La nuit commence de bonne heure à cette époque de l'année. Nous revînmes par un autre chemin. Je sentais peu à peu se détruire le sentiment de frayeur que j'avais éprouvé d'abord. Le silence du soir rendait ce tableau plus pittoresque. Je commençais à croire que la nature à des beautés de plus d'une espèce, et que la rudesse de celle-ci n'était pas sans charme.
Tant que les communications ne furent pas interrompues, il nous arriva des vivres par Abo, car les voyageurs se succédaient les uns aux autres. Mais, lorsque les glaces s'amollirent tout à fait, il n'arriva plus rien. J'étais celle qui supportait le plus patiemment les privations, j'avais eu le temps de m'y accoutumer pendant la retraite de Moscou. Excepté les deux personnes avec lesquelles j'étais arrivée, j'étais peu recherchée par mes compagnons de voyage. C'est alors que j'ai pu faire des réflexions philosophiques sur le degré d'intérêt qu'on nous accorde, et combien il est subordonné au plus ou moins de besoin que nous avons des autres ou que les autres ont de nous. Je n'avais jamais été à même d'en juger pour mon compte, au moins, car je ne m'étais jamais trouvée dans une semblable position.
Avant cette affreuse catastrophe, j'étais une artiste aimée, applaudie, recherchée par la meilleure société. Ma fortune était médiocre, mais elle me suffisait pour vivre honorablement. Je donnais chez moi des soirées dont la gaîté faisait les frais. Plusieurs de ceux qui se trouvaient à Singelshar avaient souvent brigué la faveur d'en faire partie; et j'avais pu, dans quelques occasions, leur être utile par mes relations, lorsqu'ils venaient de Saint-Pétersbourg à Moscou.
Mais quelle différence dans cette île où je ne possédais plus rien.
J'éprouvais, de la plupart de mes compagnons de voyage, ce sentiment que les âmes peu généreuses ressentent pour la pauvreté (si l'on peut appeler ainsi le malheur). Les autres me montraient la plus parfaite indifférence: on croit être bon en ne faisant ni bien ni mal. Les morts en font autant, et ne demandent rien pour cela.
J'étais fâchée de n'être pas passée par Tornéo, comme j'en avais d'abord eu le projet; les Lapons auraient peut-être été plus humains que tous ces acteurs dont je me plais à oublier le nom. Les dangers, de quelque nature qu'ils soient, ne m'ont jamais effrayée lorsque j'ai trouvé de la sympathie pour me les faire supporter. Les glaces commençaient cependant à se briser dans le voisinage de la mer: les matelots venaient chaque jour pour nous persuader que nous pouvions nous embarquer sans danger. Ennuyée de la vie que nous menions, des gens dont j'étais entourée, j'engageai quelques personnes plus hardies que les autres à prendre une barque et à tenter le passage; cinq s'y décidèrent; nous louâmes des traîneaux pour rejoindre la barque, dans laquelle on avait mis quelques provisions et des matelas.
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