— De la magie ! dit le capitaine en faisant un pas en arrière.
Royce attrapa l’épée de cristal et tituba. Trop tard, il se rendit compte à quel point il se sentait chancelant et incertain sur ses pieds. La flasque ! Il y avait certainement quelque chose dans la flasque ! Mark était déjà à moitié effondré contre le bastingage.
— Tu vas rejoindre tes amis, dit le capitaine, et nous trouverons peut-être un moyen de te faire parler en leur faisant assez de mal. Le roi paiera très cher pour toi, mais eux… quelques entailles ne feront aucune différence.
Il frappa des mains et quelques marins s’approchèrent, saisissant Mark et Royce et les ramenant vers l’arrière du navire.
— Pourquoi faites-vous cela ? demanda Royce, les mots semblant sortir d’un brouillard aussi épais que celui qui entourait les Sept Îles qui approchaient.
— Qu’est-ce qui nous pousse tous à faire quoi que ce soit ? demanda le capitaine en haussant les épaules. L’argent ! Je pourrais t’emmener jusqu’aux Sept Îles, et y risquer mon bateau, ou je peux simplement prendre ton argent et avoir une récompense pour t’avoir livré au roi Carris.
— Aidez-moi, et je trouverai un moyen de vous récompensez tout autant, tenta Royce. Cela semblait désespéré, même à ses oreilles.
Le capitaine rit.
— Avec quoi ? Tu n’as pas d’argent. Ah oui, tu prévois de devenir roi toi-même ? Déclencher une guerre ne me rapporterait rien, mon garçon. Je m’en sors assez confortablement comme ça, emmenant quelques personnes là où elles ont besoin d’aller, vendant quelques passagers là où ils valent quelque chose ou en détroussant les navires imprudents sortis seuls. Je me débrouille très bien avec mes petites habitudes.
Royce voulut faire ravaler son cynisme à ce capitaine de misère, mais les marins le tenaient fermement par les poignets, et la léthargie qui se répandait en lui interdisait tout combat contre eux.
— Oh, tu veux te battre ? demanda le capitaine. Crois-moi, après les efforts auxquels tu m’as contraint, je ne le ferai pas. Tout ce chemin… Je t’ai emmené jusque-là parce que je pensais qu’il y avait une chance de délivrer le vieux roi aussi bien que toi. Je ne briserai pas non plus mon vaisseau sur ces rochers.
Une pensée traversa l’esprit de Royce ; une pensée désespérée et dangereuse.
— Vous ne retrouverez jamais mon père si vous n’êtes pas prêt à y aller, dit-il.
— Alors tu nous diras où il est ? demanda le capitaine.
— Je… Royce fit semblant d’être à bout de force. Je peux vous montrer.
Le capitaine se frotta les mains l’une contre l’autre, hochant la tête aux marins avec lui. Il ouvrit le chemin jusqu’au pont du navire, où Matilde, Neave et Bolis étaient tous attachés pendant qu’un marin tenait la barre. Les marins jetèrent Mark avec les autres, tandis que Gwylim les accompagnait en fermant la marche.
Le capitaine sortit un couteau et se dirigea vers Mark.
— Ton ami va nous dire où trouver le vieux roi, et s’il nous cause des ennuis, je te couperai en morceaux jusqu’à ce qu’il obtempère.
— Vous n’avez pas besoin de faire cela, dit Royce. Le couteau si près de Mark rendait cela plus dangereux, mais il n’avait pas d’autre option. Je vais vous guider.
Il regarda à travers les yeux d’Ember, localisant d’en haut les rochers et les épaves près de la première des îles. Utilisant la vue de l’animal, il commença à donner des instructions.
— Un peu à gauche, dit-il.
— Tu penses pouvoir nous guider ? demanda le capitaine.
— Vous voulez que je vous mène à mon père ou non ? s’agaça Royce.
Il se sentait toujours si faible. S’il avait eu toute sa force, il aurait simplement massacré cet équipage de vermine et sauvé ses amis. Mais dans son état… une telle action, c’était hors de question.
— Si vous ne me croyez pas, gardez un œil sur l’oiseau. Ember nous guide.
Le capitaine leva les yeux et Royce regarda Gwylim, se demandant une nouvelle fois à quel point la créature semblable à un loup le comprenait. Il regarda le capitaine d’un air insistant, espérant que cela suffirait. Il n’arrêtait pas de regarder à travers les yeux d’Ember, laissant le navire s’approcher de la terre ferme et attendant sa chance…
— Maintenant ! ordonna Royce, et le bhargir bondit, frappant le capitaine à la poitrine alors même que Royce attrapait la barre et entrainait le navire vers une série de récifs.
Le navire se cabra brutalement, et à ce moment même, Royce se dirigeait déjà vers ses amis. Drogué comme il l’était, il avait l’impression de se déplacer au ralenti, les sons et sa vision déformés en entendant le bruit d’une bagarre vicieuse qui venait de loin, ou tout près de lui. Il ne pouvait pas espérer se joindre à ce combat, aussi instable qu’il l’était, mais il pouvait essayer de libérer ses amis. Il tira l’épée de cristal, se penchant pour couper les cordes qui tenaient les mains de Matilde.
— Merci, dit-elle en se frottant les poignets. Je vais… derrière toi !
Royce se retourna en un éclair et enfonça sa lame dans la poitrine d’un marin qui courait vers lui. Même instable, à peine capable de tenir debout, Royce avait la force de traverser un homme de son épée de cristal. L’épée du marin tomba, et Royce sentit quelque chose rebondir sur son armure alors que le marin s’était immobilisé durant un moment, avant de s’effondrer.
Royce continua à libérer les autres, et un autre marin se jeta sur eux. Cette fois-ci, Ember se précipita pour lui lacérer le visage, le retenant encore assez longtemps pour que Bolis puisse le faire passer par-dessus bord.
Puis le navire heurta les rochers dans un crissement de bois comme si une forêt se faisait déraciner, et tout le pont bascula latéralement.
Les hommes criaient en tombant dans les eaux en contrebas. Royce vit une chose s’élever de cette eau, longue et ressemblant à un serpent, avec des nageoires en éventail et des dents semblables à des couteaux. La créature sortit de l’eau, se dressa comme une tour de siège, un homme prisonnier de sa gueule criant pendant que ses dents pointues le serraient. Un autre était emprisonné dans ses anneaux, et Royce entendit le craquement des os quand le mouvement du monstre marin l’écrasa.
Royce eut un moment pour simplement apprécier la sauvagerie de cette mort, avant de glisser lui aussi le long du pont vers le vide, droit dans la gueule du serpent géant qui attendait.
Il s’agrippa comme il le put, réussissant à peine à supporter son propre poids. À ses côtés, Mark, Matilde, Bolis et Neave s’étaient également agrippés pour leur vie, tandis que le navire continuait à se déchirer.
— Quel était exactement ton plan ? demanda Mark.
— C’est à peu près tout, admit Royce.
Échouer le vaisseau et essayer de voir ce qu’il fallait faire ensuite. C’était une manœuvre fondée sur rien de plus que l’espoir, et maintenant cela les avait conduits sur un navire qui se brisait lentement en deux, risquant de les faire tomber sur les rochers, ou pire, de les entraîner dans les profondeurs.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Neave. Elle avait un bras enroulé autour d’une traverse du bastingage, l’autre autour de Matilde.
— Je pense… dit Royce, essayant de réfléchir à travers le brouillard qui alourdissait ses pensées. Je pense que nous devons sauter !
— Sauter là-dedans ? s’exclama Bolis. Vous êtes fou ?
— Si nous restons, nous serons prisonniers de l’épave et entraînés vers le fond, assura Royce. Il faut que nous nous éloignions, et la seule façon de le faire, c’est de sauter !
Il y avait également une autre raison de sauter. Les hommes avançaient le long du pont, et ils étaient trop nombreux pour qu’il espère avoir le dessus dans son état. Gwylim était là, la gueule recouverte de sang pendant qu’il grognait, mais qu’est-ce qu’une créature comme lui pourrait faire dans une telle situation ?
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