— Néanmoins, décida Ender, je dois demander à quelqu’un de m’y conduire. Il ne faut pas qu’ils comprennent tout de suite qu’ils ne peuvent pas me cacher des informations.
La carte disparut et le visage de Jane se forma au-dessus du terminal. Elle avait négligé de s’adapter à la taille supérieure de ce terminal, de sorte que sa tête était énorme. Elle était très impressionnante. Et sa simulation était si précise qu’elle montrait même les pores de la peau.
— En réalité, Andrew, c’est à moi qu’ils ne peuvent rien cacher.
Ender soupira.
— Tu t’es investie dans cette affaire, Jane.
— Je sais. (Elle lui adressa un clin d’œil.) Mais pas toi.
— Veux-tu dire que tu ne me fais pas confiance ?
— Tu empestes l’impartialité et le sens de la justice, mais je suis assez humaine pour désirer un traitement de faveur, Andrew.
— Veux-tu me promettre au moins une chose ?
— Tout ce que tu veux, ami corporel.
— Quand tu décideras de me cacher quelque chose, accepteras-tu de me dire que tu ne me le communiqueras pas ?
— Cela est un peu trop compliqué pour moi.
Elle était une caricature de femme exagérément féminine.
— Rien n’est trop compliqué pour toi, Jane. Rends-nous service. Ne me coupe pas les jambes.
— Pendant que tu seras avec la famille Ribeira, y a-t-il quelque chose que tu voudrais que je fasse ?
— Oui. Dresse la liste de tous les éléments qui différencient les Ribeira du reste des habitants de Lusitania. Et celle de tous les points de conflit entre eux et les autorités.
— Tu parles et j’obéis.
Elle commença sa comédie du génie disparaissant dans la bouteille.
— Tu m’as entraîné ici, Jane. Pourquoi cherches-tu à m’agacer ?
— Je ne le fais pas. Et je ne l’ai pas fait.
— Je suis confronté à une pénurie d’amis, dans cette ville.
— Tu peux me confier ta vie.
— Ce n’est pas ma vie qui m’inquiète.
La praça était pleine d’enfants jouant au football. Presque tous jonglaient, montrant qu’ils pouvaient maintenir longtemps le ballon en l’air en utilisant uniquement les pieds et la tête. Deux d’entre eux, toutefois, se livraient un duel cruel. Le garçon, d’un coup de pied, projetait le ballon aussi violemment que possible en direction de la petite fille qui se tenait à moins de trois mètres de lui. Elle subissait l’impact sans reculer, quelle que soit sa puissance. Puis elle frappait à son tour le ballon dans sa direction et il tentait de ne pas reculer. Une autre petite fille s’occupait du ballon, allant le chercher chaque fois qu’il rebondissait sur une victime.
Ender tenta de demander à quelques enfants où habitait la famille Ribeira. Les réponses furent invariablement un haussement d’épaules ; comme il insistait, quelques-uns s’en allèrent et, bientôt, presque tous les enfants eurent quitté la praça. Ender se demanda ce que l’évêque avait dit des Porte-Parole.
Le duel, toutefois, n’avait pas cessé. Et, du fait que la praça était pratiquement vide, Ender constata qu’un autre enfant y participait, un garçon d’une douzaine d’années. Il n’avait rien d’exceptionnel, de dos, mais, en gagnant le milieu de la praça, Ender constata que l’enfant avait des yeux étranges. Il lui fallut quelques instants pour comprendre. Le garçon portait des yeux artificiels. Ils avaient tous les deux un aspect luisant et métallique, mais Ender savait comment ils fonctionnaient. Un seul œil était utilisé pour la vue, mais il opérait quatre balayages visuels distincts puis séparait les signaux afin de fournir une vision réellement binoculaire au cerveau. L’autre œil contenait la réserve d’énergie, le contrôle informatique et l’interface externe. Lorsqu’il le désirait, il pouvait enregistrer de brèves séquences de vision dans une mémoire photographique limitée, probablement inférieure à un trillion de bits. Les duellistes l’utilisaient comme arbitre ; lorsqu’ils étaient en désaccord sur un point, il pouvait repasser la scène au ralenti et dire ce qui était arrivé.
Le ballon fila droit vers le bas-ventre du petit garçon. Il fit des grimaces élaborées, mais la petite fille ne se laissa pas impressionner.
— Il s’est tourné, j’ai vu ses hanches bouger !
— C’est pas vrai. Tu m’as touché, j’ai pas esquivé !
— Reveja ! Reveja !
Ils parlaient stark, mais la petite fille passa au portugais.
Le visage du garçon aux yeux métalliques resta inexpressif, mais il leva une main pour les faire taire.
— Mudou , dit-il sur un ton définitif.
Il a bougé, traduisit Ender.
— Sabia !
Je le savais.
— Menteur, Olhado !
Le garçon aux yeux métalliques le regarda de haut.
— Je ne mens jamais. Je t’enverrai une copie de la scène, si tu veux. En fait, je crois que je vais l’introduire dans le réseau afin que tout le monde puisse te voir esquiver, puis mentir.
— Mentiroso ! Filho de punta ! Fode-bode !
Ender était pratiquement sûr d’avoir deviné ce que signifiaient les épithètes, mais le garçon aux yeux métalliques resta parfaitement calme.
— Da , dit la petite fille. Da-me .
Donne.
Furieux, le garçon retira sa bague et la jeta par terre, à ses pieds.
— Viada ! dit-il dans un souffle rauque.
Puis il partit en courant.
— Poltrão ! cria la fillette.
Trouillard !
— Cão ! cria le petit garçon sans même tourner la tête.
Ce n’était pas à la petite fille qu’il s’adressait, cette fois. Celle-ci se tourna vers le garçon aux yeux métalliques, qui se crispa sous l’effet de l’insulte puis, presque immédiatement après, regarda le sol. La petite qui était chargée d’aller chercher le ballon s’approcha du garçon aux yeux métalliques et lui parla à voix basse. Il leva la tête, s’apercevant de la présence d’Ender.
La duelliste restante s’excusait :
— Desculpa, Olhado, não queria que…
— Não hã problema, Michi.
Il ne la regardait pas.
La petite fille parut sur le point de continuer, mais elle s’aperçut également de la présence d’Ender et se tut.
— Porque esta olhandos-nos ? demanda le garçon.
Pourquoi nous regardez-vous ?
Ender répondit par une question.
— Voce é arbitra ?
Vous êtes l’arbitre ? Le mot pouvait signifier « arbitre », mais son sens pouvait également être « magistral ».
— De vez em quando .
Parfois.
Ender passa au stark. Il n’était pas certain de pouvoir s’exprimer convenablement en portugais.
— Dis-moi, arbitre, est-il juste de laisser un étranger chercher son chemin sans aide ?
— Etranger ? Vous voulez dire utlanning, framling ou raman ?
— Non, je veux plutôt dire : infidèle.
— O serhor é descrente ?
Vous êtes incroyant ?
— Sô descredo no incrivel.
Je ne réfute que l’incroyable.
Le jeune garçon sourit.
— Où voulez-vous aller, Porte-Parole ?
— Chez la famille Ribeira.
La petite fille s’approcha du garçon aux yeux métalliques.
— Quelle famille Ribeira ?
— La veuve Ivanova.
— Je crois que je vais pouvoir vous renseigner, dit le jeune garçon.
— Tous les habitants de la ville pourraient me renseigner, souligna Ender. La question est de savoir si tu accepteras de m’y conduire.
— Pourquoi voulez-vous y aller ?
— Je pose des questions aux gens et je tente de découvrir la vérité.
— Chez les Ribeira, personne ne connaît la vérité.
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