Nina grimaça. « Shane a dit ça ? »
Keira hocha de la tête, et se sentit plus triste et plus déprimée que jamais.
Nina lui serra de nouveau l’épaule. « Tu es jeune. Trop jeune pour t’installer. Le monde est grand et tu n’en as vu qu’une fraction. »
« Merci », acquiesça Bryn. « C’est ce que je lui ai dit. Elle a encore la vingtaine, pour l’amour du ciel. Attend d’atteindre la trentaine, au moins. »
Nina leva un sourcil. « Dis plutôt la quarantaine », dit-elle, le ton cinglant. « Plus quelques années pour la chance. Je ne suis pas pressée de m’installer. Malgré ce que les médias peuvent me dire à propos de mon horloge biologique. »
« Les médias ? », lança malicieusement Keira. « Tu veux dire comme nous ? Nous sommes des journalistes après tout. C’est notre travail de faire croire aux gens qu’ils veulent des choses. Comme l’amour », ajouta-t-elle amèrement.
Nina rit et Keira se sentit un peu mieux. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre et observa les rues animées de New York, remplies de gens en chemin pour le travail, d’autres qui revenaient de fêtes nocturnes, des gens vêtus de costumes coûteux, d’autres en T-shirts avec des slogans pleins d’esprit. Elle pouvait voir tant de personnes diverses et de nationalités, et toutes les coiffures imaginables. Ils se dépêchaient, luttant contre les vents froids que l’automne avait amenés.
En les étudiant, Keira réalisa à quel point elle aimait sa ville. Elle n’aurait jamais été heureuse de vivre en Irlande. Shane avait eu raison à propos de cela. Déménager n’était pas une option pour elle. Elle était New York jusqu’à la moelle. La ville coulait pratiquement dans son sang.
Elle reporta son attention sur Nina et Bryn.
« Alors, comment Elliot a-t-il pris mon absence aujourd’hui ? », demanda-t-elle à Nina, plus que prête à changer de sujet de conversation.
Nina remua son café. « Honnêtement, il a l’air un peu distrait aujourd’hui. Je l’ai surpris en train d’avoir une discussion houleuse au téléphone l’autre soir alors que je travaillais tard. Je pense qu’il y a peut-être quelqu’un qui essaie de racheter le magazine. »
Keira leva les sourcils de surprise. « Mais ça n’arrivera pas. Elliot ne vendrait pas. Il adore Viatorum. Trop parfois. »
Nina haussa simplement les épaules et but une gorgée de café. « Parfois, ce n’est pas combien tu aimes quelque chose qui compte. Si l’une des grandes entreprises lance un magazine concurrent, copie notre modèle mais utilise tous ses moyens financiers et ses connexions pour grandir et nous enterrer, il n’aura plus d’autre choix que de vendre. Parfois, la seule façon pour un indépendant comme Viatorum de rester viable est que le patron comme Elliot fasse des compromis sur la propriété. »
« Mais ce serait comme être rétrogradé pour lui, non ? », demanda Keira. « Il passerait de propriétaire absolu à seulement quoi, gestionnaire ? »
Nina inclina la tête sur le côté. « Ce n’est pas si mauvais. Il pourrait gagner plus d’argent de cette façon. Il aurait juste à rendre des comptes à des supérieurs. Il perdrait probablement une certaine liberté de création. » Elle haussa à nouveau les épaules. « En fait, il perdrait assurément une certaine liberté de création. »
Keira se mordit la lèvre en envisageant la prémonition de Nina. Pourquoi les choses devaient-elles toujours changer si vite ? Ce matin, elle s’était réveillée avec un partenaire aimant et un travail génial. Maintenant elle était assise, baignée de larmes et déprimée, dans un café, de nouveau sur le marché, et s’inquiétait de sa situation professionnelle.
« Eh bien, c’est une façon de débarrasser mon esprit de Shane », dit ironiquement Keira à Nina.
« Oh mon Dieu, désolée », dit Nina. « Je ne voulais pas t’inquiéter. Je suis sûre que rien ne changera pour toi, ou moi, ou n’importe qui d’autre d’ailleurs. Ce ne sera que pour Elliot vraiment. J’ai déjà traversé des rachats auparavant, d’innombrables fois, en fait. C’est généralement plutôt imperceptible pour la plupart du personnel. »
Keira serra les lèvres. « Nous verrons », répondit-elle.
Nina avait l’air un peu paniquée, pensa Keira, et elle regarda son amie croiser le regard de Bryn comme si elle essayait de l’inciter à prendre le relais. Bryn s’illumina brusquement comme si elle avait été frappée par une idée.
« J’ai une idée géniale », dit-elle, les yeux écarquillés.
« Pourquoi ai-je l’impression que je ne vais pas aimer ça ? », répondit Keira en plissant les yeux.
« Il y a une soirée sensationnelle chez Gino ce soir, tu sais, cet authentique restaurant italien en ville », dit Bryn. « C’est sur le thème d’Halloween. En fait, c’est sur le thème de la Journée des Morts, qui est une fête italienne dont je n’ai jamais entendu parler, mais ça a l’air super effrayant et ils le prennent vraiment au sérieux chez Gino. Ça va être à moitié un bal masqué, à moitié un repas gothique. Ça a l’air dingue mais d’une manière super cool. »
Keira plissa encore plus les yeux tandis que Bryn jacassait. « Continue… », encouragea-t-elle sa sœur.
« Voilà », dit Bryn. « J’ai été invitée pour un rendez-vous par ce type que j’ai rencontré l’autre soir, Malcolm. Il voulait voir de quoi il s’agissait, tu sais, quelque chose de différent à essayer. J’ai évidemment dit oui bien sûr, tu me connais, j’essaierais n’importe quoi au moins une fois. Quoi qu’il en soit, il a mentionné aujourd’hui qu’il avait un ami célibataire et il se demandait si je connaissais quelqu’un avec qui je pourrais organiser un double rendez-vous. J’allais inviter Tasha, mais pourquoi est-ce que tu ne viens pas à la place ? Maintenant que tu es de retour sur le marché. »
Keira n’eut même pas besoin d’une seconde pour prendre en considération la proposition de Bryn. Elle secoua la tête d’un non catégorique. « Absolument pas », dit-elle.
Nina se pencha en avant, apparemment sur la même longueur d’onde. « Je connais cet incroyable magasin de costumes », dit-elle. « Tu pourrais avoir une robe de bal complète, des gants, un masque, tout. »
Keira lui lança un regard foudroyant. « Pourquoi ne vas-tu pas au double rendez-vous si tu es si intéressée par l’idée ? »
Nina ferma la bouche. Bryn reprit son rôle de cajoleur en chef.
« Viens juste pour la nourriture au moins », dit Bryn. « Repas gratuit. Plats élaborés. Danse. Penses-y juste comme une soirée pour nous deux, avec juste deux gars qui suivent et règlent l’addition. Tu n’as même pas à leur dire ton vrai nom si tu ne veux pas, ou même enlever ton masque. Ce pourrait être une nuit d’anonymat. Tu pourrais inventer un tout nouveau personnage. »
Keira rit. « Laisse-moi deviner, tu l’as déjà fait avant ? »
Nina intervint alors. « S’il te plaît, ma chérie, tout le monde a déjà fait ça. Si tu n’as pas connu de rendez-vous où tu as prétendu travailler pour le FBI ou être l’héritière d’un milliard de dollars, alors tu n’as pas vraiment vécu. »
Secouant la tête, Keira jeta à nouveau un coup d’œil par la fenêtre. Elle regarda les gens qui grouillaient dans les rues. Certains magasins avaient déjà des décorations d’Halloween dans leurs vitrines. Elle aperçut un couple de gothiques qui marchait dans la rue – la femme en robe de dentelle noire portant une ombrelle, l’homme en cuir. Seulement à New York, pensa-t-elle, amusée.
La vie était censée être une acceptation des choses folles, se rappela-t-elle. Ne s’était-elle pas dit exactement la même chose ce matin ?
« D’accord », dit-elle en se tournant vers Bryn avec un soupir de résignation. « Je viendrai à ton bal. »
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