On ne lui avait pas donné de destination. On ne lui avait rien dit du tout, tandis que trois agents de la CIA qu’il ne reconnaissait pas l’escortaient en silence de l’hôpital en Pologne jusqu’à un avion qui l’attendait sur une piste de décollage. Toutefois, il avait été quelque peu étonné d’atterrir à l’aéroport international de Dulles, en Virginie, et non dans un site secret de la CIA comme Enfer Six au Maroc.
Une voiture de police l’avait conduit de l’aéroport jusqu’au QG de l’agence, le Centre du Renseignement George Bush à Langley, en Virginie. Une fois là-bas, il avait été jeté dans une cellule aux parois d’acier qui se trouvait dans un sous-sol et menotté à une table fixée au sol… tout ceci sans la moindre explication de la part de qui que ce soit.
Reid n’aimait pas l’effet causé par les analgésiques : son esprit n’était pas totalement en alerte. Mais il ne pouvait pas dormir, pas encore, et certainement pas dans cette position inconfortable à la table en acier, avec la chaîne des menottes passée dans une boucle en métal et serrée autour de ses poignets.
Cela devait faire quarante-cinq minutes qu’il était assis dans cette pièce, à se demander ce qui pouvait bien se tramer et pourquoi on ne l’avait pas encore jeté dans un trou, quand la porte s’ouvrit finalement.
Reid se leva immédiatement, se redressant du mieux possible en étant menotté à la table. “Comment vont mes filles ?” se hâta-t-il de demander.
“Elles vont bien,” répondit le Directeur Adjoint Shawn Cartwright. “Rasseyez-vous.” Cartwright était le patron de Reid… ou plutôt l’ancien patron de l’Agent Zéro, jusqu’à ce que Reid soit désavoué pour avoir désobéi en partant lui-même à la recherche de ses filles. À la mi-quarantaine, Cartwright était relativement jeune pour un directeur de la CIA, même si ses épais cheveux bruns avaient commencé à grisonner par endroits. Ce n’était sûrement qu’une coïncidence, mais ça avait commencé au moment où Kent Steele était revenu d’entre les morts.
Reid se rassit lentement, tandis que Cartwright prenait une chaise pour s’installer face à lui en se râclant la gorge. “L’Agent Strickland est resté avec vos filles jusqu’à ce que Sara puisse sortir de l’hôpital,” expliqua le directeur. “Ils sont tous les trois dans un avion pour rentrer, à l’heure où nous parlons.”
Reid poussa un léger soupir de soulagement, très léger sachant que la sentence allait désormais tomber pour lui.
La porte se rouvrit et la colère monta spontanément dans la poitrine de Reid, alors que la Directrice Adjointe Ashleigh Riker pénétrait dans la petite pièce, vêtue d’une jupe crayon grise et d’un blazer assorti. Riker était à la tête du Groupe des Opérations Spéciales, une faction de la Division des Activités Spéciales de Cartwright qui gérait les opérations internationales sous couverture.
“Qu’est-ce qu’elle fait ici ?” demanda Reid en la pointant du doigt. Son ton était tout sauf amical. Pour lui, Riker était indigne de confiance.
Elle prit un siège à côté de Cartwright en souriant chaleureusement. “J’ai, M. Steele, le réel plaisir de vous indiquer où vous allez vous rendre maintenant.”
Un nœud d’angoisse se forma dans son estomac. Bien sûr, Riker était enchantée de lui infliger sa punition. Son mépris pour l’Agent Zéro et sa façon de faire n’étaient pas un secret. Reid dut se rappeler que ses filles étaient en sécurité et qu’il savait à quoi s’attendre.
Mais ça ne rendait pas les choses plus faciles pour autant. “Ok,” dit-il calmement. “Alors, dites-moi, où est-ce que je vais aller ?”
“Chez vous,” répondit simplement Riker.
Le regard de Reid passa de Riker à Cartwright avant de se poser à nouveau sur elle, pas sûr d’avoir bien entendu. “Je vous demande pardon ?”
“Chez vous. Vous rentrez à la maison, Kent.” Elle poussa quelque chose vers lui sur la table. Une petite clé argentée glissa sur la surface polie jusqu’à portée de ses mains.
C’était la clé des menottes, mais il ne s’en empara pas. “Pourquoi ?”
“Je suis incapable de vous le dire,” dit Riker en haussant les épaules. “La décision vient de plus haut.”
Reid n’en revenait pas. Il était certes évidemment soulagé d’apprendre qu’on n’allait pas le jeter dans un trou misérable comme E-6, mais quelque chose ne tournait pas rond selon lui. Ils l’avaient menacé, désavoué, et on avait même envoyé deux agents de terrain à ses trousses… juste pour le relâcher ensuite ? Pourquoi ?
Les analgésiques qu’on lui avait donnés altéraient son processus de pensée. Son cerveau était incapable de traiter les données qu’il entendait. “Je ne comprends pas…”
“Cela fait cinq jours que vous êtes parti,” le coupa Cartwright. “Vous avez mené des interviews et fait des recherches pour un manuel d’histoire que vous écrivez. Nous avons les noms et coordonnées de plusieurs personnes qui peuvent corroborer cette histoire.”
“L’homme qui a commis ces atrocités en Europe de l’Est a été intercepté par l’Agent Strickland à Grodkow,” dit Riker. “Il s’avère que c’était un expatrié russe se faisant passer pour un américain afin de tenter de causer un conflit international entre nous et les pays du bloc de l’est. Il a voulu ouvrir le feu sur un agent de la CIA et a été abattu.”
Reid cligna des yeux sous le flux de ces fausses informations. Il savait ce que ça voulait dire : ils lui créaient une histoire de couverture, la même qui serait diffusée aux gouvernements et aux forces de l’ordre du monde entier.
Mais ça ne pouvait pas être aussi simple. Il y avait quelque chose de caché là-dessous… à commencer par le sourire bizarre de Riker. “J’ai été désavoué,” dit-il. “J’ai été menacé. J’ai été ignoré. Je pense que je mérite un peu plus d’explications.”
“Agent Zéro…” commença Riker. Puis, elle se mit à rire légèrement. “Désolé, les habitudes sont tenaces. Vous n’êtes plus agent maintenant. Kent, ce n’est pas de notre ressort. Comme je vous l’ai dit, ça vient de plus haut. Mais la vérité, si on prend les choses dans leur globalité et non une par une, c’est que vous avez éliminé un réseau international de trafic d’êtres humains sur lequel travaillaient la CIA et Interpol depuis six ans déjà.”
“Vous avez tué Rais et, probablement, les derniers vestiges d’Amon avec lui,” ajouta Cartwright.
“Oui, vous avez tué des gens,” poursuivit Riker. “Mais c’étaient tous des criminels notoires, parmi les pires du pire : meurtriers, violeurs, pédophiles. Même si ça m’ennuie beaucoup de l’admettre, je suis d’accord sur le fait que vous avez fait plus de bien que de mal dans cette affaire.”
Reid acquiesça lentement… pas parce qu’il acceptait cette logique, mais parce qu’il réalisait que la meilleure chose à faire en ce moment était de ne pas argumenter, d’accepter qu’on lui pardonne et de chercher à comprendre plus tard.
Pourtant, il avait encore des questions. “Qu’est-ce que vous voulez dire quand vous dites que je ne suis plus un agent ?”
Riker et Cartwright échangèrent un regard. “Vous allez être transféré,” lui dit Cartwright. “Si vous acceptez le poste, bien sûr.”
“La Division des Ressources Nationales,” ajouta Riker, “est l’aile domestique de la CIA. Elle fait bien partie de l’agence, mais ne comporte aucun travail de terrain. Vous n’aurez plus jamais à quitter le pays, ni vos filles. Vous recruterez des ressources. Gèrerez les debriefs. Rencontrerez des diplomates.”
“Pourquoi ?” demanda Reid.
“Pour faire simple, nous ne voulons pas vous perdre,” lui indiqua Cartwright. “Nous préférons vous avoir avec nous à un autre poste que de ne pas vous avoir du tout.”
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