Quand elle eut les idées plus claires, elle se rendit compte d’une chose terrifiante : elle avait déjà été dans cette position. C’était exactement ce qu’elle avait subi deux mois auparavant quand son propre père, le cruel tueur en série Xander Thurman, l’avait capturée et torturée avant qu’elle ne réussisse à le tuer.
Était-ce le fait d’un imitateur ? Comment cela pouvait-il même être possible ? Les détails de l’incident n’avaient pas été rendus publics. Alors, elle entendit un bruit et vit une ombre à l’entrée de la grotte. Quand l’homme approcha assez pour qu’elle le voie, elle essaya de l’identifier, mais il avait le soleil dans le dos et les traits obscurcis. Tout ce qu’elle voyait, c’était la silhouette d’un grand homme mince et l’éclat du long couteau qu’il tenait.
L’homme avança et donna un coup de pied au corps de l’homme inconscient allongé sur le sable que Jessie avait pourchassé. Le corps roula et elle vit qu’il n’était pas inconscient. Il était mort. Quel qu’un lui avait maladroitement coupé la gorge et il avait la poitrine couverte de sang.
Jessie releva les yeux, mais elle ne voyait toujours pas le visage de son ravisseur. À l’arrière-plan, elle entendit un gémissement discret. Elle regarda dans le coin de la grotte et remarqua une chose qui lui avait échappé. Une jeune femme de moins de vingt ans était attachée à une chaise et elle était bâillonnée. C’était elle qui gémissait. Ses yeux terrifiés étaient écarquillés.
Ça aussi, ça semblait impossible. C’était juste ce qui s’était passé avant. Une autre fille avait été attachée exactement de la même manière lors de cette dernière rencontre. Cela aussi, on l’avait gardé secret. Pourtant, l’homme qui approchait maintenant de Jessie semblait tout savoir dans les moindres détails. Quand il se retrouva à seulement un mètre ou d’eux d’elle, elle vit finalement son visage et eut le souffle coupé.
C’était son père.
C’était incompréhensible. Elle l’avait tué elle-même lors d’un combat brutal. Elle se souvenait qu’elle lui avait écrasé le crâne entre les jambes. Est-ce que cela avait été un imposteur ? Avait-il survécu d’une façon ou d’une autre ? Quand il leva le couteau et se prépara à le plonger en elle, la question perdit de son importance.
Elle essaya de trouver un meilleur équilibre pour pouvoir bondir et le repousser d’un coup de pieds mais, même quand elle s’étirait le plus possible, ses pieds ne touchaient pas le sol. Son père la regarda avec une expression de pitié amusée.
— Croyais-tu que j’allais refaire cette erreur, petite chérie ? demanda-t-il.
Alors, sans dire un autre mot, il abattit le couteau en visant directement le cœur de Jessie. Elle ferma les yeux aussi fort que possible en se préparant au coup fatal.
*
Jessie eut le souffle coupé quand elle ressentit un vif élancement, pas à la poitrine mais dans le dos.
Jessie ouvrit les yeux, qu’elle avait serrés très fort, puis découvrit qu’elle n’était pas du tout dans une grotte marine mais dans son propre lit trempé de sueur, dans son appartement du centre-ville de Los Angeles. D’une façon ou d’une autre, elle s’était redressée.
Elle jeta un coup d’œil à la pendule et vit qu’il était 2 h 51 du matin. Si elle avait mal au dos, ce n’était pas parce qu’on l’y avait récemment frappée avec un couteau, mais plutôt à cause de l’intensité de sa dernière séance de kinésithérapie, qu’elle avait eue la veille. Cela dit, à l’origine, sa douleur persistante avait eu pour cause l’agression réellement perpétrée par son père huit semaines auparavant.
Il lui avait tailladé la chair en allant de juste au-dessous de son omoplate droite jusqu’aux alentours de son rein en tranchant muscles et tendons. L’opération chirurgicale qui avait suivi avait nécessité trente-sept points de suture.
Elle quitta son lit avec précaution et alla dans la salle de bains, où elle regarda dans le miroir et passa ses blessures en revue. Ses yeux passèrent très vite sur la cicatrice qu’elle avait au côté gauche de l’abdomen, cadeau permanent de son ex-mari et d’un tisonnier. Elle remarqua tout aussi peu la cicatrice que son père lui avait infligée avec son couteau alors qu’elle était encore enfant.
En fait, elle se concentra sur les blessures multiples qu’elle avait reçues lors de son combat à mort avec son père. Il l’avait tailladée plusieurs fois, surtout autour des jambes, laissant des cicatrices qui ne partiraient jamais et à cause desquelles elle pourrait difficilement porter un maillot de bain sans qu’on la regarde d’un air choqué.
Le coup le plus violent avait été porté sur sa cuisse droite, où il l’avait poignardée en tentant finalement, mais sans succès, de se dégager des genoux qui étaient en train de lui écraser les tempes. Jessie ne boitait plus, mais elle ressentait encore un inconfort léger à chaque fois qu’elle appuyait sur la jambe, c’est-à-dire à chaque pas. Le kinésithérapeute disait qu’il y avait des lésions nerveuses et que, même si la douleur allait diminuer au cours des quelques mois suivants, il était probable qu’elle ne disparaîtrait jamais complètement.
Malgré cela, on lui avait permis de retourner travailler comme profileuse criminelle pour la police de Los Angeles. Elle était supposée reprendre le travail le lendemain, ce qui expliquait peut-être la vivacité extrême de son cauchemar. Elle en avait connu des quantités d’autres, mais celui-là était gratiné.
Elle attacha ses cheveux marron mi-longs en queue de cheval et, de ses yeux verts pénétrants, contempla son propre visage. Jusqu’à présent, il était sans cicatrices et, d’après ce qu’on lui avait dit, il était encore très beau. Comme elle mesurait un mètre soixante-dix-sept et n’avait pas de rondeurs, on l’avait souvent prise pour un mannequin sportif, même si elle savait qu’elle aurait peu de chances de poser pour des photos de lingerie dans un avenir proche. Cependant, pour une femme qui allait avoir trente ans et qui avait connu autant de péripéties qu’elle, elle trouvait qu’elle se débrouillait très bien.
Elle se rendit dans la cuisine, se versa un verre d’eau et s’assit à sa table de petit-déjeuner, résignée à l’idée qu’elle n’allait pas dormir beaucoup plus longtemps cette nuit-là. Elle avait l’habitude de passer des nuits blanches, car, après tout, elle avait été pourchassée par deux tueurs en série. Toutefois, maintenant, l’un d’eux était mort et l’autre avait apparemment décidé de la laisser vivre. Donc, théoriquement, elle aurait vraiment dû pouvoir se remettre, mais cela ne semblait pas fonctionner comme ça.
C’était en partie dû au fait qu’elle ne pouvait pas être certaine à cent pour cent que l’autre tueur en série qui s’était intéressé à elle, Bolton Crutchfield, ait vraiment définitivement disparu. Tout semblait indiquer que oui. Personne ne l’avait vu ou n’avait entendu parler de lui depuis la dernière fois où elle l’avait vu, huit semaines auparavant. Aucune piste n’avait émergé.
Chose plus importante, elle savait qu’il l’appréciait sans avoir envie de l’assassiner. Au cours des nombreuses entrevues qu’elle avait eues avec lui dans sa cellule avant qu’il ne s’évade, elle avait créé un lien. En fait, il l’avait avertie de la menace que constituait son propre père à deux occasions et s’était ainsi attiré la défaveur de celui qui avait autrefois été son mentor. Il semblait avoir oublié Jessie. Donc, pourquoi n’arrivait-elle pas à tourner la page ? Pourquoi ne se permettait-elle pas de passer une nuit à bien dormir ?
C’était probablement et partiellement dû au fait qu’elle était incapable de tourner la page sur quoi que ce soit. De plus, elle souffrait encore de quelques inconforts physiques. Enfin, c’était aussi presque certainement dû au fait qu’elle allait reprendre le travail dans environ cinq heures et probablement travailler à nouveau avec l’inspecteur Ryan Hernandez, pour lequel elle ressentait des choses qui étaient, pour le dire gentiment, compliquées.
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