Жюльетта Бенцони - Suite italienne

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Il fallait que le scandale eût été complet et retentissant pour que Pie II, qui jusqu’à son couronnement n’avait pas été un parangon de vertu et comptait quelques bâtards à son actif, brandît ainsi les foudres pontificales. Mais il est vrai que l’orgie siennoise avait eu lieu à l’occasion… d’un baptême !

Ainsi étrillé, Borgia se le tint pour dit… du moins pendant quelque temps. Il promit d’équiper, à ses frais, une galère pour la croisade si chère au cœur du Saint-Père et parut consacrer toute son activité à la préparation de la grande expédition.

Pie II d’ailleurs ne tenait plus en place. Tout malade qu’il fût, il voulut absolument se transporter à Ancône où s’assemblaient la flotte et les troupes. Borgia suivit, en « fils obéissant », et s’installa auprès de lui dans le vieux palais épiscopal près de Saint-Cyriaque d’où l’on découvrait le port et les horizons bleus de l’Adriatique.

Et, tandis que le pape, tout à son rêve de guerre sainte et les yeux fixés sur cette armada qui prenait forme, peu à peu, par sa volonté, ne voyait plus venir la mort, Rodrigue s’occupait à charmer des loisirs un peu trop étendus dans une si petite ville, en s’occupant activement de la population féminine.

Hélas, les jolies filles d’Ancône n’étaient pas toutes sans danger. Borgia s’en aperçut à ses dépens et, tandis qu’en août 1464, Pie II agonisait en face de la mer étincelante, le beau vice-chancelier soignait au fond de son lit ce que l’on appelait pudiquement une « galanterie ». Et son médecin de constater alors avec satisfaction qu’il « y avait longtemps qu’il n’y avait pas dormi seul ».

Le pape mort, Ancône, la flotte et tous les beaux projets de croisade tombèrent instantanément dans l’eau du port pour n’en plus ressortir. Ce n’était plus le moment de s’occuper des Turcs ou de s’encroûter en province. Il fallait rentrer à Rome et y procéder sans plus tarder à l’élection du nouveau pape.

Toujours souffrant, Borgia fit le trajet en litière, maudissant les femmes, la nature fragile des hommes et sa mauvaise étoile. Mais fût-il à moitié mort qu’il se serait traîné tout de même à la salle du conclave. Non qu’il espérât la tiare pour lui-même, le temps n’en était pas encore venu, mais il entendait que le symbole du suprême pontificat ne s’en allât pas coiffer une tête qui lui serait hostile.

À nouveau, sa magie personnelle joua. L’élu, cette fois, était l’un de ses amis, ce Pietro Barbo, cardinal de Venise, qui l’avait aidé à faire fuir son frère Pedro-Luis. Barbo avait quarante-huit ans, il était riche, aimable et beau… si beau même qu’il fallut se pendre à sa simarre pour l’empêcher de prendre comme nouveau prénom celui de Formosus, beau en latin. Ramené à une plus juste conception des choses, le nouveau pape se contenta de celui de Paul et entreprit de payer ses dettes.

Cette fois, Borgia fut royalement récompensé : la grande abbaye bénédictine de Subiaco, qu’il se dépêcha de fortifier puissamment et de timbrer du taureau familial, et le riche évêché d’Albano, en sus bien entendu de ses titres et dignités précédents. Et ce fut Borgia qui, de sa main brune, posa sur la tête du beau pape la couronne de saint Grégoire le Grand.

Le pontificat de Paul II, s’il fut agréable pour ses amis, n’allait pas laisser de grandes traces. Le pape aimait mener joyeuse vie, dépensait largement et, sous son règne, le Vatican prit peu à peu les allures d’un lieu de festivités continuelles, malgré l’agitation endémique de Rome qui, toujours partagée entre Orsini et Colonna, ne savait pas ce que c’était qu’une nuit tranquille, sans bagarres et sans meurtres.

Borgia en profita pour s’établir plus commodément dans la cité. Il avait acheté, entre le château Saint-Ange et la place d’Espagne, le groupe de bâtiments qui composaient l’ancienne Monnaie, la Zecca, et converti le tout en un magnifique palais, fastueusement décoré et bourré de tous les trésors qu’il accumulait au fil des jours.

Ce fut là que pénétra, un soir de 1470, une litière hermétiquement close, crottée jusqu’aux rideaux et escortée, comme un trésor, d’une troupe armée jusqu’aux dents.

Cette litière venait de Mantoue et elle apportait à Rodrigue la belle Vannozza, qu’à travers toutes ses aventures féminines, il n’avait pas réussi à oublier.

Tant que Pie II avait vécu, il n’avait pas osé la faire chercher mais, avec Barbo comme pape, il savait n’avoir plus rien à craindre : le nouveau pontife était prêt à lui passer les plus incroyables folies. Or c’en était une que faire venir à Rome, chez lui, et pour en faire sa maîtresse, une femme mariée.

Car Vannozza, à présent, était mariée. Elle avait épousé un certain Domenico de Arignano, personnage falot et de naturel accommodant, qui ne voyait aucun inconvénient à laisser, moyennant finances naturellement, sa femme et le séduisant cardinal Borgia assouvir ensemble leur mutuelle passion. Il s’était donc décidé à effectuer un voyage d’agrément à Venise, tandis que sa belle épouse gagnerait Rome, Rome où il la rejoindrait plus tard, lorsque son fastueux amant l’y aurait installée de façon convenable.

Depuis le jour de leur première rencontre, Vannozza était devenue plus splendide encore. Et lorsque, enfin, il la tint entre ses bras dans la douceur d’une nuit de printemps, Rodrigue connut un bonheur, une plénitude, auprès desquels pâlissaient ses autres aventures. Vannozza était tout ce qu’il aimait : chair douce et somptueuse, caractère tendre et joyeux, ardeur égale à la sienne dans les jeux de l’amour, goût de la beauté et de la vie facile. Enfin elle l’aimait, d’une passion éblouie qui faisait d’elle la plus affectueuse, la plus consentante des esclaves. Et Borgia le fauve impétueux, Borgia le débauché, Borgia le calculateur, Borgia le politique, Borgia qui se voulait semblable au taureau son emblème, Borgia sut pour la première fois de sa vie ce que c’était que la tendresse pour une femme qui n’était pas sa mère.

— D’autres m’ont donné des enfants, lui dit-il. Mais c’est de toi, Vannozza mia, de toi que j’en veux avoir, car ceux-là, je crois… oui, je crois que je les aimerai !

Il n’allait pas tarder à être exaucé…

II

Le trône de Pierre

Toutes les tempêtes de la Méditerranée semblaient s’être donné rendez-vous devant la flotte papale. L’ouragan s’était levé, brutal, imprévisible, dès que l’on eut doublé le cap Corse. À présent, il se ruait avec férocité sur les navires, comme s’il cherchait à les empêcher d’atteindre les côtes de Toscane, que l’on apercevait parfois, presque à portée de la main, entre les déchirures du brouillard.

Debout dans la chambre de poupe avec ses familiers, le cardinal-légat Rodrigue Borgia s’efforçait, au fond de sa mémoire encombrée par le langage trompeur des diplomates et les ruses de l’agent secret, de retrouver les prières naïves de son enfance.

Un an ! Un an qu’il avait quitté Rome à la demande du nouveau pape, Sixte IV, pour s’en aller démêler en Espagne les affaires d’un jeune couple princier aux dents longues. Un an qu’il avait quitté son voluptueux palais de la Zecca, sa belle Vannozza qui venait tout juste de faire une fausse couche, pour retourner, par ordre, au pays natal. Et voilà qu’au retour, le pays d’adoption semblait vouloir lui interdire l’accès de ses côtes. Dieu se déclarait-Il contre lui, par cette tempête qui martelait son navire comme les coups d’un bélier géant, y semant l’épouvante ? Tout avait si bien marché jusqu’à présent… mais peut-être Dieu n’aimait-Il pas les conseils qu’il avait laissés derrière lui ?

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