Stephen Baxter - Les vaisseaux du temps

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La machine à explorer le temps Par une chance extraordinaire, la narration de ce second voyage est parvenue à Stephen Baxter, un siècle exactement après la parution, en 1895, de
.
En voici la fidèle et surprenante transcription.
Il n’est pas nécessaire pour le goûter d’avoir lu le récit du premier voyage.
Reparti dans un lointain avenir, le Voyageur surpris découvre un monde différent de celui qu’il avait exploré, où les Morlocks disposent d’une civilisation technologique avancée et ne ressemblent plus aux barbares qu’il a connus.
Flanqué du Morlock Nebogipfel, il s’aventurera sur les Vaisseaux du temps jusqu’aux confins du temps et de l’espace, des univers parallèles et des possibles.
Sans jamais perdre l’espoir de retrouver la délicieuse Weena.
Les vaisseaux du temps C’est sans doute l’un des plus grands textes de science-fiction de la décennie. Il a obtenu le British Science-Fiction Award 1996, le John Campbell Memorial Award 1996 et le Philip K. Dick Award 1997, et il a figuré parmi les cinq finalistes du prix Hugo en 1996.

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Il me regarda attentivement ; je crus lire une sorte de désespoir dans la pâleur de ses yeux bleus.

— Mais n’est-ce pas là quelque plaisanterie ? Voyages-tu vraiment dans le temps ?

— Vraiment et véritablement, fis-je en soutenant son regard aussi longtemps que je pus, car je voulais qu’il fut convaincu.

C’était un petit personnage trapu, à la lèvre inférieure proéminente, au front large, aux favoris ondulés et aux oreilles passablement disgracieuses. Il était jeune – vingt-cinq ans environ, je crois, de deux décennies mon cadet – et pourtant ses cheveux plats commençaient déjà à se raréfier. Il y avait comme une élasticité dans sa démarche et il émanait de lui une certaine énergie – la nervosité d’un oiseau replet – mais il avait toujours l’air maladif : je savais qu’il était de temps à autre sujet à des hémorragies, séquelles d’un coup de pied dans les reins reçu lors d’une partie de football quand il enseignait dans quelque école privée au fin fond du pays de Galles. À présent, ses yeux bleus – fatigués, certes – étaient, comme toujours, pleins d’intelligence et de sollicitude.

Mon ami avait un emploi de professeur – il donnait à l’époque des cours par correspondance –, mais c’était un rêveur. Lors de nos agréables dîners du jeudi soir à Richmond, il se répandait en spéculations sur l’avenir et le passé et nous communiquait ses dernières pensées sur la signification de l’analyse désespérément athée de Darwin et que sais-je encore. Il rêvait de la perfectibilité de la race humaine : c’était, je le savais, exactement le type d’auditeur qui pût souhaiter de tout son cœur que mes récits de voyages dans le temps fussent véridiques !

Si je l’appelle l’ « Écrivain », c’est, je présume, par une complaisance de longue date, car, autant que je sache, il n’avait publié que diverses spéculations maladroites dans des bulletins universitaires et organes du même acabit. Mais je ne doutais pas que son brillant cerveau lui ménageât un jour une niche dans le monde des lettres et, plus important encore, il n’en doutait pas lui-même.

Bien que je fusse impatient de partir, je m’arrêtai un instant. Peut-être l’Écrivain pourrait-il me servir de témoin pour ce nouveau voyage. En fait, me demandai-je alors, il se pouvait qu’il projetât déjà de transcrire mes précédentes aventures sous une forme pittoresque en vue d’une publication.

Si tel était le cas, il aurait ma bénédiction !

— Je n’ai besoin que d’une demi-heure, dis-je, calculant que je pourrais retourner en ces lieu et moment précis par une simple pression sur les manettes de commande de mon véhicule, indépendamment de la durée que j’assignerais à mon séjour dans l’avenir ou le passé.

« Je sais pourquoi tu es venu, et c’est terriblement aimable de ta part. Il y a ici quelques revues. Si tu prends le temps de déjeuner, je te prouverai jusqu’à la gauche la réalité de ce voyage temporel, avec des spécimens et tout le reste. Si tu le veux bien, je te quitte à l’instant.

Il y consentit. Je le saluai d’un signe de tête et, sans plus de cérémonie, m’engageai dans le corridor qui menait à mon laboratoire.

Ainsi pris-je congé du monde de 1891. Je n’ai jamais été homme à m’attacher profondément, et je n’aime pas les adieux maniérés, mais, si j’avais su que je ne reverrais jamais l’Écrivain – du moins, pas en chair et en os –, j’imagine que j’y aurais mis un peu plus de cérémonial !

J’entrai dans mon laboratoire. Sa disposition rappelait quelque peu un atelier d’usinage. Il y avait un tour à vapeur accroché au plafond, qui entraînait diverses machines similaires par l’intermédiaire de courroies de cuir ; au sol, fixés sur des établis, se trouvaient des tours plus petits, une machine à emboutir, des presses, des nécessaires de soudure à acétylène, des étaux et autres outils. Des pièces de métal et des croquis traînaient sur l’établi et des fruits non aboutis de mes travaux reposaient par terre dans la poussière, car je ne suis pas d’une nature ordonnée ; par exemple, je trouvai sous mes pieds le barreau de nickel qui m’avait retardé lors de mon premier séjour dans le temps : cette tige s’était révélée trop courte d’un pouce exactement, si bien que j’avais été obligé de la refaire.

J’avais, songeai-je, passé dans cette pièce une bonne partie de vingt ans de ma vie. L’endroit était une serre réaménagée donnant sur le jardin. Elle était construite sur une élégante armature de fer forgé peint en blanc et avait jadis offert une vue passable du fleuve ; mais j’en avais depuis longtemps obturé les fenêtres pour m’assurer d’un éclairage constant et dissuader les regards curieux de mes voisins. Mes divers outils et instruments peuplaient confusément cette obscurité huileuse et me rappelaient à présent les énormes machines entrevues dans les cavernes des Morlocks. Je me demandai si je n’avais pas en moi-même un peu de la fibre morbide d’un Morlock ! À mon retour, décidai-je, je jetterais les planches à bas et reconstituerais la verrière, faisant de cette pièce un havre de lumière éloï plutôt qu’une fosse de ténèbres morlock.

Je me dirigeai alors vers la Machine transtemporelle.

Cette chose volumineuse et dissymétrique était adossée au côté nord-ouest de l’atelier – à l’endroit où, à huit cents millénaires de là, les Morlocks l’avaient entraînée dans leurs tentatives pour m’emprisonner à l’intérieur du piédestal du Sphinx Blanc. Je la ramenai à grand-peine dans le coin sud-est du laboratoire, là où je l’avais construite. Cela fait, je me penchai et, dans la pénombre, discernai les quatre compteurs chronométriques qui enregistraient le passage du véhicule dans les rangs statiques des jours de l’Histoire ; il va sans dire qu’à présent toutes les aiguilles indiquaient zéro, car la machine était retournée dans son temps d’origine. À côté de cette rangée de cadrans se trouvaient les deux manettes qui commandaient l’engin, l’une pour l’avenir, l’autre pour le passé.

Je tendis le bras et, sans réfléchir, caressai le levier du futur. La masse trapue et enchevêtrée de métal et d’ivoire frissonna comme si elle était vivante. Je souris. La Machine me rappelait qu’elle n’était plus de cette Terre, de ce Temps ni de cet Espace ! Seul parmi tous les objets matériels de l’Univers, excepté ceux que j’avais portés sur ma personne, cet engin avait huit jours de plus que son monde, car j’étais revenu au jour de mon départ après avoir séjourné une semaine à l’ère des Morlocks.

J’abandonnai mon bagage et mon appareil photographique sur le sol du laboratoire et accrochai mon chapeau à une patère derrière la porte. Me souvenant que les Morlocks avaient manipulé le véhicule, je me mis en devoir d’en vérifier le fonctionnement. Je ne me souciai pas d’éliminer les diverses taches brunes, les brins d’herbe et la mousse qui adhéraient encore aux traverses de l’engin ; je n’ai jamais été pointilleux sur les apparences. Mais une des traverses était faussée ; je la redressai d’une torsion, vérifiai la visserie et lubrifiai les barreaux de quartz.

Ce faisant, je me remémorai mon honteux affolement en découvrant que le véhicule était aux mains des Morlocks et je sentis au tréfonds de moi un sursaut d’affection pour cet engin disgracieux. La Machine était une cage ouverte de nickel, de cuivre et de quartz, d’ébène et d’ivoire, plutôt complexe – comme le mécanisme d’une horloge de clocher – et dotée d’une selle de bicyclette incongrue au milieu de tout cet attirail. Quartz et cristal de roche, gorgés de plattnérite, luisaient dans l’armature, donnant à l’ensemble un aspect irréel et décalé.

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