je leur dirai que je ne me sentais pas de taille à faire face à une affaire qui m’aurait été assignée d’emblée. Et après ça, j’imagine que je ferai autre chose qui me plaira davantage. »
« Et bien… bonne chance, j’imagine, » dit Mackenzie.
« Mais pas question que ça t’affecte, » dit Colby. « Aujourd’hui, tu finis dans les cinq premiers de la classe et il est hors de question que mes drames personnels ne t’affectent. Tu as été une très bonne amie, Mac. Je voulais que ce soit moi qui te l’apprenne maintenant plutôt que de remarquer mon absence dans quelques semaines. »
Mackenzie ne fit aucun effort pour dissimuler sa déception. Elle n’aimait pas l’idée de recourir à des tactiques infantiles mais elle resta silencieuse durant un instant, à siroter son café.
« Et toi ? » demanda Colby. « Tu as des amis ou de la famille qui viennent ? »
« Non, personne, » dit Mackenzie.
« Oh, » dit Colby, sur un ton mal à l’aise. « Je suis désolée. Je ne savais pas… »
« Pas besoin de t’excuser, » dit Mackenzie. C’était maintenant à elle de regarder d’un air absent à travers la vitre, en disant : « Je préfère encore que ce soit comme ça. »
***
Mackenzie ne fut pas du tout impressionnée par la cérémonie de remise des diplômes. Ce ne fut rien de plus qu’une version formalisée de sa remise de diplôme du lycée, sans être aussi élégante et formelle que sa remise de diplôme à l’université. En attendant que son nom soit appelé, elle eut le temps de repenser à ces remises de diplôme et au fait que sa famille avait disparu progressivement du paysage avec chacune d’entre elles.
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