- Pendant combien de temps sont-ils sortis ensemble ? demanda Webber.
- Un an, peut-être ? suggéra M. Torres. Peut-être un peu plus.
- Une idée de la raison pour laquelle ils ont rompu ? continua Mackenzie.
- Je crois qu’il s’accrochait trop à elle. (C’était Mme Torres. Elle avait apparemment repris le contrôle sur ses émotions et voulait apporter sa contribution à l’enquête). Sophie était arrivée à un moment de sa vie où elle était prête à être adulte. Elle comptait arrêter de travailler au restaurant et faire du mannequinat.
- Elle était modèle ?
- Seulement à temps partiel, leur apprit Mme Torres. Rien de très important. Quelques photos pour des publicités en ligne et imprimées. Elle a joué dans un spot publicitaire à la télé il n’y a pas si longtemps mais il n’a jamais été diffusé.
- Quand avez-vous parlé à son ex-compagnon pour la dernière fois ? s’enquit Webber.
- En dehors du message que je lui ai laissé, fit M. Torres, nous avons parlé avec lui seulement le soir où elle nous l’a amené au dîner.
- Connaissez-vous son nom ? demanda Mackenzie.
- Ken Grainger, répondit Mme Torres.
- Si vous le voyez, renchérit M. Torres, assurez-vous qu’il sache que l’une des dernières choses que mon bébé a vue était probablement l’un de ses messages stupides. Et si vous découvrez qu’il est responsable… je paierais cher pour passer cinq minutes seul-à-seul avec lui.
Une larme coula de son œil droit. Mackenzie se demanda si c’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un pleurer de colère. Ni elle ni Webber ne fit le moindre commentaire. Lorsqu’ils prirent congé et quittèrent la maison, Mackenzie sentait encore la colère de M. Torres lui coller à la peau comme une toile d’araignée.
***
Avec l’aide de l’équipe spécialisée en technologies du bureau de terrain, Mackenzie et Webber obtinrent une adresse du domicile, du travail et le numéro de portable de Ken Grainger en un quart d’heure. Son appartement se trouvait à une dizaine de kilomètres du foyer des Torres, dans la zone la moins reluisante de la ville. Il s’agissait d’un quartier qui semblait coincé dans le passé. Sur la façade de son bâtiment, des graffitis proclamaient NIRVANA FOREVER, RIP KURT et LONGUE VIE À LAYNE.
- Je comprends les références à Nirvana et à Kurt Cobain, déclara Mackenzie. Mais qui est Layne ?
- Layne Staley. Le chanteur d’Alice in Chains. Il est difficile d’échapper au mouvement grunge quand on vit dans les alentours d’une ville pareille.
Mackenzie hocha la tête. Au-delà de Starbucks et de la pluie perpétuelle, Seattle était aussi connue pour être le berceau de la musique grunge. Elle vit d’autres graffitis, des petites discothèques et un nombre alarmant de magasins de disques sur le chemin de l’appartement de Grainger. Lorsqu’ils arrivèrent à destination, personne ne leur ouvrit la porte. Ce n’était pas étonnant dans la mesure où l’après-midi venait de commencer et où la plupart des gens travaillaient.
Cependant, un appel passé à son lieu de travail, Next Wave Graphics, donna un résultat similaire. Un homme au ton de voix excédé leur apprit que Ken Grainger n’était pas venu travailler depuis trois jours et ne répondait pas au téléphone. L’homme excédé demanda à Mackenzie d’annoncer à Ken qu’il n’avait plus de travail.
- Cela semble plus que suspicieux, je dirais, commenta Webber.
- Je suis d’accord, renchérit Mackenzie. Nous devons mettre rapidement la main sur lui. Si c’est notre coupable et qu’il n’a pas de problème pour passer d’un État à l’autre, nous risquons de le perdre. (Elle y songea pendant un moment tandis que Webber et elle s’installaient dans la voiture, deux thermos de café à la main. Tout en réfléchissant à la prochaine étape, Mackenzie demanda) : Savez-vous quel agent pourrait nous dégoter rapidement des informations personnelles ? Numéro de sécurité sociale, relevé de la carte de crédit, des choses comme ça ?
- Eh bien, c’est assez basique, donc on devrait pouvoir obtenir ces infos en une vingtaine de minutes, répondit Webber.
- J’aimerais que ça aille encore plus vite. Laissez tomber la sécurité sociale pour l’instant. Voyons si Ken Grainger possède une carte de crédit.
Webber s’exécuta, sortant son téléphone presque trop docilement. Il regardait la rue à travers le pare-brise puis Mackenzie tout en parlant à son interlocuteur. Mackenzie écoutait, un peu impressionnée de la manière dont Webber donnait des instructions à l’agent à l’autre bout du fil. Elle commençait à comprendre qu’un certain nombre d’employés du bureau de terrain de Seattle respectaient Webber. Lorsqu’on lui demandait quelque chose, il ne posait pas de question et obtenait rapidement des réponses.
Les données de la carte de crédit de Ken Grainger ne firent pas exception. Webber obtint ce qu’il cherchait en six minutes. Il posa une main sur le micro et jeta un coup d’œil à Mackenzie :
- Je l’ai. Il a lancé un contrôle pour savoir quand elle a été utilisée pour la dernière fois… (Il s’arrêta net, en parlant dans le combiné). Ouais… oh, vraiment ? Oui, ce serait génial. Merci.
Il raccrocha et démarra la voiture.
- La carte de crédit de Ken Grainger a été utilisée pour la dernière fois dans une station essence à environ trente kilomètres d’ici. Elle a été utilisée à la pompe à environ 8h37 ce matin.
- Donc il est toujours dans les parages, conclut Mackenzie. C’était il y a à peine trois heures.
- Encore mieux, continua Webber. C’est la dernière fois qu’elle a été utilisée en personne. Mon gars m’a dit qu’elle avait aussi été utilisée pour régler une commande Amazon. Il y a moins d’une heure.
- Sait-on d’où ?
- Pas encore. Ils sont en train de chercher l’adresse IP et la localisation d’origine de cette adresse IP. Pour l’instant, on se dirige vers la station essence, en supposant qu’il ne soit pas être loin, si l’on en croit cette commande Amazon.
- C’est du bon boulot, le félicita-t-elle.
Webber semblait radieux après avoir entendu le compliment. Il accéléra en direction des meilleurs quartiers de la ville. Alors que la voiture fendait l’asphalte, une pluie fine commença à tomber, même si le ciel était encore bleu.
Moins de deux minutes plus tard, le téléphone de Webber sonna. Il répondit immédiatement, par monosyllabes, avant de raccrocher, un sourire enthousiaste aux lèvres.
- La commande Amazon a été passée d’un ordinateur portable à environ six minutes d’ici, l’informa-t-il.
À cet instant, Mackenzie comprit que parfois, certaines choses étaient simplement universelles. Elle travaillait avec Ellington depuis si longtemps qu’elle avait presque oublié ce qu’on ressentait face à l’excitation d’un autre agent. Et dans ce climat d’excitation, ni elle ni Webber ne prononça un mot. C’était un peu comme sur une montagne russe, les conversations normales ou les plaisanteries n’avaient pas lieu d’être lorsque la barre de métal se posait sur vos genoux et qu’il était temps de dévaler les rails. Ils restèrent calmes et silencieux tandis que Webber fonçait en direction de l’adresse qu’on lui avait donnée.
Mackenzie se sentait un peu coupable de prendre autant de plaisir. Avec Ellington, elle était rapidement entrée dans une sorte de routine en termes de travail. Ils se reposaient l’un sur l’autre et de temps en temps, pouvaient communiquer d’une manière qui ressemblait diablement à de la télépathie. Mais ce genre d’avantages avaient aussi leurs inconvénients : les enquêtes à ses côtés étaient devenues communes, presque ennuyeuses. Tandis que Webber dévalait les rues, en prenant des virages si rapidement que les pneus crissaient, Mackenzie se demanda si ce n’était pas exactement ce dont elle avait besoin. Une petite décharge d’adrénaline après être finalement sortie de son congé maternité prolongé pourrait faire des merveilles.
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