Khalil avait ensuite parlé de l’Imam Mahdi, le Rédempteur, le dernier des Imams, des hommes saints. Mahdi serait celui qui apporterait le Jour du Jugement et qui débarrasserait le monde du mal. Khalil pensait que ça arriverait très bientôt et, après la rédemption du Mahdi, viendrait l’utopie. Chaque être dans l’univers serait sans faille, intelligent et inaltérable.
Les deux hommes étaient restés assis ensemble pendant plusieurs heures, tard dans la nuit et, quand la tête d’Adrien était devenue aussi brumeuse que l’épais brouillard dans l’air autour d’eux, il avait fini par poser la question qui lui trottait dans la tête.
“Est-ce que c’est vous, Khalil ?” avait-il demandé au saint homme. “Êtes-vous le Mahdi ?”
L’Imam Kahlil avait esquissé un large sourire à ces mots. Il avait pris la main d’Adrien dans la sienne et avait dit gentiment, “Non, mon fils. C’est toi. Tu es béni. Je peux le voir aussi clairement que je vois ton visage.”
Je suis béni. Dans la cuisine de leur appartement de Marseille, Adrien colla ses lèvres contre le front de Claudette. Elle avait raison : il avait fait une promesse à Khalil et il devait la tenir. Il récupéra la boîte en acier sur le comptoir et la rapporta aux deux arabes en train d’attendre. Il déclipsa le couvercle et souleva la moitié supérieure du cube en mousse pour leur montrer le minuscule flacon de verre hermétiquement scellé qui se trouvait à l’intérieur.
On aurait dit qu’il n’y avait rien dans le flacon… ce qui faisait partie de la nature même d’être l’une des substances les plus dangereuses du monde entier.
“Chérie,” dit Adrien en replaçant la mousse et en refermant soigneusement le couvercle. “J’ai besoin que tu leur dises dans des termes très clairs qu’ils ne doivent absolument en aucun cas toucher ce flacon. Il doit être manipulé avec la précaution la plus extrême.”
Claudette relaya le message en arabe. Soudain, le syrien qui tenait la boîte eut l’air bien moins à son aise que l’instant d’avant. L’autre homme fit un signe de tête pour remercier Adrien et murmura une phrase en arabe qu’Adrien comprit : “Allah est avec toi, que la paix t’accompagne.” Ensuite, sans prononcer un mot de plus, les deux hommes quittèrent l’appartement.
Une fois qu’ils furent partis, Claudette tourna le verrou et remit la chaîne, puis elle se tourna vers son amant avec une expression rêveuse et satisfaite sur les lèvres.
Adrien, cependant, restait enraciné sur place, le visage sombre.
“Mon amour ?” dit-elle avec prudence.
“Qu’est-ce que je viens de faire ?” murmura-t-il. Il connaissait déjà la réponse : il venait de remettre un virus mortel entre les mains de deux étrangers, non pas entre celles de l’Iman Khalil. “Et s’ils ne lui donnent pas ? Et s’ils le font tomber, qu’ils l’ouvrent ou…”
“Mon amour.” Claudette passa ses bras autour de sa taille et posa sa tête contre sa poitrine. “Ce sont des disciples de l’Imam. Ils vont faire très attention et l’emmener là où il doit aller. Aies confiance. Tu viens de faire le premier pas pour changer le monde en mieux. Tu es le Mahdi. Ne l’oublie pas.”
“Oui,” dit-il doucement. “Bien sûr. Tu as raison, comme toujours. Et je dois terminer.” Si cette mutation ne marchait pas comme elle le devrait, ou s’il ne produisait pas le lot complet, il n’avait aucun doute que ce serait considéré comme un échec, non seulement aux yeux de Khalil, mais aussi aux yeux de Claudette. Sans elle, il s’effondrerait. Il avait besoin d’elle comme on a besoin d’air, de nourriture ou des rayons du soleil.
Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu’ils allaient faire de l’échantillon : si l’Imam Khalil allait le tester de façon privée, dans un lieu reculé, ou s’il allait le relâcher publiquement.
Mais il le découvrirait bien vite de toute façon.
“Papa, tu n’as pas besoin de m’accompagner à la porte à chaque fois,” Maya lui saisit le bras, alors qu’ils traversaient Dahlgren Quad vers Healy Hall sur le campus de Georgetown.
“Je sais que je n’ai pas besoin de le faire,” répondit Reid. “J’en ai envie. Quoi, tu as honte d’être vue en compagnie de ton père ?”
“Ce n’est pas ça,” murmura Maya. Le trajet s’était fait en silence, Maya regardant pensivement par la fenêtre, alors que Reid essayait de trouver un sujet de conversation sans y parvenir.
Maya approchait de la fin de sa première année au lycée, mais elle avait déjà testé un peu le programme AP et avait donc commencé à prendre quelques cours par semaine sur le campus de Georgetown. C’était une belle immersion dans le monde de l’université et ça aurait belle allure sur sa candidature, d’autant que Georgetown était pour l’instant son premier choix. Reid avait non seulement insisté pour conduire Maya à l’université, mais également pour l’accompagner jusqu’à sa salle de cours.
La veille au soir, quand Maria avait soudain été forcée de couper court à leur rencart, Reid s’était dépêché de rentrer chez lui retrouver ses filles. Il était extrêmement perturbé par la nouvelle de l’évasion de Rais. Sur le trajet du retour, ses doigts tremblaient sur le volant de sa voiture, mais il s’était efforcé de rester calme et avait tenté de réfléchir de manière logique. La CIA était déjà à sa poursuite, tout comme Interpol très certainement. Il connaissait le protocole : chaque aéroport serait surveillé et des blocages routiers seraient établis sur les voies principales de Sion. Et Rais n’avait plus d’alliés vers qui se tourner.
En outre, l’assassin s’était échappé en Suisse, à plus de six mille kilomètres de là. La moitié d’un continent et un océan entier le séparait de Kent Steele.
Pourtant, il savait qu’il se sentirait beaucoup mieux quand il saurait Rais de nouveau en détention. Il ne doutait pas des capacités de Maria, mais il regrettait de ne pas avoir eu la présence d’esprit de lui demander de le tenir au courant à chaque avancée.
Maya et lui atteignaient l’entrée de Healy Hall quand Reid s’arrêta. “Très bien, on se voit après tes cours ?”
Elle lui jeta un regard suspicieux. “Tu ne m’accompagne pas à l’intérieur ?”
“Pas aujourd’hui.” Il avait l’impression de savoir pourquoi Maya avait été si silencieuse ce matin. Il lui avait donné une once d’indépendance le soir d’avant mais, aujourd’hui, il reprenait de nouveau ses habitudes. Il fallait qu’il garde en tête que ce n’était plus une petite fille. “Écoute, je sais que je t’ai un peu étouffée ces derniers temps…”
“Un peu ?” ironisa Maya.
“…Et j’en suis désolée. Tu es une jeune femme capable, pleine de ressources et intelligente. Et tu veux juste un peu d’indépendance. Je le comprends. Ma nature surprotectrice est mon problème, pas le tien. Tu n’as rien fait pour que je me conduise ainsi.”
Maya essaya de cacher le sourire sur son visage. “Je rêve où tu viens de dire que ce n’est pas ma faute, mais la tienne ?”
Il acquiesça. “Oui, parce que c’est la vérité. Je ne pourrais jamais me le pardonner si quelque chose t’arrivait et que je n’étais pas là.”
“Mais tu ne seras pas toujours là,” répondit-elle, “malgré tous tes efforts. Et je dois être en mesure de pouvoir gérer mes problèmes toute seule.”
“Tu as raison. Je vais faire de mon mieux pour lâcher un peu de lest.”
Elle haussa un sourcil. “Tu me le promets ?”
“Je te le promets.”
“OK.” Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur sa joue. “On se voit après les cours.” Elle se dirigeait vers sa salle de classe, mais une pensée lui vint d’un coup. “Tu sais quoi ? Je devrais peut-être apprendre à tirer, juste au cas où…”
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