Le vrai prénom de Maria est Clara. Elle te l’a dit après la première nuit que vous avez passée ensemble. Après la mort de Kate.
Non. Après l’assassinat de Kate.
Mon dieu. Kate. Le souvenir l’avait frappé comme un coup de marteau sur la tête. Elle avait été empoisonnée par une toxine puissante qui avait causé un arrêt respiratoire et cardiaque alors qu’elle se rendait à sa voiture en sortant du travail. Zéro avait toujours cru que c’était l’œuvre d’Amon et de leur principal assassin, mais les dernières paroles de Rais avant de mourir n’avaient rien été d’autre que trois lettres.
C-I-A.
Il faut que je sorte d’ici.
“Agents,” dit le Président Pierson, “je vous remercie une nouvelle fois pour vos services au nom du peuple américain.” Il leur fit un grand sourire à tous les quatre, avant de s’adresser à toute l’assemblée présente dans la pièce. “Maintenant, nous avons un excellent déjeuner qui nous attend dans la Salle à Manger de l’֥État, si vous voulez bien me suivre. C’est par ici…”
“Monsieur,” l’interrompit Zéro. Pierson se tourna vers lui, le sourire toujours aux lèvres. “J’apprécie votre proposition mais, si cela ne vous dérange pas, je, euh… Je crois vraiment qu’il faut que j’aille me reposer.” Il leva sa main droite enveloppée, épaisse comme le gant d’un receveur au baseball. “Ma tête somnole à cause des médicaments.”
Pierson hocha profondément la tête. “Bien sûr, Zéro. Vous méritez de prendre du repos et de passer du temps avec votre famille. Même si ça semble un peu incongru de donner une réception sans la présence de l’invité d’honneur, je doute que ce soit la dernière fois que nous nous voyons vous et moi.” Le président sourit à nouveau. “Ce doit être, quoi, la quatrième fois que nous nous rencontrons ainsi ?”
Zéro s’efforça de sourire à son tour. “La cinquième, si je ne me trompe pas.” Il serra une fois de plus la main du président, maladroitement et de la main gauche. Alors qu’il quittait le Bureau Ovale, escorté par deux agents des Services Secrets, il ne put s’empêcher de noter l’expression sur les visages de Rigby et de Mullen.
Ils ont l’air méfiants. Savent-ils que je sais ?
Tu deviens paranoïaque. Il faut que tu te casses d’ici et que tu réfléchisses.
Ce n’était pas de la paranoïa. Alors qu’il suivait les deux agents en costumes noirs dans le couloir, une alarme se mit à sonner dans sa tête. Il réalisa ce qu’il venait juste de faire. Comment ai-je pu être aussi négligent ! se gronda-t-il.
Il venait juste d’admettre devant tous les conspirateurs présents dans le Bureau Ovale qu’il se souvenait précisément du nombre de fois où il avait été félicité personnellement par Pierson.
Peut-être qu’ils n’y ont pas fait attention. Mais si, bien sûr. En arrêtant la Confrérie, Zéro s‘était très clairement présenté comme le principal obstacle en travers de leur chemin. Ils étaient conscients que Zéro savait des choses, du moins en partie. Et s’ils avaient le moindre doute sur le fait que sa mémoire soit revenue, il serait encore plus surveillé qu’avant.
Tout ceci voulait dire qu’il devait agir plus vite qu’eux. Ceux qu’il venait de laisser dans le Bureau Ovale étaient déjà en train de dérouler leur plan et Zéro était la seule personne qui en savait assez pour les arrêter.
*
Dehors, c’était une belle journée de printemps. Le temps était finalement en train de changer. Le soleil semblait chaud sur sa peau et les cornouillers de la pelouse de la Maison Blanche commençaient juste à se parer de petites fleurs blanches. Mais Zéro le remarqua à peine. Sa tête tournait. Il fallait qu’il s’éloigne de l’afflux de stimuli pour pouvoir traiter toutes ces informations soudaines.
“Kent, attends,” appela Maria. Strickland et elle pressaient le pas pour le rejoindre, alors qu’il marchait vers le portail. Il ne se dirigeait pas vers le parking pour retourner à la voiture. D’ailleurs, il ne savait pas vraiment où il allait en ce moment. Il n’était plus sûr de rien. “Tu es sûr que ça va ?”
“Ouais,” murmura-t-il sans ralentir. “J’ai juste besoin d’un peu d’air.”
Guyer. Il faut que je contacte le Dr. Guyer pour lui dire que la procédure a finalement marché.
Non. Je ne peux pas faire ça. Ils ont peut-être mis mon téléphone sur écoute. Et ils surveillent certainement aussi mes e-mails.
Est-ce que j’ai toujours été aussi paranoïaque ?
“Hé.” Maria l’attrapa par l’épaule et il pivota pour lui faire face. “Parle-moi. Dis-moi ce qui se passe.”
Zéro plongea son regard dans ses yeux gris, regarda la façon dont ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules et le souvenir d’eux ensemble s’insinua à nouveau dans sa tête. La chaleur de sa peau. La forme de ses hanches. Le goût de sa bouche sur la sienne.
Mais il y avait autre chose. Il comprit qu’il s’agissait de la culpabilité. Kate n’avait pas encore été tuée. Est-ce que nous… est-ce que j’ai… ?
Il chassa cette pensée de sa tête. “Comme je l’ai dit, ce sont les médicaments. Ils embrouillent vraiment mon esprit. Je n’arrive pas à réfléchir.”
“Laisse-moi te ramener chez toi,” proposa Strickland. L’Agent Todd Strickland n’avait que vingt-sept ans, mais il possédait un palmarès impeccable en tant que Ranger de l’Armée et s’était rapidement illustré à la CIA. Il portait toujours une coupe de cheveux de style militaire par-dessus un cou massif et un torse musclé, même s’il était tout aussi capable de se montrer doux et abordable si la situation l’exigeait. Et le plus important était qu’il s’était plus d’une fois comporté comme un ami en cas de besoin.
Même si Zéro savait tout ça, pour le moment il avait besoin d’être seul. Il lui paraissait impossible de réfléchir correctement avec des gens en train de lui parler. “Non, ça va aller. Merci.”
Il voulut se retourner, mais Maria le retint une fois de plus par l’épaule. “Kent…”
“J’ai dit que ça allait !” cria-t-il.
Maria ne broncha pas à son éclat de voix, mais elle plissa légèrement les yeux en plongeant son regard dans le sien, cherchant apparemment à comprendre ce qui lui arrivait.
Le souvenir de leur nuit lui revint involontairement et il sentit la chaleur envahir son visage. Nous étions sur une opération, postés dans un hôtel grec à attendre des instructions. Elle m’a séduit. J’ai été faible. Kate était encore en vie. Elle ne l’a jamais su…
“Je dois y aller.” Il recula de quelques pas pour s’assurer que ses deux amis agents ne tentent pas de lui emboîter le pas à nouveau. “Ne me suivez pas.” Puis, il se retourna et s’éloigna, les laissant plantés là, sur la pelouse de la Maison Blanche.
Il avait presque atteint le portail, quand il sentit une présence derrière lui et entendit un bruissement de pas. Il se retourna d’un coup. “Je vous ai dit de ne pas…”
Une petite brune aux cheveux longs s’arrêta net. Elle portait un blazer bleu marine et un pantalon assorti, avec des talons hauts. Elle leva un sourcil en regardant Zéro de curieuse façon. “Agent Zéro ? Je m’appelle Emilia Sanders,” lui dit-elle. “Assistante du Président Pierson.” Elle lui tendit une carte de visite blanche avec son nom et un numéro de téléphone dessus. “Il veut savoir si vous avez réfléchi à sa proposition.”
Zéro hésita. Pierson lui avait précédemment offert un poste au Conseil de la Sécurité Nationale, ce qui l’avait conduit à suspecter l’implication du président, mais il semblait que l’offre était sincère.
Non pas qu’il en voulait, mais il prit tout de même sa carte.
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