— Chut ! fit Diana Philomel. Vous voulez dire les pèlerins du gritche sur Hypérion, John ? reprit-elle en s’adressant à moi.
— Oui.
— Il y a un pèlerinage en cours ?
— Oui.
— Et pour quelle raison Gladstone a-t-elle besoin de vous ?
— Parce que je les vois en rêve.
Il y eut une exclamation écœurée. Hermund murmura :
— Il est complètement cinglé. Même sous sérum de vérité, il ne sait pas qui il est, et maintenant, il nous raconte n’importe quoi. Finissons-en avec ce…
— Tais-toi, fit Lady Diana. Gladstone n’est pas cinglée, elle. N’oublie pas qu’elle l’a fait venir spécialement. Qu’est-ce que ça signifie, quand vous dites que vous les voyez en rêve, John ?
— Je rêve les impressions ressenties par la première personnalité Keats récupérée.
Ma voix était pâteuse, comme si j’étais en train de parler dans mon sommeil.
— Il s’est recâblé dans l’un des pèlerins quand ils ont assassiné son corps. À présent, il hante leur microsphère. J’ignore comment ses perceptions sont devenues mes rêves. Peut-être que mes actions sont ses rêves à lui. Je ne sais pas.
— Complètement dingue ! s’écria Hermund.
— Mais non, fit Lady Diana d’une voix tendue, presque paralysée par le choc. John, êtes-vous un cybride ?
— Oui.
— Par Allah et Jésus ! s’exclama-t-elle.
— Qu’est-ce que c’est que ça, un cybride ? fit l’un des gorilles, qui avait une voix haut perchée, presque féminine.
Il y eut quelques instants de silence, puis la voix de Diana reprit :
— Crétin ! Les cybrides étaient des annexes de personnalités humaines créées par le TechnoCentre. Il y en avait quelques-uns qui siégeaient à l’Assemblée consultative jusqu’à la fin du siècle dernier, où ils ont été interdits.
— Des androïdes ? Un truc comme ça ? demanda le deuxième gorille.
— La ferme ! s’écria Hermund.
— Non, répondit Diana. Les cybrides étaient des êtres génétiquement parfaits, recombinés à partir d’ADN remontant à l’Ancienne Terre. Il suffisait d’un fragment d’os, d’un cheveu… John, vous m’entendez, John ?
— Oui.
— John, vous êtes un cybride… Savez-vous qui était votre modèle original ?
— Oui. John Keats.
Je l’entendis prendre une inspiration prolongée.
— Qui est… Qui était… John Keats ?
— Un poète.
— À quelle époque a-t-il vécu ?
— De 1795 à 1821.
— Selon quel calendrier, John ?
— Ancienne Terre d’Avant la Mort. Époque moderne, préhégirienne.
La voix d’Hermund s’interposa, nerveuse :
— John, êtes-vous… en contact avec le TechnoCentre, en ce moment ?
— Oui.
— Pouvez-vous… Avez-vous la possibilité de communiquer avec eux malgré le sérum ?
— Oui.
— Bordel ! fit le gorille à la voix de soprano.
— Il faut foutre le camp d’ici, lança Hermund.
— Encore une minute, murmura Diana. Il faut absolument que nous sachions si…
— On ne peut pas l’emmener avec nous ? demanda le gorille à la voix plus grave.
— Crétin ! lui dit Hermund. Tant qu’il est vivant et en contact avec l’infosphère… Merde, ça signifie qu’il est dans le TechnoCentre. Son esprit est là-bas… Il peut communiquer quand il veut avec Gladstone, avec le Vice-Président, avec la Force… N’importe qui !
— Tais-toi un peu, lança Lady Diana. Nous l’éliminerons dès que j’en aurai fini avec lui. Encore quelques questions. John ?
— Oui ?
— Pourquoi Gladstone a-t-elle besoin de savoir ce qui arrive aux pèlerins gritchtèques ? Y a-t-il un rapport avec la guerre contre les Extros ?
— Je ne sais pas très bien.
— Merde, chuchota Hermund. Foutons le camp !
— Tais-toi. John, d’où venez-vous au juste ?
— J’ai vécu sur Espérance durant les dix derniers mois.
— Et avant cela ?
— Avant cela, c’était la Terre.
— Quelle Terre ? demanda Hermund. La Nouvelle-Terre ? La Terre n°2 ? La Cité de la Terre ? Laquelle ?
— La Terre, répétai-je, avant d’ajouter, le souvenir me revenant soudain : Celle que vous appelez l’Ancienne Terre.
— L’ Ancienne Terre ? s’étonna l’un des gorilles. Bordel ! Je me tire, moi !
Je perçus le bruit de friture d’une arme laser, puis une odeur qui rappelait celle du bacon frit, en plus douceâtre, le tout accompagné d’un choc sourd. Diana Philomel poursuivit.
— John, vous voulez parler de votre modèle original de l’Ancienne Terre ?
— Non.
— C’est bien vous, vous en tant que cybride, qui avez vécu sur l’Ancienne Terre ?
— Oui. Je me suis retrouvé vivant là-bas, dans la même chambre donnant sur la Piazza di Spagna où je m’étais éteint. Severn n’était pas là, mais le docteur Clark et un certain nombre d’autres personnes étaient présents sur les…
— Il est vraiment dingue, fit Hermund. L’Ancienne Terre a été détruite il y a plus de quatre siècles. À moins que les cybrides ne soient capables de vivre plus de quatre cents ans, je ne vois pas comment…
— Tais-toi, coupa Lady Diana. Laisse-moi finir. John, pour quelles raisons le TechnoCentre vous a-t-il fait… revenir ?
— Je ne le sais pas au juste.
— Cela a-t-il quelque chose à voir avec la guerre interne entre les IA ?
— C’est possible, répondis-je. C’est même probable.
Elle posait des questions intéressantes.
— Par quelle faction avez-vous été créé ? Les Stables, les Volages ou les Ultimistes ?
— Je l’ignore.
J’entendis un soupir d’exaspération.
— John, avez-vous mis quelqu’un au courant de ce qui vous arrive et de l’endroit où vous êtes ?
— Non, répondis-je.
Qu’elle eût attendu si longtemps pour me poser cette question en disait long sur l’intelligence rien moins qu’impressionnante de cette femme. Hermund lâcha lui aussi un soupir.
— Parfait, dit-il. Tirons-nous d’ici avant que…
— John, demanda Lady Diana, savez-vous pourquoi Gladstone a fabriqué cette guerre avec les Extros ?
— Non, répondis-je. Ou plutôt, j’entrevois de nombreuses raisons. La plus probable est qu’elle cherche à s’assurer d’un moyen de pression dans ses relations avec le TechnoCentre.
— Comment ça ?
— Certains éléments de la Mémoire Centrale du TechnoCentre ont très peur d’Hypérion, expliquai-je. Cette planète représente une variable inconnue dans une galaxie où toutes les variables ont pu être quantifiées.
— Qui a peur, exactement, John ? Les Ultimistes, les Stables ou les Volages ? Quelle faction a peur d’Hypérion ?
— Toutes les trois.
— Merde ! souffla Hermund. Écoutez-moi bien, John. Est-ce que les Tombeaux du Temps et le gritche ont un rapport avec tout ça ?
— Oui, un très grand rapport.
— Quelle sorte de rapport ? demanda Diana.
— Je l’ignore. Tout le monde l’ignore.
Hermund ou quelqu’un d’autre me frappa brutalement, méchamment, sur la poitrine.
— Vous voulez dire que cette putain d’Assemblée consultative du TechnoCentre n’a pas été capable de prédire l’issue de cette guerre ni la tournure probable des évènements ? grogna Hermund. Vous voudriez me faire croire que le Sénat et Gladstone s’engagent dans un conflit de cette importance sans aucune estimation de probabilité ?
— Non, répliquai-je. La prédiction existe depuis des siècles.
Diana Philomel émit un bruit qui ressemblait à celui que peut faire un enfant devant une montagne de bonbons.
— Quelle prédiction a été faite, John ? Dites-nous tout ce que vous savez.
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