— Oui.
Jason pénétra derrière la jeune fille dans un petit cagibi qui sentait le renfermé. Kathy tira la porte et, au bout d’un instant, déclara :
— Eddy est un mouchard de la police.
Il la regarda fixement.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ? Pourquoi est-ce un mouchard ? Pour l’argent. Pour la même chose que moi.
— Le diable vous emporte ! s’écria Jason. (L’agrippant par le poignet, il la tira vers lui ; elle grimaça sous l’étreinte de ses doigts.) Et il est déjà en train de…
— Eddy n’a encore rien fait, haleta-t-elle en essayant de se libérer. Vous me faites mal. Allons… calmez-vous et je vais vous montrer.
Il la lâcha à regret. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il avait peur. Kathy alluma une petite lampe et posa trois documents falsifiés au milieu du rond de lumière.
— Il y a un point violet dans la marge de chacune de ces pièces, dit-elle en désignant un cercle coloré presque invisible. C’est un microémetteur. Ainsi, quand vous vous déplacez, vous émettez un bip toutes les cinq secondes. Ils recherchent les complots. Ils veulent avoir les gens qui sont avec vous.
— Je ne suis avec personne, objecta durement Jason.
— Mais ça, ils ne le savent pas. (Elle se massa le poignet avec une moue de petite fille boudeuse.) Je vous garantis que personne n’a jamais entendu dire que les vedettes de la télé avaient des réactions aussi rapides ! murmura-t-elle.
— Pourquoi m’expliquez-vous tout cela ? Après avoir fabriqué tous ces faux… ces…
— Je veux que vous vous en tiriez, répondit-elle en toute simplicité.
— Pourquoi ?
Jason était totalement dérouté.
— Pourquoi ? Vous avez une sorte de magnétisme. Je l’ai remarqué dès que vous êtes entré. Vous êtes… (elle chercha le mot)… vous êtes sexy. Même à votre âge.
— J’ai de la présence.
— Oui, approuva-t-elle. J’ai déjà vu ça chez les hommes publics, mais de loin, jamais à bout portant comme maintenant. Je comprends pourquoi vous vous imaginez être une vedette de la télé. Vous avez tout à fait l’air d’en être une.
— Comment ferai-je pour m’en tirer ? Allez-vous me le dire ? Ou cela coûte-t-il un peu plus cher ?
— Dieu que vous êtes cynique !
Jason éclata de rire et la prit à nouveau par le poignet.
— Mais je ne peux pas vous le reprocher, enchaîna-t-elle en secouant la tête, les traits figés. Pour commencer, vous pouvez acheter Eddy. Cinq cents dollars de plus feront l’affaire. Moi, vous n’aurez pas besoin de m’acheter. À une condition, toutefois, et c’est sérieux : il faudra que vous restiez quelque temps avec moi. Vous avez quelque chose d’attirant. Comme un bon parfum. Vous m’excitez, or cela ne m’arrive jamais avec les hommes.
— Avec les femmes, alors ? releva-t-il perfidement, sans qu’elle parût entendre.
— C’est d’accord ? supplia-t-elle.
— Merde, je préfère partir.
Tendant le bras pour ouvrir la porte, il la bouscula et repassa dans l’atelier.
Elle se précipita sur ses talons et le rattrapa dans le désert crépusculaire du restaurant abandonné.
— On vous a déjà implanté un émetteur, lui dit-elle d’une voix saccadée, face à lui dans la pénombre.
— Ça m’étonnerait.
— C’est pourtant la vérité. C’est Eddy qui s’en est chargé.
— Foutaise !
Jason se dirigea vers la lueur filtrant de l’entrée déglinguée du restaurant. Kathy le suivit comme un herbivore au pied agile.
— Mais supposez que ce soit vrai, souffla-t-elle. C’est tout à fait possible !
Elle s’interposa entre Taverner et la porte, clé de la liberté, et, levant les bras comme pour esquiver un direct, elle ajouta en toute hâte :
— Restez avec moi une seule nuit. Couchez avec moi. D’accord, c’est tout, je vous le promets. Acceptez-vous pour une nuit ?
Une partie de mes capacités, de mes prétendues et fameuses capacités m’ont accompagné dans ce lieu étrange où je me trouve à présent, se dit Jason. Ce lieu où je n’existe qu’en vertu de faux papiers fabriqués par des indicateurs à la solde de la police. Incroyable. (Il frissonna.) Des cartes avec des microémetteurs incrustés en filigrane, dans le but de me livrer, moi ou n’importe qui, aux pols. Jusqu’à présent, je me suis plutôt mal débrouillé ici. Sauf que j’ai quelque chose d’attirant, comme elle dit. Seigneur ! Et c’est tout ce qui se dresse entre moi et le camp de travail.
— D’accord.
C’était apparemment la solution la plus sage… et de loin.
— Allez payer Eddy. Réglez cette question et qu’il s’en aille.
— Je me demandais pourquoi il continuait à traînailler dans le secteur. Flairait-il une rallonge ?
— Je suppose, dit Kathy.
— Votre coup est bien monté, commenta Jason en sortant son argent. (La procédure normale. Et il était tombé dans le panneau.)
— Eddy est un psi, répliqua gaiement Kathy.
À deux blocs de là, au premier étage d’une maison de bois jadis blanc, Kathy disposait d’un studio avec un coin-cuisine conçu pour une seule personne.
Jason regarda autour de lui. C’était une chambre féminine : le petit lit étroit était recouvert d’une courtepointe tissée à la main, des rangs successifs de minuscules boules de fibre textile verte. Une tombe de soldat, songea-t-il morbidement en quadrillant la pièce, oppressé par son exiguïté.
Sur une table de rotin, un livre de Proust, À la recherche du temps perdu.
— Jusqu’où êtes-vous allée ?
— Jusqu’à l’ombre des jeunes filles en fleur, répondit Kathy en refermant la porte à double tour et en branchant une espèce de gadget électronique que Jason fut incapable d’identifier.
— Ce n’est pas très loin.
Elle enleva son imperméable en plastique.
— Et vous, où êtes-vous arrivé ? (Elle accrocha son manteau dans une penderie miniature, ramassant celui de Jason par la même occasion.)
— Je ne l’ai jamais lu, mais nous avons réalisé pour mon émission une dramatique inspirée d’un passage, je ne sais plus lequel. On a reçu beaucoup de lettres de félicitations, mais on n’a jamais recommencé. Avec ces choses marginales, il faut être prudent et y aller au compte-gouttes. Sinon, le reste de l’année, c’est la mort du petit cheval pour tout le monde, tous réseaux confondus.
Mal à l’aise, il déambulait dans la pièce, examinant un livre, une cassette, un micromag. Kathy avait même une poupée parlante. Comme une gosse. Elle n’était pas réellement une adulte. Curieux, il mit le mannequin en marche.
— Salut, déclara la poupée. Je suis Gai Gaétan et je suis exactement branché.
— Je ne connais aucun Gai Gaétan qui soit branché sur ma longueur d’onde. (Il fit mine de couper la mécanique mais la poupée protesta.) Je suis désolé, lui répondit Taverner, mais je te déconnecte, espèce d’affreux petit bonhomme.
— Mais je t’aime ! gémit Gai Gaétan d’une voix métallique.
Jason s’immobilisa, le doigt sur le bouton de contact.
— Eh bien, prouve-le. (À l’occasion de son show, il lui était arrivé de faire de la publicité pour ce genre de camelote. Qu’il détestait.) Donne-moi de l’argent.
— Je sais comment te faire retrouver identité, célébrité et dextérité, annonça Gai Gaétan. Ça te va comme ouverture ?
— Bien sûr.
— Va voir ta petite amie, grésilla Gai Gaétan.
— De qui parles-tu ? demanda Jason sur la défensive.
— D’Heather Hart.
— J’ai hâte, émit Jason, pressant sa langue contre ses incisives. (Puis il pencha la tête.) Tu as d’autres conseils à me donner ?
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