« Voilà exactement ce qu’il ma faut en ce moment, dit Jessica. Un bon cours d’Histoire ! »
« Ne sois pas sarcastique, ma fille ! Tu sais aussi bien que moi quelles forces nous environnent. Notre civilisation repose sur trois bases : La Maison Impériale, qui s’oppose aux Grandes Maisons du Landsraad et, entre elles, la Guilde et son satané monopole des transports interstellaires. En politique, le tripode est la plus instable de toutes les structures. Et je compte sans ce système commercial qui est demeuré au stade féodal, tournant le dos à toute science et qui complique toute chose. »
« Des débris d’épaves emportés par le flot… comme le Duc Leto, son fils et… »
La voix de Jessica était amère et la Révérende Mère l’interrompit : « Oh silence, ma fille ! Tu savais très bien en entrant dans ce jeu sur quel fil tu allais danser. »
« Je suis une Bene Gesserit. Je n’existe que pour servir. »
« C’est la vérité, et tout de que nous pouvons espérer, c’est empêcher que tout ceci ne provoque une conflagration générale afin de préserver ce qui peut l’être encore dans nos lignes de sang. »
Jessica ferma les yeux et elle sentit le picotement des larmes sous ses paupières. Elle lutta contre le tremblement intérieur qui la saisissait, contre les frissons de sa peau, un souffle rauque, un pouls qui s’affolait, la sueur sur ses paumes. Elle dit : « Je paierai mes fautes. »
« Ton fils paiera avec toi. »
« Je le protégerai autant que je pourrai. »
« Le protéger : Mais si tu le protèges trop, Jessica, jamais il ne deviendra assez fort pour accomplir son destin ! »
Jessica se détourna. Par delà la fenêtre, elle contempla l’ombre qui se faisait plus dense.
« Est-elle vraiment aussi affreuse, cette planète Arrakis ? »
« Affreuse, mais pas complètement, dit la Révérende Mère. La Missionaria Protectiva est passée là et elle a quelque peu amélioré les choses. »
Lé Révérende Mère se leva et lissa un pli de sa robe. « Appelle le garçon. Je dois bientôt partir. »
« Vraiment ? »
La voix ancienne s’adoucit : « Jessica, ma fille, je souhaiterais être à ta place et assumer tes peines. Mais chacun de nous doit suivre son propre chemin. »
« Je sais. »
« Tu m’es aussi chère que n’importe laquelle de mes filles, mais je ne puis laisser cela interférer avec le devoir. »
« Je comprends… C’est nécessaire. »
« Ce que tu as fait, Jessica, et pourquoi tu l’as fait… nous le comprenons toutes deux… Mais la bonté m’oblige à te dire qu’il y a peu de chance pour que l’enfant soit la Totalité du Bene Gesserit. Il ne faut pas trop espérer. »
Jessica chassa les larmes au coin de ses yeux. C’était un geste de colère. Elle dit : « Vous me donnez l’impression d’être redevenue une petite fille, de réciter à nouveau ma première leçon… (Les mots franchissaient difficilement ses lèvres.) Les humains ne doivent point se soumettre aux animaux… (Elle eut un sanglot étouffé et acheva, presque dans un murmure : ) J’ai été si seule… »
« Cela devrait faire partie des épreuves, dit la vieille femme. Les humains sont presque toujours seuls. Maintenant, appelle le garçon. Il a vécu une journée longue et effrayante. Mais il a eu suffisamment de temps pour réfléchir et se souvenir et je dois lui poser d’autres questions à propos de ses rêves. »
Jessica hocha la tête et se dirigea vers la Chambre de Méditation. « Paul, entre, s’il te plait. »
Il obéit, avec lenteur. Il regarda sa mère comme une étrangère. Puis, comme il posait les yeux sur la Révérende Mère, la méfiance ternir son regard. Et il se contenta d’incliner le menton, comme à l’adresse d’un égal. Derrière lui, il entendit sa mère refermer la porte.
« Jeune homme, dit la Révérende Mère, revenons-en à ces rêves. »
« Que voulez-vous savoir ? »
« Rêves-tu chaque nuit ? »
« Mes rêves ne valent pas toujours que l’on s’en souvienne. Je puis me rappeler chacun d’eux mais seuls certains en valent la peine. »
« Comment fais-tu la différence ? »
« Je le sais. »
Le vieille femme regarda Jessica, puis Paul, de nouveau.
« Quel rêve as-tu fait la nuit dernière ? demanda-t-elle. Valait-il que tu t’en souviennes ? »
« Oui. (Il ferma les paupières.) J’ai rêvé d’une caverne… et d’eau… Il y avait une fille… très maigre, avec de grands yeux. Des yeux entièrement bleus, sans le moindre blanc. Je lui parlais de vous, je lui disais que j’avais vu la Révérence Mère sur Caladan… » Il rouvrit les yeux.
« Et ce que tu racontais à cette étrange fille, est-ce arrivé aujourd’hui ? »
Il réfléchit un instant. « Oui. Je disais à la fille que vous étiez venue et que vous m’aviez marqué d’un sceau d’étrangeté. »
« Un sceau d’étrangeté, murmura la Révérende Mère, et elle regarda de nouveau Jessica avant de revenir au garçon. Mais, dis-moi, Paul, as-tu souvent de ces rêves où se passent des évènements qui se répètent ensuite dans la réalité, exactement comme tu les as rêvés ? »
« Oui. Et j’avis déjà rêvé de cette fille. »
« Ah ? Et tu la connais ? »
« Je la connaîtrai. »
« Parle-moi d’elle. »
A nouveau, il ferma les yeux. « Nous sommes dans un petit refuge, entre des rochers. Il fait presque nuit mais il y a encore un peu de tiédeur et je peux apercevoir des bandes de sable entre les rochers. Nous… nous attendons quelque chose… Je dois rencontrer des gens. La fille est effrayée mais elle essaie de na pas le montrer. Moi, je suis excité. Elle me dit : « Parle-moi des eaux de ton monde natal Usul. » (Paul ouvrit les yeux.) N’est-ce pas étrange ? Ma planète natale s’appelle Caladan. Jamais je n’ai entendu parler d’un monde appelé Usul. »
« Y a-t-il autre chose dans ce rêve ? » intervint Jessica.
« Oui. Mais j’y pense : peut-être est-ce moi que la fille appelle Usul… (A nouveau, ses paupières s’abaissèrent.) Elle me demande de lui parler des eaux de ce monde. Et je lui prends la main. Je lui dis que je vais lui réciter un poème. Je le lui récite mais en lui expliquant certains termes comme plage, ressac, algue, mouette. »
« Quel est ce poème ? »
Il regarda la Révérende Mère. « L’une des ballades de Gurney Halleck pour les moments de tristesse. »
Derrière son fils, Jessica se mit à réciter :
« Je me souviens de la fumée de sel d’un feu de plage
Et des ombres sous les pins,
Dures, propres… Solides.
Des mouettes au bout de la terre,
Blanches sur tout ce vert.
Et du vent qui venait dans les pins
Faire se balancer les ombres ;
Des mouettes qui déployaient leurs ailes
Vers le ciel
Et qui l’emplissaient de cris
Dans le brui du vent
Qui soufflait sur la plage,
Et le ressac.
Et je vois notre feu
Qui a brûlé les algues. »
« C’est celui-ci », dit Paul.
La vieille femme le regarda et dit : « Jeune homme, en tant que Rectrice du Bene Gesserit, je recherche le Kwisatz Haderach, le mâle qui pourra devenir véritablement l’un d’entre nous. Votre mère voit en vous cette possibilité, mais elle voit avec les yeux d’une mère. Cette possibilité, je la vois moi aussi, mais rien de plus. »
Elle se tut et Paul comprit qu’elle désirait qu’il parle. Alors, il attendit.
« Très bien, fit-elle après un instant. Comme tu voudras. Il y a en toi des abîmes. Je dois le reconnaître. »
« Puis-je disposer, à présent ? » demanda-t-il.
« Ne désires-tu pas entendre ce que la Révérende Mère peut te dire à propos du Kwisatz Haderach ? » demanda Jessica.
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