Maya acquiesça, détournant les yeux de son sauvage regard vert. Il y avait des cernes noirs en-dessous, comme s’il n’avait pas dormi depuis un certain temps et ses cheveux noirs étaient ras sur sa tête. Il n’avait pas l’air bien vieux, certainement plus jeune que leur père, mais elle ne parvenait pas à estimer son âge.
Il brandit un pistolet noir : le Glock ayant appartenu à leur père. Maya avait essayé de l’utiliser contre lui quand il s’était introduit dans leur maison, mais il le lui avait pris. “Je vais garder ça en main et ma main sera dans ma poche. Encore une fois, je te rappelle que le moindre problème pour moi se retournera contre elle.” Il fit un geste de la tête pour désigner Sara. Elle soupira légèrement.
Rais sortit du pick-up en premier, gardant la main sur le pistolet dans la poche de son blouson noir. Puis, il ouvrit la porte arrière de la cabine. Maya sortit d’abord, jambes tremblantes, alors que ses pieds touchaient le sol. Elle tendit ensuite la main vers Sara pour l’aider à sortir.
“Allons-y.” Les filles marchèrent devant lui en direction des toilettes. Sara frissonna : fin-mars, en Virginie, le temps commençait tout juste à se réchauffer, avec des températures de dix à quinze degrés, et elles étaient encore toutes deux en pyjama. Maya ne portait que des tongs aux pieds, un pantalon de flanelle rayé et un débardeur noir. Sa sœur avait enfilé ses sneakers sans chaussettes, avec un bas de pyjama en popeline décoré d’ananas, ainsi que l’un des vieux tee-shirts de son père, une guenille délavée avec le logo d’un groupe dont aucune d’elles deux n’avait jamais entendu parler.
Maya tourna la poignée et entra la première dans les toilettes. Elle se pinça instinctivement le nez de dégout : l’endroit sentait l’urine et le moisi, tandis que le sol était mouillé à cause d’un tuyau qui fuyait. Mais elle traîna quand même Sara à sa suite dans la pièce.
Il n’y avait qu’une seule fenêtre, une plaque en verre dépoli placée haut sur le mur et qu’il semblait possible de faire basculer vers l’extérieur en poussant un bon coup dessus. Si elle pouvait soulever sa sœur pour qu’elle puisse sortir, elle tenterait de ralentir Rais pendant que Sara s’enfuirait…
“Avancez.” Maya fut désespérée quand l’assassin entra dans les toilettes derrière elles. Ses espoirs s’envolèrent. Il n’allait pas les laisser seules, ne serait-ce qu’une minute. “Toi, ici.” Il montra à Maya la deuxième des trois portes. “Et toi, là.” Il indiqua la troisième à Sara.
Maya lâcha la main de sa sœur et entra dans les WC. C’était dégueulasse. Elle n’aurait même pas voulu les utiliser si elle avait vraiment dû aller aux toilettes. Mais elle allait tout de même devoir faire semblant. Elle allait fermer la porte quand Rais l’arrêta avec la paume de sa main.
“Non,” lui dit-il. “Laisse-la ouverte.” Puis il se retourna, regardant la sortie.
Il ne va prendre aucun risque. Elle s’assit lentement sur le couvercle refermé de la lunette des WC et soupira entre ses mains. Elle était coincée. Elle n’avait aucune arme à utiliser contre lui. Il avait un couteau et deux flingues, dont un actuellement dans la main, caché par la poche de son blouson. Elle pouvait essayer de lui sauter dessus pour que Sara puisse s’enfuir, mais il bloquait la porte. Il avait déjà tué M. Thompson, un ancien Marine, véritable ours contre lequel la plupart aurait évité de se battre à tout prix. Quelle chance pourrait-elle bien avoir contre lui ?
Sara renifla dans le WC d’à côté. Ce n’est pas le moment d’agir, se dit Maya. Elle l’avait espéré, mais elle allait devoir attendre encore.
Soudain, il y eut un fort craquement alors que quelqu’un poussait la porte des toilettes. Puis, une voix féminine surprise se fit entendre, “Oh ! Excusez-moi… Est-ce que je me suis trompée de toilettes ?”
Rais fit un pas de côté, s’écarta de la porte des WC et disparût du champ de vision de Maya. “Je suis vraiment désolé, Madame. Non, vous êtes au bon endroit.” Sa voix se fit immédiatement agréable, et même courtoise. “Mes deux filles sont dedans et… eh bien, disons que je suis peut-être un peu surprotecteur, mais on n’est jamais trop prudents de nos jours vous savez.”
Ce mensonge fit monter la colère dans la poitrine de Maya. Le fait que cet homme les ait prises à leur père et ose se faire passer pour lui empourprait son visage de rage.
“Oh. Je vois. J’ai juste besoin d’utiliser le lavabo,” répondit la femme.
“Bien sûr, allez-y.”
Maya entendit claquer ses chaussures contre le carrelage, puis elle vit partiellement la femme, de dos à elle, alors qu’elle tournait le robinet du lavabo. Elle avait l’air d’âge moyen, avait des cheveux blonds jusqu’aux épaules et elle était bien habillée.
“Je dois dire que je vous comprends,” dit la femme à Rais. “Normalement, je ne m’arrêterais jamais dans un tel endroit, mais je me suis renversé du café dessus en route pour rendre visite à de la famille et… euh…” Elle s’interrompit en regardant dans le miroir.
Dans le reflet, la femme aperçut la porte ouverte des WC et Maya assise sur des toilettes fermées. Maya n’avait aucune idée de l’allure qu’elle pouvait bien avoir : cheveux emmêlés, joues bouffies d’avoir pleuré, yeux rouges… Mais elle imaginait bien qu’elle suscitait certainement un signal d’alerte.
Le regard de la femme se porta un instant sur Rais, avant de revenir au miroir. “Euh… Je ne pouvais pas continuer à conduire pendant une heure et demie avec les mains collantes…” Elle regarda par-dessus son épaule, l’eau coulant toujours du robinet, puis elle esquissa des lèvres trois mots très clairement à l’attention de Maya.
Tout va bien ?
La lèvre inférieure de Maya tremblait. S’il vous plaît, ne me parlez pas. Ne me regardez même pas. Elle secoua lentement la tête. Non.
Rais avait dû tourner de nouveau le dos pour faire face à la porte, car la femme acquiesça lentement. Non ! pensa Maya avec désespoir. Elle n’essayait pas d’appeler à l’aide.
Elle tentait juste d’empêcher que cette femme subisse le même sort que Thompson.
Maya fit un signe à la femme de la main et esquissa un seul mot en retour. Partez. Partez.
La femme fronça profondément les sourcils, les mains toujours mouillées. Elle regarda de nouveau en direction de Rais. “Je suppose que ce serait trop demander que d’avoir des serviettes en papier ici, hein ?”
Elle avait dit ça sur un ton qui sonnait un peu trop faux.
Puis, elle fit un signe du pouce et du petit doigt à Maya, comme si elle imitait un combiné téléphonique avec sa main. Elle paraissait suggérer qu’elle allait appeler quelqu’un.
Je vous en prie, allez-vous-en.
Alors que la femme se dirigeait vers la porte de sortie, il y eut un mouvement éclair dans l’air. Ce fut si rapide qu’au début, Maya crut qu’il ne s’était rien passé du tout. La femme s’immobilisa, les yeux écarquillés par le choc.
Un fin arc de sang jaillit de sa gorge ouverte, aspergeant le miroir et le lavabo.
Maya serra ses deux mains contre sa bouche pour étouffer le cri qui menaçait de sortir de ses poumons. Au même instant, les mains de la femme se portèrent à son cou, mais rien ne pouvait arrêter les dégâts qui venaient d’être commis. Du sang ruisselait entre ses doigts et elle tomba à genoux, un faible gargouillis s’échappant de ses lèvres.
Maya ferma les yeux, les mains toujours sur sa bouche. Elle ne voulait pas voir ça. Elle ne voulait pas regarder cette femme mourir à cause d’elle. Sa respiration n’était que de lourds sanglots étouffés. Dans les WC voisins, elle entendit Sara qui gémissait doucement.
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