— Monthys attirera des gens, dit Emeline, et le réseau des défenses magiques s’y trouve forcément encore. On pourra le réactiver.
— Nous avons des défenses magiques ici, insista Asha. Nous ne vous avons permis de venir ici que pour le bien de Violette.
— Ce n’est pas la seule raison, dit Vincente.
Asha lui lança un regard irrité et Sebastian eut l’impression que c’était un sujet sur lequel ils s’étaient déjà disputés, mais il était plus intéressé par ce qu’Asha avait dit.
— Vous n’avez accueilli les réfugiés que parce que ma fille était parmi eux ? À cause d’une vision que vous avez eue ?
Asha prit un air récalcitrant.
— Pas seulement à cause de ce que j’ai vu, moi. Tous ceux qui lisent dans l’avenir ont vu la future reine. Vous ne pouvez pas le nier.
— Ma fille choisira son propre avenir, dit Sebastian. Je ferai le nécessaire pour qu’elle soit en sécurité et pour qu’elle puisse choisir. S’il le faut, je me battrai dans ce but. Ne l’oubliez pas, Asha.
— Nous ne sommes pas ennemis, dit Vincente. Nous sommes —
Sebastian ne sut jamais exactement ce qu’ils étaient parce que, à ce moment-là, des cloches résonnèrent, signalant qu’il se passait quelque chose au-delà des murailles de la ville.
— Il faut qu’on parte, dit Emeline. Ça va arriver.
— Nous sommes en sécurité ici, insista Asha. C’est juste une ruse pour soustraire la Princesse Violette à son peuple.
Sebastian l’ignora et courut aux murailles de Stonehome. Le bouclier que les habitants avaient mis en place était dressé, maintenu par les efforts des citadins qui se tenaient dans le cercle de pierres du milieu.
Un bataillon de la Nouvelle Armée se tenait devant la ville, les canons pointés sur elle, les cavaliers répartis devant comme un filet. Sebastian fut plus intéressé par les silhouettes qui avançaient. Il reconnut tout de suite le Maître des Corbeaux. L’homme à la tête rasée qui se tenait à côté de lui était plus difficile à identifier, mais il se tenait presque comme s’il était l’égal du Maître des Corbeaux.
— C’est Endi, dit Emeline, le cousin de Sophia.
— Celui qui nous a trahis en détournant la moitié de la flotte d’invasion ? dit Sebastian.
Il n’avait jamais vu cet homme, mais on lui avait raconté les événements en question.
— C’est lui, dit Emeline.
— Que fait-il avec le Maître des Corbeaux ? demanda Sebastian.
— Rien de bon, répondit Emeline. Sebastian, il faut qu’on parte d’ici.
À côté d’eux, les guerriers de Stonehome et les réfugiés qui pouvaient se battre commençaient à se positionner. Ils le faisaient avec une assurance étonnante mais, pensa Sebastian, ils étaient derrière le bouclier. Tant qu’il tenait, ils n’auraient rien à craindre. Ils étaient en sécurité.
Donc, pourquoi Emeline avait-elle vu des scènes de destruction ?
Sebastian resta sur place en essayant de faire preuve d’assurance alors qu’il sentait qu’elle le quittait peu à peu. En l’absence de Sophia, il était le souverain de ce royaume et il fallait qu’il maintienne le moral de tous les combattants. S’il montrait qu’il avait peur, cela créerait de la panique.
Lentement, Endi commença à marcher autour de Stonehome, s’arrêtant tous les quelques pas pour faire une chose avec des ingrédients portés par deux domestiques. Il traçait des marques avec un bâton en or et lisait un livre tout en avançant.
— Est-ce que quelqu’un peut l’atteindre avec un mousquet ? demanda Sebastian.
— À cette distance ? demanda Vincente en commençant à charger le sien. C’est peu probable, mais on peut essayer.
Les autres guerriers de Stonehome commencèrent à préparer leurs armes. Leurs préparations semblèrent prendre infiniment trop de temps.
— Feu ! hurla Vincente et une salve de tirs traversa la lande mais aucun d’eux ne se rapprocha d’Endi. Il est trop loin. Un canon y arriverait peut-être.
Sebastian voyait que ça ne marcherait pas. Endi bougeait trop vite pour qu’un canon puisse le viser et l’idée de frapper un seul homme avec une arme d’artillerie était ridicule, de toute façon. Ils ne pouvaient même pas faire de sortie pour arrêter ce que faisait Endi parce que cela les obligerait à baisser le bouclier.
Ils ne pouvaient qu’attendre.
Sebastian regarda Endi faire le tour de Stonehome. Il avait presque terminé un tour complet. D’une façon ou d’une autre, Sebastian avait la sensation qu’il fallait l’arrêter avant qu’il ne termine ce tour. Comme la force ne marcherait pas, peut-être la raison le pourrait-elle.
— Endi, appela-t-il. Endi, c’est Sebastian, le mari de Sophia.
Il vit Endi s’arrêter et regarder.
— Je sais qui vous êtes, répondit Endi.
— Ce serait plus facile de vous parler si vous étiez plus près.
— Ce serait aussi plus facile de me tirer dessus, signala Endi, et vous avez déjà montré que vous vouliez le faire.
— Que faites-vous, Endi ? demanda Sebastian. Vous êtes le cousin de ma femme. Ma fille est de votre sang. Vous ne devriez pas aider nos ennemis.
Endi le regarda longtemps.
— Si la famille était la seule chose qui compte, vous auriez péri avec la vôtre et la mienne ne m’aurait pas répudié.
— Mais vous aidez le Maître des Corbeaux ! cria Sebastian. Vous savez à quel point il est maléfique. Il a attaqué Ishjemme, votre famille et vos amis !
— Au moins, il a une place pour moi ! hurla Endi, qui utilisa alors le bâton en or pour effectuer une dernière série de marquages. Il semblait marmonner des mots. Presque aussi vite qu’un serpent, il se retourna et poignarda les deux domestiques l’un après l’autre, répondant leur sang sur le sol.
Des lignes de pouvoir suivirent les espaces qu’il avait parcourus, brûlant d’un rouge sang intense. Au-dessus des lignes, de l’énergie semblait virevolter en l’air et, pendant un moment, Sebastian pensa entendre des cris de mourants au-delà des limites de Stonehome. Il entendit ces cris se reproduire derrière lui et, quand il se retourna, il vit des gens qui sortaient du cercle de pierres situé au cœur de Stonehome en trébuchant et en se tenant la tête, souffrant terriblement. L’un d’eux tomba sur le visage et ne se releva pas.
Sebastian se retourna à temps pour voir le bouclier qui entourait Stonehome vaciller, étinceler en l’air l’espace d’un instant puis disparaître. Des cors et des trompettes résonnèrent sur la lande, transmettant des ordres. On entendit des chevaux avancer avec un grondement sourd et l’infanterie en faire autant.
Sebastian vit la Nouvelle Armée commencer son avancée. À présent, ils ne pouvaient plus rien faire pour l’arrêter.
— Vous êtes mourants ? dit Sophia, incrédule.
Le choc la traversait en vagues de chaud et de froid et elle aurait préféré faire quelque chose, quoi que ce soit, plutôt qu’y croire. Même quand Sienne se frotta contre sa main, la présence de la chatte de la forêt ne fit rien pour la ramener à la réalité.
— Vous ne pouvez pas être mourants, dit Kate. Pas comme ça, pas après toutes les épreuves que nous avons traversées. Ce n’était pas censé se passer comme ça.
Sophia entendait le chagrin de sa sœur et voyait les larmes se former dans ses yeux. C’était presque aussi choquant que le reste parce que, normalement, Kate ne pleurait jamais : pour éviter de le faire, elle se mettait en colère.
— Ne pleurez pas, mes chéries, dit leur mère en tendant les bras. Cette menace pèse sur nous depuis longtemps.
Sophia quitta son fauteuil pour aller la retrouver et se rendit compte que Kate faisait la même chose.
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