Mackenzie parvint à sourire entre les larmes qu’elle essuya rapidement. Elle se demanda si ces pensées s’éclaircissaient soudain parce que maintenant, elle aussi était devenue mère. Elle avait entendu parler des femmes dont la personnalité changeait avec leur premier enfant mais n’y avait jamais vraiment cru. Mais voilà qu’elle se trouvait dans cette situation, preuve vivante que c’était possible, puisqu’elle sentait son cœur s’adoucir en pensant à une personne qu’elle avait démonisée pendant presque toute sa vie.
Le Nebraska défilait à travers la vitre de la voiture, ramenant Mackenzie à son passé. Et pour la première fois depuis qu’elle avait quitté Washington, elle se sentait impatiente de se replonger dans ce passé, advienne que pourra.
***
Patricia White vivait dans un trois pièces à dix kilomètres du Holiday Inn où elle travaillait. Il se trouvait dans un petit complexe qui n’était pas vraiment délabré mais qui aurait clairement eu besoin d’entretien et de maintenance. Mackenzie tenait son téléphone à la main, l’adresse et le numéro de l’appartement affichés sur l’écran, obtenus grâce à ses connexions dans le département des ressources du Bureau.
Lorsqu’elle s’approcha de l’appartement du deuxième étage où vivait sa mère, elle n’hésita pas devant la porte, et ne se paralysa pas comme elle l’avait imaginé. Elle frappa tout de suite, en faisant de son mieux pour ne pas trop y réfléchir. La seule vraie question était la manière dont elle entamerait la conversation… comment elle entrerait dans l’arène.
Elle entendit des pas approcher après quelques instants. Lorsque la porte s’ouvrit et qu’elle vit l’expression de surprise sur le visage de sa mère, ce fut le moment où Mackenzie se figea. Elle n’aurait su dire quand elle avait vu sourire sa mère pour la dernière fois, mais le sourire qui illumina son visage lui donna l’impression d’être face à une autre personne.
- Mackenzie, dit sa mère, la voix tremblante d’excitation. Seigneur, que fais-tu ici ?
- J’ai profité d’un congé pour venir te saluer.
Ce n’était pas un mensonge éhonté, donc elle n’y voyait pas de problème pour l’instant.
- Sans me prévenir ?
Mackenzie haussa les épaules.
- J’y ai pensé, mais je savais aussi comment ça se passerait. Et… j’avais besoin de faire une coupure.
- Tout va bien ?
Elle semblait sincèrement préoccupée.
- Ça va, maman.
- Eh bien, entre, entre. L’appartement est sens dessus dessous mais j’espère que tu n’y feras pas attention.
Mackenzie entra et vit que l’endroit n’était pas du tout sens dessus dessous. En réalité, il était plutôt ordonné. La décoration était minimale, c’est pourquoi le regard de Mackenzie fut presque tout de suite attiré par la vieille photo de Stéphanie et elle sur la table à côté du canapé.
- Comment vas-tu, maman ?
- Bien. Très bien, en réalité. J’économise de l’argent par-ci par-là, donc j’ai fini par réussir à rembourser mes dettes. J’ai reçu une promotion au travail… ce n’est toujours pas le job de ma vie, mais j’ai un meilleur salaire et je dirige plusieurs filles de l’équipe. Et toi ?
Mackenzie s’assit sur le canapé en espérant que sa mère l’imiterait. Elle lui en fut reconnaissante. Elle n’avait jamais été du genre à dire tu ferais mieux de t’asseoir parce que cela lui avait toujours semblé bien trop dramatique.
- Eh bien, j’ai une nouvelle à t’annoncer. (Elle initia le lent processus d’ouvrir l’application Photos sur son téléphone et de chercher un cliché en particulier). Tu sais qu’Ellington et moi nous sommes mariés, n’est-ce pas ?
- Oui, je sais. C’est marrant que tu l’appelles toujours par son nom de famille. C’est un truc du travail ?
Mackenzie ne put s’empêcher de ricaner.
- Ouais, je crois. Es-tu triste d’avoir raté un mariage ?
- Bon dieu, non. Je déteste les mariages. C’est sans doute l’une des décisions les plus intelligentes que tu aies prise.
- Merci, répondit-elle. (Elle était si nerveuse qu’elle eut l’impression d’entrer en fusion lorsque les mots suivants franchirent ses lèvres) : Écoute, je suis venue parce que j’ai autre chose à partager avec toi.
Sur ce, elle lui tendit son téléphone. Sa mère le prit et regarda la photo de Kévin dans sa petite couverture de naissance, à deux jours, juste avant qu’ils ne quittent l’hôpital.
- Est-ce… ? demanda Patricia.
- Tu es grand-mère, maman.
Les larmes ne se firent pas attendre. Patricia laissa tomber le téléphone sur le canapé et plaqua ses mains contre sa bouche.
- Mackenzie… il est magnifique.
- Oui.
- Quel âge a-t-il ? Tu es bien trop en forme pour avoir accouché hier.
- Un peu plus de trois mois, répondit Mackenzie. (Elle détourna le regard en voyant la douleur marquer les traits du visage de sa mère). Je sais. Je suis désolée. J’aurais voulu t’appeler avant, pour te le dire. Mais après la dernière fois où nous avons parlé… Maman, je ne savais même pas si la nouvelle t’intéresserait.
- Je comprends, embraya-t-elle tout de suite. Et je suis extrêmement touchée que tu sois venue me le dire en personne.
- Tu ne m’en veux pas ?
- Bon dieu, non. Mackenzie… tu aurais pu ne jamais me le dire. Je n’aurais jamais su. Je pense que j’étais prête à ne jamais te revoir et… et je…
- Ne t’inquiète pas, maman.
Elle voulait faire un geste, lui prendre la main ou l’enlacer. Mais elle savait que ce serait étrange et leur semblerait forcé à toutes les deux.
- J’ai acheté un blender la semaine dernière, lança sa mère, à brûle-pourpoint.
- Euh… OK.
- Tu aimes les margaritas ?
Mackenzie sourit et acquiesça.
- Seigneur, oui. Je n’ai pas bu un verre depuis presque un an.
- Allaites-tu ? Peux-tu boire ?
- J’allaite, mais nous avons assez de stock dans le freezer.
Sa mère sembla d’abord perplexe puis éclata de rire.
- Désolée. Mais c’est tellement surréaliste… toi, avoir un bébé, congeler du lait maternel…
- C’est surréaliste, lui concéda Mackenzie. Tout comme être ici. Donc… où sont ces margaritas ?
***
- Ta dernière visite a été le déclencheur, enchaîna Patricia.
Elles étaient à nouveau installées sur le canapé, une margarita à la main. Elles s’étaient assises chacune à une extrémité – il était visible qu’elles n’étaient toujours pas tout à fait à l’aise avec la situation.
- Ah bon ? demanda Mackenzie.
- Tu ne cherchais pas à en imposer ou quoi que ce soit, mais j’ai vu à quel point les choses se passaient bien pour toi. Et j’ai pensé, c’est moi qui lui ai donné naissance. Je sais que je n’ai pas été une bonne mère… du tout. Mais je suis fière de toi, même si je n’ai pas grand-chose à voir avec ce que tu es devenue. Et ça m’a fait penser que je pouvais peut-être évoluer, moi aussi.
- Et tu peux.
- J’essaie, affirma-t-elle. Cinquante-deux ans et finalement solvable. Bien sûr, travailler dans un hôtel n’est pas la meilleure des carrières…
- Mais es-tu heureuse ? s’enquit Mackenzie.
- Oui. Encore plus depuis que tu es là. Et que tu m’as donné ces merveilleuses nouvelles.
- Depuis que j’ai résolu l’affaire de papa… je ne sais pas. Pour être honnête, je pense que j’ai juste essayé d’éviter de penser à toi. Je me suis dit que si je pouvais mettre ce qui était arrivé à papa derrière moi, je pouvais aussi te reléguer dans le passé. Et j’étais prête à le faire. Et puis Kévin est arrivé, et Ellington et moi avons réalisé que nous ne lui offrions pas vraiment de famille, en dehors de tous les deux. Nous voulons que Kévin ait des grands parents, tu sais ?
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