« Je suis désolé, Gurney. »
« tu ne l’es pas encore assez ! »
Et Gurney réactiva son propre bouclier et se ramassa, le kindjal nu dans sa main gauche, brandissant haut sa rapière de la main droite. « Et maintenant, garde-toi vraiment ! » Et il fit un bond de côté, puis un autre en avant, attaquant furieusement. Paul battit en retraite tout en parant. Les deux boucliers vinrent en contact dans un craquement d’énergie et Paul sentit la morsure de l’électricité sur sa peau. Qu’arrive-t-il à Gurney ? Il ne joue plus ! Il fit un geste de la main et la lancette fixée à son poignet gauche glissa hors de son fourreau jusque dans sa paume.
« Tu as besoin d’une lame de secours, hein ? » gronda Halleck.
Une trahison ? se demanda Paul, alarmé. Non, pas Gurney !
Et ils poursuivirent leur combat par toute la salle, attaquant et parant, feintant et contre-feintant. L’air à l’intérieur des bulles délimitées par les boucliers, devint lourd tandis qu’à chaque nouveau contact l’odeur d’ozone se faisait plous dense.
Paul continuait de reculer mais, à présent, il essayait de revenir vers la table. Si je peux l’amener là, songea-t-il, je lui montrerai un de mes tours. Allez, Gurney, encore un pas.
Halleck fit ce pas. Paul para un nouveau coup vers le bas, pivota et vit que l’arme d’Halleck venait buter contre le bord de la table. Alors il se jeta sur le côté, porta une attaque à la tête et, dans le même instant, darda la lancette vers le cou du baladin. La lame s’arrêta à moins de cinq centimètres de la jugulaire.
« Est-ce cela que tu désirais ? » souffla Paul.
« Baisse les yeux, mon garçon », haleta Gurney.
Paul obéit et il vit le kindjal pointé droit sur son ventre, sous la table.
« Nous nous serions rejoints dans la mort, dit Halleck. Mais je dois admettre que tu te bats bien mieux lorsque tu y es acculé. On dirait que tu as le cœur à ça, maintenant. » Et il fit un sourire de loup tandis que la cicatrice se plissait sur sa joue.
« Tu m »as attaqué de telle façon…, dit Paul. Aurais-tu vraiment répandu mon sang ? »
Halleck abaissa son kindjal et se redressa. « Si tu t’étais battu un degré en dessous de tes capacités, mon garçon, je t’aurais fait une bonne estafilade qui t’aurait laissé une cicatrice en guise de souvenir. Je ne veux pas que mon élève favori succombe devant la première canaille Harkonnen qu’il viendra à rencontrer. »
Paul désactiva son bouclier et s’appuya sur la table pour reprendre son souffle. « Je méritais cette leçon, Gurney. Mais mon père aurait été furieux si tu m’avais blessé. Il t’aurait puni à cause de mon échec. »
« C’était tout aussi bien mon échec. Et une ou deux cicatrices à l’entraînement n’auraient rien de tragique, sais-tu ? Tu as eu de la chance jusqu’à présent. Quand à ton père… Le Duc me punirait seulement si je ne parvenais pas à faire de toi un combattant hors pair. Et j’aurais commis une erreur en ne te démontrant pas la fausseté de cette idée de cœur qui t’est venue. »
Paul se redressa et remit sa lancette dans son étui de poignet.
« Ce n’est pas exactement un jeu », dit Halleck.
Paul acquiesça. La gravité inhabituelle d’Halleck, son impressionnante détermination le surprenaient. Ses yeux se posèrent sur la cicatrice rougeâtre qui marquait la joue du baladin et il se souvint de ce que l’on racontait à son propos, qu’elle avait été faite par Rabban la Bête, dans un puits d’esclave Harkonnensn sur Geidi Pime. Et tout à coup il se sentit honteux d’avoir pu douter de Gurney pendant un seul instant. Et il prit conscience que cette cicatrice sur la joue d’Halleck avait dû correspondre à une souffrance intense, aussi intense, peut-être, que celle que lui avait infligé la Révérende Mère. Puis il repoussa cette idée : elle semblait glacer l’univers tout entier.
« Je crois que j’avais envie de jouer, aujourd’hui, dit-il. Les choses sont devenues si sérieuses, ici, tous ces temps. »
Halleck se détourna pour ne pas montrer son émotion. Quelque chose lui brûlait soudain les yeux. Et, en lui, il y avait de la douleur. Une douleur qui était comme une vieille cicatrice intérieure, tout ce qui restait d’une ancienne blessure guérie par le Temps.
Il est encore bien tôt pour que cet enfant assume sa condition d’homme, songea-t-il. Bien tôt pour qu’il lise ce qui est apparu dans son esprit, pour qu’il explique cette brutale appréhension qui signifie : Méfie-toi de tes proches.
Sans se retourner encore, il dit : « J’ai perçu cette envie de jouer qu’il y avait en toi, mon garçon, et je n’aurais rien demandé de mieux que de la satisfaire. Mais nous ne pouvons plus jouer. Demain, nous gagnons Arrakis. Arrakis est bien réelle. Et les Harkonnens aussi.
De la lame de sa rapière, Paul toucha son front.
Halleck, se retournant alors, acquiesça devant ce salut. Puis il désigna un mannequin d’exercice. « A présent, travaillons ta vitesse. Montre-moi donc comment tu attaques cette chose. Je contrôlerai d’ici, où je puis parfaitement surveiller tes actions. Et je t’avertis qu’aujourd’hui je vais essayer de nouvelles parades. Un véritable ennemi ne t’avertirai pas, lui. »
Paul se dressa sur la pointe des pieds pour détendre ses muscles. Il comprenait soudain que son existence était maintenant soumise à de brusques changements et cela le rendait grave. Il marcha jusqu’au mannequin, pressa le contact du bout de sa rapière et, immédiatement, il sentit l’effet de répulsion du bouclier sur son arme.
« En garde ! » lança Halleck, et le mannequin attaqua.
Paul activa son bouclier, para le premier coup et contre-attaqua.
Halleck le surveillait tandis qu’il manipulait les contrôles. Son esprit était divisé en deux parties égales : l’une était pleinement attentive à l’exercice alors que l’autre dérivait librement.
Je suis l’arbre fruitier bien soigné, disait cette partie libre. Je suis chargé de sentiments bien formés et de capacités. Et, comme des fruits, on peut cueillir sur moi, chacun de ces sentiments, chacune de ces capacités.
Et, pour quelque raison, il se souvint de sa jeune sœur. Son jeune visage était parfaitement clair dans son esprit. Elle était morte. Dans une maison de plaisir pour soldats Harkonnens. Elle aimait les pensées… A moins que ce ne fût les marguerites… Il ne parvenait pas à se rappeler. Et cela le troublait.
Paul contra une attaque lente du mannequin et, de la main gauche, porta un entretisser .
Petit démon rusé ! songea Halleck en observant avec attention les passes complexes de Paul. Il a étudié et s’est entraîné de son côté. Ca n’est pas là le style de Duncan et je ne lui ai certainement rien appris de semblable !
Cette pensée ne fit qu’ajouter à sa tristesse. Moi non plus, je n’ai plus le cœur à rien , se dit-il. Ses pensées revinrent à Paul et il se demanda soudain si, certaines nuits, le garçon ne guettait pas avec angoisse les bruits de son oreiller.
« Si les vœux étaient des poissons, murmura-t-il, nous lancerions tous des filets. »
C’était une expression de sa mère qu’il se répétait lorsqu’il sentait sur lui la noirceur des lendemains. En cet instant, il se prit à songer qu’elle était bien étrange à propos d’une planète qui jamais n’avait connu la moindre mer ni le moindre poisson.
YUEH, Wellington, surtout connu pour avoir trahi le duc Leto Atréides
(estrait du Dictionnaire de Muad’Dib, par la Princesse Irulan)
Bien qu’il eût entendu le docteur Yueh pénétrer dans la salle et noté la lenteur calculée de sa démarche, Paul ne fit pas un mouvement et demeura étendu la visage contre la table, dans la position où l’avait laissé la masseuse. Il se sentait délicieusement épuisé après ce combat contre Gurney Halleck.
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