— Tout le monde, écoutez. Ecoute-moi bien ! J’ai des nouvelles !
Il attendit que les gens se rassemblent avant de commencer à parler.
— La guerre approche ! dit-il. Vous avez entendu dire que le fils du vrai roi est revenu, et qu’il a renversé un duc qui opprimait son propre peuple ! C’est la vérité, et je sais ce que vous pensez. Vous pensez qu’il ne s’agit que d’une autre querelle entre nobles qui ne vous concerne en rien, mais je suis ici pour vous dire que vous avez aussi un rôle à y jouer. Que la situation est différente.
— Oh, et pourquoi ça ? interpella un homme à l’arrière de la foule croissante. Raymond avait l’impression que les choses évoluaient exactement comme lors de son précèdent discours.
— Parce que nous avons une chance de changer les choses. Parce que ce n’est pas une querelle entre nobles, mais une opportunité de bâtir un monde qui ne sera plus celui de quelques nobles nous écrasant tous. Parce que c’est un combat où les gens impliqués se soucient des gens comme vous, des gens comme nous tous.
— Vraiment ? demanda l’homme. Alors, étranger, qui es-tu, pour en savoir autant à ce propos ?
Raymond reprit son souffle, sachant que c’était le moment de continuer ou de renoncer, et qu’une fois que ce serait fait, il ne pourrait plus revenir en arrière.
— Allez, insista l’homme. Qui es-tu, pour prétendre qu’un noble lointain se soucie de nous tous ?
— C’est simple, dit Raymond, et cette fois, sa voix se répandit dans tout le village pour que tout le monde l’entende. Je m’appelle Royce, et je suis le fils du roi Philippe, le seul et légitime roi de ce pays !
Royce progressait prudemment à travers une forêt, les arbres se fondaient tellement les uns aux autres qu’il était impossible de discerner un chemin. Il était perdu, et d’une certaine façon, il savait que c’était un endroit où se perdre signifiait bientôt mourir.
Il continua, ne sachant pas quoi faire d’autre. Autour de lui maintenant, les arbres se refermaient, et leurs branches fouettaient l’air, poussées par un vent invisible, secouant Royce et le malmenant. Les branches déchiraient sa peau, rejointes désormais par des ronces, le meurtrissant davantage et le ralentissant. Il lui fallut puiser tout ce qu’il avait pour pouvoir continuer.
Mais à quoi bon continuer ? Il ne savait pas où il se trouvait, alors pourquoi continuer à avancer ainsi, à travers l’obscurité et l’incertitude de la forêt ? Son énergie faiblissait, alors pourquoi ne pas s’asseoir sur la souche d’un arbre, attendre de reprendre son souffle, et…
— S’arrêter, c’est mourir, mon fils. La voix était venue à travers les arbres, et même s’il ne l’avait entendue que dans ses rêves, Royce la reconnut immédiatement comme étant celle de son père. Il se tourna vers le son, reprenant sa marche.
— Père, où es-tu ? cria-t-il, poussant dans la direction d’où semblait venir la voix.
Sa progression était de plus en plus compliquée. Il y avait des arbres tombés, et Royce avait de plus en plus de difficulté à passer par-dessus. Il y avait des rochers qui perçaient le sol de la forêt, et à présent il semblait que Royce devait grimper autant que courir juste pour les contourner. La route à suivre était encore indiscernable du reste de la forêt, et Royce ressentait le désespoir accablant de ne pas savoir où aller.
C’est alors qu’il vit le cerf blanc se tenir non loin de lui, un cerf qui l’attendait et le regardait avec impatience. Avec la même étrange certitude qu’il avait ressentie auparavant, Royce savait que cet animal était là pour lui montrer le chemin. Il se retourna pour le suivre, courant dans son sillage.
Le cerf blanc était rapide, et Royce dut redoubler d’effort pour le suivre. C’était comme si ses poumons explosaient sous l’effort, et ses membres étaient en feu. Malgré cela, il continua à courir, à travers les branches et les ronces, jusqu’à un espace où le cerf disparut, remplacé par un personnage en armure entouré d’un halo de lumière blanche.
— Père, dit Royce, d’une voix étouffée par la fatigue. Il se sentait comme privé de souffle, privé de temps.
Son père hocha la tête et sourit, puis, inexplicablement, pointa le ciel.
— Tu dois partir maintenant, Royce. Remonte, remonte vers la lumière.
En levant les yeux, Royce vit une lumière au-dessus de lui, et alors qu’il essayait de suivre les conseils de son père, la lumière devint de plus en plus proche…
***
Royce se réveilla dans un cri muet qui sembla rejeter autant d’eau que d’air. Il cracha de l’eau de mer et commença à s’asseoir, mais des mains prudentes le retinrent en place. Royce se débattit contre elles pendant un moment avant qu’il ne réalise que c’était Mark, ses mains poussant l’eau hors de l’estomac de Royce.
— Attention, dit son ami. Tu vas faire chavirer le radeau.
Le « radeau » en question n’était qu’une section du mât du navire qui s’était rompue dans le chaos, puis s’était emmêlée avec suffisamment de bois flotté pour former une sorte de plate-forme flottante fragile, portée par les vagues.
Bolis, Neave et Matilde étaient agenouillés sur l’embarcation de fortune, Gwylim un peu plus loin vers le bord et Ember volant au-dessus. Matilde avait une entaille sur le flanc qui pouvait provenir d’une lame ou d’un débris de bois, quoi qu’il en soit du sang coulait dans l’eau pendant que Neave s’agitait sur elle et coupait des morceaux de voile en guise de bandages. Sir Bolis essayait à la hâte d’attacher une ferrure métallique à une longueur de bois, formant ainsi un harpon de fortune. Son armure et ses armes semblaient avoir disparu au fond des eaux.
Royce baissa rapidement les yeux et vit que l’épée de cristal était toujours à sa ceinture, tandis qu’il portait encore l’armure qu’il avait prise dans la tour du comte Undine.
— Je ne sais pas comment tu as réussi à nager avec ça, dit Mark, mais tu l’as fait. Tu as surgi comme un bouchon et je t’ai sorti de là.
— Merci, dit Royce, offrant sa main à son ami.
Mark la prit et la serra de toutes ses forces.
— Après toutes les fois où tu m’as sauvé, tu n’as pas besoin de me remercier. Je suis content que tu aies survécu.
— Pour l’instant, dit Bolis à la proue de leur embarcation providentielle. Nous sommes toujours en danger.
Royce regarda autour de lui, essayant d’appréhender les choses au-delà du radeau. Il constata qu’ils avaient été emportés au large, les sept îles étaient de nouveau une simple tache sur l’horizon. La mer vacillait aussi, comme si une tempête s’annonçait. Leur radeau grinçait sous la pression des vagues successives.
— Oubliez le harpon, dit Royce. Nous devons nous concentrer sur l’arrimage du radeau.
— Vous n’avez pas vu la créature dévorer les gens, dit Bolis. Elle a dû tuer tous les marins qui ont été pris dans l’épave principale. Ce Wyrm des mers ne fait pas partie des choses que j’affronterais sans arme.
— Préfériez-vous l’affronter dans l’eau quand le radeau s’effondrera ou coulera ? riposta Royce. Il avait vu la créature dont s’inquiétait Bolis, et il savait à quel point la menace serait grande, mais à ce moment-là, la mer pouvait les tuer tout aussi certainement.
Il y avait des cordes attachées aux mâts, et Royce désigna l’une d’elles.
— Tout le monde essaie d’attraper des morceaux de corde qui ne sont pas déjà enchevêtrés et de les utiliser pour consolider le radeau. C’est la priorité, puis pagayer pour rejoindre la terre ferme, enfin s’armer.
— C’est facile à dire pour vous, dit Bolis.
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