— Je suppose qu’il n’y a pas de raison que je souligne l’évidence, dit Frankie.
— Je sais, je sais, dit Riley en hochant la tête. Je n’ai pas eu le choix. C’était elle ou moi.
— Et que tu t’en soies sortie est important, Riley, déclara Frankie. C’est le plus important.
À ces mots, Riley dut essuyer une larme.
— J’ai l’impression que les choses ne seront plus jamais les mêmes, reprit-elle.
— Eh bien, je n’ai jamais eu à tirer sur quelqu’un, mais… je sais ce que c’est que de faire quelque chose qui te change vraiment. Je suis passée par là. Je comprends.
Riley savait à quel terrible événement Frankie faisait allusion. À l’époque où elle travaillait sous couverture à Cincinnati, un trafiquant de drogue avait forcé Frankie à consommer de l’héroïne sous la menace d’un couteau. Elle n’avait pas eu le choix.
Riley se souvint de ce que Frankie lui avait dit sur l’incroyable euphorie qu’elle avait ressentie.
« Si j’avais dû mourir à ce moment-là, je serais morte heureuse. »
C’était cet événement qui avait convaincu Frankie que la « guerre contre la drogue » était inutile. Riley savait que Frankie serait hantée par cette expérience pour le reste de sa vie. Jusqu’à présent, Riley n’avait pas été capable d’imaginer ce que cela représentait pour elle.
Peut-être que maintenant je peux comprendre, pensa-t-elle.
Riley prit une bouchée de son sandwich et réfléchit un moment.
— Voilà ce qui est étrange, Frankie, dit-elle ensuite. Il y a environ deux semaines, j’avais vraiment envie de tuer quelqu’un. Il m’a fallu tout mon self-control pour ne pas le faire.
— De quoi tu parles ? interrogea Frankie.
— Peut-être que tu as entendu parler de cette affaire sur laquelle Crivaro et moi avons travaillé dans le Maryland.
— Oui, c’était une sale affaire, avoua Frankie. Le nom du tueur était Mullins, c’est ça ?
— Ouais, Larry Mullins, acquiesça Riley. Il a tué deux enfants dont il était chargé de s’occuper… il les a étouffés dans deux terrains de jeux différents.
— En fait, continua-t-elle avec un léger gémissement, Mullins n’a pas encore été condamné. La date de son procès n’a même pas encore été fixée et les preuves que nous avons contre lui sont encore minces. Mais Crivaro et moi savons qu’il est coupable, et les parents des enfants aussi.
Riley s’arrêta un moment, redoutant le souvenir qu’elle allait décrire.
— Mullins est une ordure arrogante, confia-t-elle. Il a cette innocence de nouveau-né qui émane de lui, c’est pourquoi les parents des enfants lui ont fait confiance. Je l’ai détesté dès que Crivaro et moi l’avons attrapé. Il m’a souri, admettant pratiquement du regard qu’il était coupable. Mais il savait aussi très bien qu’il allait être difficile pour nous de le prouver.
Riley battait des doigts sur la table.
— Et à ce moment précis, alors que je lui mettais les menottes et que je lui lisais ses droits, il a souri et m’a dit : « Bonne chance ».
Frankie haleta.
— Mon Dieu, poursuivit-Riley, tu n’as pas idée de la colère que cela a provoqué en moi. Je voulais vraiment le tuer. Je pense que j’ai en fait dégainé mon arme. Crivaro m’a touché à l’épaule et m’a lancé un regard d’avertissement. Sans Crivaro, j’aurais peut-être fait exploser la tête de Mullins à ce moment-là.
— C’est une bonne chose que tu ne l’aies pas fait, lui assura Frankie.
— Peut-être bien, reconnut Riley. Mais maintenant je ne peux pas m’empêcher de me demander : et si Mullins avait été la première personne que j’avais tuée ? Je ne me sentirais sûrement pas aussi mal que maintenant. Peut-être même que je n’aurais aucun problème de conscience. Au lieu de ça, j’ai fini par tirer sur une pauvre gamine stupide qui n’avait aucune chance dans la vie. C’est juste que…
Riley englouti un mal de colère et d’amertume.
— Ce n’est pas juste, dit-elle.
Riley et Frankie continuèrent à manger en silence pendant quelques instants.
— Tu sais, dit Frankie d’une voix prudente, tu vas probablement penser que je suis folle de dire ça mais ... peut-être que ce qui nous est arrivé nous a rendues toutes les deux meilleures.
Les yeux de Riley s’agrandissent.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle.
— Eh bien, reprit Frankie en haussant les épaules, si je n’avais pas été forcée de me droguer, je n’aurais jamais réalisé à quel point la guerre contre la drogue est vaine. Et si tu avais été capable de tuer Larry Mullins, tu aurais peut-être trouvé plus simple de faire encore usage de ton arme à l’avenir.
Frankie se tut, puis essuya une larme de son œil.
— Je sais que nous souffrons toutes les deux, Riley, dit-elle. Mais je pense que c’est peut-être mieux de souffrir que de s’endurcir contre la douleur. Au moins, nous avons pu garder notre humanité, notre vulnérabilité, tout ce qu’il y a de meilleur en nous. Beaucoup de gens dans notre métier ne parviennent pas à gérer ça.
Riley acquiesça lentement. Elle savait que Frankie disait exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre en ce moment. Elle réalisa qu’elle était vraiment chanceuse d’avoir Frankie avec qui elle pouvait compatir aujourd’hui. C’était mieux que n’importe quelle thérapie qu’elle aurait pu suivre.
Frankie et elle poursuivirent tranquillement leur repas pendant un petit moment.
— Alors, comment ça se passe avec ton fiancé ? demanda ensuite Frankie. Avez-vous fixé une date de mariage ?
Riley fut surprise par la question.
— Euh, non, pas encore, bredouilla-t-elle.
— Non ? demanda Frankie, lançant à Riley un regard sceptique.
— Pas encore, répéta Riley qui continua à manger en silence.
Elle se sentait mal à l’aise en essayant d’imaginer ce que Frankie devait penser en ce moment. Elle se souvint de quelque chose que Frankie lui avait dit quand elles s’étaient rencontrées pour la première fois…
« J’ai un a priori plutôt négatif des hommes en général. »
Bien que Frankie en parlait rarement, Riley savait que son propre mariage de quatre ans s’était terminé par un divorce amer. Frankie n’avait probablement aucune raison de s’attendre à ce que les choses s’arrangent avec Riley et Ryan.
Se peut-il qu’elle ait raison ? se demanda Riley.
Après tout, les choses n’avaient pas été particulièrement bonnes entre eux ces derniers temps.
Riley et Frankie parlèrent de choses plus anodines à la fin de leur repas. Quand Frankie la ramena à son appartement, Riley se mit à redouter le reste de sa journée de congé, se demandant surtout comment les choses allaient se passer avec Ryan soir venu.
Elle se demanda ce que cela signifiait pour elle de ne pas avoir hâte de voir son propre fiancé. Pire encore, était-elle en train de devenir accro aux dangers et aux épreuves de son travail ?
Elle savait seulement qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de ressentir ce qu’elle ressentait.
Si je ne retourne pas au travail, je vais perdre la tête, pensa-t-elle.
Peu importe ce qui l’attendait là-bas, elle devait aller de l’avant et y faire face.
CHAPITRE QUATRE
Jake tapa du pied avec inquiétude alors qu’il était assis en face de l’agent spécial en charge de l’Unité d’Analyse Comportementale.
Ça ressemble à l’œuvre d’un tueur en série, pensa-t-il.
Erik Lehl décrivait deux affaires de meurtres similaires dans le Kentucky et le Tennessee. Jake essayait de décider s’il voulait ne serait-ce qu’y penser maintenant. Après tout, il avait été impliqué dans une fusillade dans le nord de l’État de New York la veille encore.
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