Иван Тургенев - Un incendie en mer

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«…C’était au mois de mai 1838. Je me trouvais, avec beaucoup d’autres passagers, sur le bateau le
qui faisait le trajet entre Saint-Pétersbourg et Lübeck. Comme, dans ce temps-là, les chemins de fer étaient encore peu florissants, tous les voyageurs prenaient la route de mer. Par cette même raison, beaucoup d’entre eux emmenaient leur chaise de poste pour continuer leur voyage en Allemagne, en Françe, etc…»

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Иван Сергеевич Тургенев

Un incendie en mer

C’était au mois de mai 1838.

Je me trouvais, avec beaucoup d’autres passagers, sur le bateau le Nicolas I-er, qui faisait le trajet entre Saint-Pétersbourg et Lübeck. Comme, dans ce temps-là, les chemins de fer étaient encore peu florissants, tous les voyageurs prenaient la route de mer. Par cette même raison, beaucoup d’entre eux emmenaient leur chaise de poste pour continuer leur voyage en Allemagne, en Françe, etc.

Nous avions, je m’en souviens, vingt-huit voitures de maître. Nous étions bien deux cent quatre-vingts passagers, dont une vingtaine d’enfants.

J’étais très jeune alors, et, ne souffrant pas du mal de mer, je m’amusais beaucoup de toutes les nouvelles impressions. Il y avait à bord quelques dames, remarquablement belles ou jolies. (La plupart sont mortes, hélas!)

C’était la première fois que ma mère me laissait partir seul, et j’avais dû lui jurer de me conduire sagement, et surtout de ne pas toucher aux cartes… et ce fut précisément cette dernière promesse qui fut enfreinte la première.

Un soir, en particulier, il y avait grande réunion dans le salon commun, entre autres plusieurs banquiers bien connus à Pétersbourg. Ils jouaient chaque soir à la banque (sorte de lansquenet), et les pièces d’or, qu’on voyait alors plus souvent qu’à présent, faisaient un cliquetis étourdissant.

L’un de ces messieurs, voyant que je me tenais à l’écart, et n’en sachant pas la raison, me proposa brusquement de prendre part à son jeu. Comme, avec la naïveté de mes dix-huit ans, je lui expliquai la cause de mon abstention, il partit d’un éclat de rire; et, s’adressant à ses compagnons, il s’écria qu’il avait trouvé un trésor: un jeune homme n’ayant jamais touché une carte, et par cela même prédestiné à avoir une chance énorme, inouïe, une vraie chance d’innocent!..

Je ne sais comment cela se fit, mais, dix minutes plus tard, j’étais à la table de jeu, les cartes plein la main, ayant une part assurée et jouant, jouant comme un fou.

Il faut avouer que le vieux proverbe n’avait pas menti. L’argent venait à moi à flots; deux monceaux d’or s’élevaient sur la table, des deux côtés de mes mains tremblantes et couvertes de sueur. Le banquier qui m’avait entraîné ne cessait de me pousser, de m’exciter… Vrai, je croyais ma fortune faite!..

Tout à coup la porte du salon s’ouvre toute grande, une dame s’y précipite, crie d’une voix éperdue et mourante: «Le feu est au bâtiment!» et tombe évanouie sur le sopha. Ce fut comme une commotion violonte; chacun s’élança de sa place; l’or, l’argent, les billèts de banque roulèrent, s’éparpillèrent de tous côtés, et nous nous précipitâmes tous dehors. Comment n’avions-nous pas remarqué plus tôt la fumée qui nous envahissait déjà? Je n’y conçois rien! L’escalier en était déjà plein. Des reflets d’un rouge épais, d’un rouge de charbon de terre éclataient par-ci par-là. En un clin d’æil tout le monde fut sur le pont. Deux larges tourbillons de fumée montaient des deux côtés de la cheminée et le long des mâts, et un vacarme effroyable s’éleva pour ne plus cesser. Ce fut un désordre indicible; on sentait que le sentiment de la conservation s’était violemment emparé de tous ces êtres humains, de moi tout le premier. Je me rappelle avoir saisi un matelot par le bras, et de lui avoir promis 10000 roubles de la part de ma mère, s’il parvenait à me sauver. Le matelot, naturellement, ne pouvait prendre mes paroles au sérieux, il se dégagea de mon étreinte, et moi-même je n’insistai pas, voyant bien que ce que je disais n’avait pas le sens commun. Du reste, ce que je voyais autour de moi n’en avait guère plus. On a bien raison de dire que rien n’égale le tragique, si ce n’est le comique, d’un naufrage en mer. Par exemple, un riche propriétaire, saisi de terreur, rampait à terre en baisant frénétiquement le plancher, puis, comme l’eau abondamment jetée dans les ouvertures des magasins à charbon avait momentanément dompté la violence des flammes, il se redressa de toute sa hauteur, et s’écria d’une voix de tonnerre: «Hommes de peu de foi, avez-vous pu croire que notre Dieu, le Dieu des Russes, nous abandonnerait?» Mais à l’instant même les flammes jetèrent une poussée plus vive, et le pauvre homme de beaucoup de foi retomba à quatre pattes et se remit à baiser le plancher. Un général, l’æil hagard, ne cessait de crier: «Il faut envoyer un courrier à l’Empereur! On lui a envoyé un courrier lors de la révolte des colonies militaires, où j’étais, moi, en personne, et cela a servi à sauver quelques-uns d’entre nous!» Un monsieur, le parapluie à la main, se mit tout à coup à crever avec fureur un mauvais petit portrait à l’huile attaché à son chevalet (qui se trouvait là, parmi les bagages), en perçant avec la pointe de son parapluie cinq trous à la place des yeux, du nez, de la bouche et des oreilles. Il accompagnait cette destruction d’exclamations: «A quoi cela peutil servir maintenant?» Et cette toile ne lui appartenait pas! Un gros personnage, tout inondé de larmes, ayant l’air d’un brasseur allemande, ne cessait de vociférer d’une voix larmoyante: «Capitaine! capitaine!»

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