- Donc la caméra a une vue panoramique sur la rue, en gros, expliqua Webber. En revanche, on ne voit pas le parking souterrain, donc la silhouette n’a pas été filmée en train d’y entrer.
Ils déambulèrent lentement dans la rue. Mackenzie observa le trottoir et les devantures de magasins, sans savoir ce qu’elle cherchait exactement. C’était une impasse. Elle se tourna et examina les alentours pour essayer de reconstituer la scène et déterminer si le tueur aurait pu se mettre quelque part à couvert.
Comme s’il lisait dans ses pensées, Webber désigna un espace à trois boutiques de distance derrière celle du prêteur à gages.
- Il y a une ruelle par là. J’y ai jeté un coup d’œil hier. Il n’y a aucun indice mais il est très possible qu’il se soit caché là pour attendre que Mme Torres sorte du travail.
Ils continuèrent à marcher jusqu’à atteindre le Sixteenth Street Diner. Le parking souterrain se voyait clairement depuis la devanture, à quelques mètres de distance. Mackenzie observa la porte du café-restaurant. Une odeur persistante de bacon et de café en émanait.
- Avez-vous eu l’opportunité de discuter avec ses collègues ? demanda Mackenzie.
Elle ressentait le besoin urgent d’entrer pour voir ce qu’elle pouvait tirer d’eux elle-même mais en même temps, elle n’avait jamais été partisane d’accomplir deux fois la même tâche. Si Webber avait été efficace, elle ne voyait pas l’intérêt de retourner les mêmes pierres.
- Oui. Quatre employés incluant le superviseur. Tout est dans les compte-rendu. Honnêtement, la seule chose à retenir, c’est qu’ils ont dû mettre dehors des hommes parce qu’ils avaient eu la main légère. Personne n’a dit du mal de Mme Torres, mais il était clair que les autres serveuses l’enviaient. L’une d’elle est allée jusqu’à dire qu’elle avait toujours eu peur qu’un malheur lui arrive. Mme Torres avait apparemment tendance à mettre des vêtements trop décolletés et des mini-jupes en cuir pour obtenir de bons pourboires. C’est la sorte d’endroit où un tel accoutrement est acceptable pour le service du soir.
Ils marchèrent jusqu’à revenir au parking souterrain. Rien n’avait attiré l’œil de Mackenzie mais en même temps, elle se sentait plus proche de la victime et du tueur car elle avait fait le même trajet qu’eux – un trajet qui, pour Mme Torres, avait été le dernier.
Tandis qu’ils se dirigeaient vers leurs voitures, Webber demanda :
- Autre chose que vous aimeriez voir avant que nous nous plongions dans la paperasse ?
- Je crois que nous pouvons aller au bureau de terrain, rétorqua Mackenzie. À moins que je sois en train de passer à côté de quelque chose de si évident que je ne le vois pas, je ne pense pas qu’il y ait autre chose à trouver que les experts médicaux-légaux n’aient pas déjà découvert.
- Absolument. Vous pouvez me suivre.
Mackenzie retourna à sa voiture en levant les yeux au ciel face à l’excitation puérile qui agitait Webber lorsqu’il monta dans la sienne. Cela faisait un moment que personne ne lui remémorait son passé – la manière dont elle avait gravi si rapidement les échelons, de policière insignifiante à célèbre agent du FBI. Il n’était pas désagréable d’avoir un aperçu de cette époque, un rappel d’où elle venait et de tout ce qu’elle avait accompli.
Mais tout cela appartenait désormais au passé. Lorsqu’elle repensait à la femme qu’elle avait été, elle avait l’impression de s’efforcer de se souvenir des actes et des manies d’une étrangère.
Il s’agit peut-être du rappel dont j’ai besoin si je veux vraiment remonter en selle, pensa Mackenzie. Mais elle se rendait compte, tandis qu’elle sortait du parking derrière Webber, que se remémorer le Tueur Épouvantail et le désordre de sa vie personnelle de l’époque était l’équivalent d’entrer dans une maison hantée et de s’enfermer à l’intérieur.
Webber lui montra son bureau temporaire, un espace de la taille d’un placard à balais. Il lui fournit un ordinateur portable et lui apporta un exemplaire de tous les documents associés aux deux meurtres. Il lui demanda même si elle voulait un café et un donut, visiblement désireux de la mettre à l’aise. Elle aurait préféré plus d’indifférence ; il se comportait déjà plus comme un assistant que comme un agent junior. S’il ne se calmait pas bientôt, elle serait obligée d’avoir une discussion avec lui.
Heureusement, il n’y avait rien de nouveau à parcourir. Webber lui avait expliqué tout ce à quoi elle n’avait pas eu accès la veille dans le parking souterrain. Le premier document sur lequel elle se concentra fut le rapport du légiste au sujet de la première victime, Amy Hill, tuée à Portland. Elle lut le rapport, et se rendit compte qu’ils étaient arrivés à la conclusion qu’elle avait été frappée par une branche de chêne au moins quatre fois sur le front et une fois sur le crâne. En revoyant les blessures et en prenant connaissance des rapports du légiste, elle se demanda comment quelqu’un avait pu penser que ces blessures avaient été assénées au marteau.
On lui donna ensuite accès aux caméras de sécurité du prêteur sur gage. Elle la regarda plusieurs fois, passant une demi-heure à scruter la même séquence de dix-huit secondes. Parce qu’il avait été filmé par une seule caméra, elle ne pouvait le voir que sous un angle. Pourtant, c’était suffisant pour se rendre compte que la silhouette qui suivait Sophie Torres s’efforçait de passer inaperçue. La scène tout entière était floue sur les côtés, sûrement à cause de la pluie.
Elle ne distinguait pas même une ombre de peau. Même les mains de la silhouette étaient enfoncées dans les poches du ciré. L’homme avançait d’un air décidé, la tête penchée en avant, le dos voûté. Il ne se retourna pas une seule fois pour s’assurer qu’il n’était pas suivi. Après le onzième visionnage de l’enregistrement, Mackenzie ferma le logiciel et détourna le regard. Il n’y avait rien à trouver ici.
- Connaît-on la météo de la nuit où Amy Hill a été tuée ? demanda Mackenzie.
- Je ne crois pas, répondit Webber. Mais je peux facilement me procurer un rapport. Vous pensez que la météo a quelque chose à voir avec les meurtres ?
- Aucune idée. Mais pour l’instant, je fais feu de tout bois.
- Je comprends, déclara Webber en astiquant l’écran de son téléphone portable comme un bandit nettoierait son arme.
Il tapa un message et fit défiler des publications tandis que Mackenzie observait les photos de la scène de crime d’Amy Hill. Parce que son corps avait été découvert dans une fontaine publique, il était impossible de savoir s’il pleuvait au moment où elle était morte.
- D’après ce que je vois, dit Webber en lui montrant le fil d’actualités de Portland, avec la météo de ces sept derniers jours, il n’y avait pas un nuage la nuit où Amy Hill a été tuée. Pas de pluie.
- Le rapport indique qu’elle a été tuée entre minuit et deux heures du matin, enchaîna-t-elle en se plongeant dans le dossier pour la quatrième fois. Ce qui signifie qu’elle a été tuée à peu près à la même heure que Sophie Torres. Et à moins que je rate quelque chose, c’est le seul point commun.
- Eh bien ça, et le fait qu’elles aient été frappées à la tête, fit remarquer Webber. Bien sûr, nous savons maintenant que ce n’est pas la même arme qui a été utilisée, mais cela reste une attaque au niveau de la tête. Certes, ce n’est pas énorme, mais…
Elle remarquait qu’il était hésitant, comme s’il avait peur qu’elle le corrige ou qu’elle soit en désaccord avec lui à tout moment. Elle se demanda s’il agissait ainsi avec tous les agents avec qui il faisait équipe ou si elle l’impressionnait. Si la deuxième option s’avérait juste, elle le plaignait ; elle ne méritait l’admiration de personne. Sa première année, particulièrement la transition soudaine de sa fonction de policière dans une petite ville à jeune agent fédéral valait bien quelques gros titres. Mais maintenant, elle ne sentait plus aucune différente entre les autres agents et elle. Elle était mariée, elle avait un enfant, elle s’était rangée. Même si elle aimait profondément sa famille et son job, elle n’avait pas l’impression d’être spéciale.
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