Douglas Adams
Le guide du routard galactique
Les personnages :
— Le Guide
— Arthur Dent
— Ford Prefect
— Zaphod Beeblebrox
— Trillian
— Eddie l’Ordinateur
— Slartibartfast
— Marvin, l’androïde paranoïde
Ce roman est tiré des six premiers épisodes du feuilleton radiophonique portant le même titre et diffusé par la b.b.c. du 8 mars au 12 avril 1978. (N.d.T.)
Dédié à Jonny Brock et Clare Gorst
ainsi qu’à tous les autres Arlingtoniens
pour leur thé, leur sympathie et le sofa.
Tout là-bas, au fin fond des tréfonds inexplorés et mal famés du bout du bras occidental de la Galaxie, traîne un petit soleil jaunâtre et minable.
En orbite autour de celui-ci à la distance approximative de cent cinquante millions de kilomètres se trouve une petite planète bleu-vert totalement négligeable dont les habitants – descendus du singe – sont primitifs au point de croire encore que les montres à quartz numériques sont plutôt une chouette idée.
Cette planète a – ou plutôt, elle avait – un problème, à savoir celui-ci : la plupart de ses habitants étaient malheureux la plupart du temps. Bien des solutions avaient été suggérées mais la plupart d’entre elles faisaient largement intervenir la mise en circulation de petits bouts de papier vert, chose curieuse puisqu’en définitive ce n’étaient pas les bouts de papier vert qui étaient malheureux.
Et donc le problème subsistait ; des tas de gens se sentaient minables et la plupart étaient effectivement misérables – y compris les possesseurs de montres à quartz numériques.
Un nombre croissant d’entre eux partageait cette opinion selon laquelle leur plus grosse erreur aurait été dès le début de descendre des arbres. D’aucuns même affirmaient qu’avec les arbres déjà… et qu’on aurait mieux fait de ne jamais quitter les océans.
Et puis, un beau jeudi, près de deux mille ans après qu’on eût cloué un homme sur un arbre pour avoir dit combien ça pourrait être chouette de se montrer sympa avec les gens, pour changer, une fille assise toute seule dans un petit café de Rickmansworth comprit soudain ce qui ne tournait pas rond depuis le commencement et vit enfin comment on pouvait faire du monde un endroit agréable et chouette. Cette fois, c’était la bonne, ça marcherait et on n’aurait plus besoin de clouer n’importe qui à n’importe quoi.
Mais hélas, avant que la jeune fille n’ait eu le temps de trouver une cabine pour téléphoner à quelqu’un la bonne nouvelle, une terrible et stupide catastrophe survint et l’idée se perdit à jamais.
Ceci n’est pas l’histoire de cette jeune fille.
Mais celle de cette terrible et stupide catastrophe et de quelques-unes de ses conséquences.
C’est également l’histoire d’un livre, un livre intitulé Le Guide du routard galactique – qui n’est pas un livre terrien : jamais il ne fut édité sur Terre, et, jusqu’au jour de la catastrophe, nul Terrien ne l’avait vu ni n’en avait entendu parler.
Nonobstant, un livre tout à fait remarquable.
En fait, c’était sans doute l’ouvrage le plus remarquable jamais publié par les éditeurs de la Petite Ourse (dont aucun Terrien n’avait non plus jamais entendu parler).
Non seulement ce livre est tout à fait remarquable mais c’est également un énorme succès – plus populaire encore que le Mémento d’économie domestique céleste, plus vendu que les 53 Nouvelles Recettes pour s’occuper en apesanteur et plus controversé même que la scandaleuse trilogie du philosophe Oolan Colluphid Les Origines de l’erreur de Dieu, Quelques exemples des grandes erreurs divines et Finalement, d’où sort ce dénommé Dieu ?
Auprès de bon nombre de civilisations parmi les plus décontractées des confins orientaux de l’Anneau galactique, Le Guide du routard galactique a même supplanté la grande Encyclopædia galactica comme dépositaire classique de la sagesse et de la connaissance car, malgré ses nombreuses omissions, son texte largement apocryphe (ou du moins considérablement inexact), il n’en surpasse pas moins les ouvrages antérieurs sur deux points importants, plus terre à terre :
Primo, il est légèrement moins cher et, secundo, sur sa couverture on peut lire en larges lettres amicales la mention :
PAS DE PANIQUE !
Mais l’histoire de ce terrible et stupide jeudi, l’histoire de ses extraordinaires conséquences, l’histoire des liens inextricables entre lesdites conséquences et le susdit remarquable ouvrage, cette histoire débute fort simplement :
Elle débute avec une maison.
La maison se tenait, isolée, sur une légère éminence juste à la sortie du village, et donnait sur les larges étendues de la campagne vers l’ouest. Une maison sans rien de remarquable – datant d’une trentaine d’années, trapue, carrée, bâtie en brique, avec en façade quatre ouvertures dont la taille et les proportions parvenaient à peu près totalement à ne pas satisfaire l’œil.
La seule personne pour qui cette maison représentait quelque chose de particulier s’appelait Arthur Dent et cela uniquement parce qu’il se trouvait y vivre. Il y vivait depuis trois ans, exactement depuis qu’il avait quitté Londres parce que la vie citadine le rendait irritable et nerveux. Proche de la trentaine, il était grand, brun, et pas tout à fait bien dans sa peau. Ce qui l’ennuyait le plus était que les gens n’arrêtaient pas de lui demander ce qui avait l’air de l’ennuyer tant. Il travaillait à la radio locale dont il ne cessait d’affirmer à ses amis qu’elle était bien plus intéressante qu’ils ne le croyaient sans doute. Il faut dire que la plupart de ses amis travaillaient dans la publicité.
Le mercredi soir, il avait beaucoup plu, la route était humide et boueuse mais au matin du jeudi, un soleil éclatant brillait au-dessus de la maison d’Arthur Dent pour ce qui devait s’avérer être la dernière fois.
Arthur n’avait pas encore parfaitement pris conscience que le conseil municipal avait l’intention de l’abattre pour y faire passer une bretelle de déviation.
Ce jeudi, à huit heures du matin, Arthur ne se sentait pas très bien. Il s’éveilla, hagard, se leva, fit, toujours hagard, le tour de sa chambre, ouvrit une fenêtre, vit un bulldozer, dénicha ses pantoufles et se dirigea pesamment vers la salle de bains pour aller se laver.
Le dentifrice sur la brosse.
Bon.
On frotte.
La glace : tournée vers le plafond. Il la rajusta. L’espace d’un éclair elle lui renvoya l’image d’un second bulldozer, à travers la fenêtre de la salle de bains. Une fois bien remise, la glace lui renvoya l’image des poils d’Arthur Dent. Il les rasa, se lava, se sécha et se dirigea, pesamment, vers la cuisine pour y dénicher quelque chose d’agréable à se mettre derrière la cravate.
Bouilloire, prise, frigo, lait, café. Bâillement. Le mot bulldozer lui trottait dans la tête en quête de quelque chose à quoi se raccrocher.
Le bulldozer devant la fenêtre de la cuisine était du genre énorme.
Il le contempla.
« Jaune », remarqua-t-il, avant de retourner, pesamment, s’habiller dans sa chambre.
Passant devant la salle de bains, il s’y arrêta pour boire un grand verre d’eau, puis un second. Il commençait à se demander s’il n’avait pas une cuite. Pourquoi donc une cuite ? Aurait-il bu la veille au soir ? Il fallait bien l’admettre. Il jeta un coup d’œil dans la glace. « Jaune », se dit-il et, pesamment, il gagna la chambre.
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