Gottfried Bürger - Aventures Et Mésaventures Du Baron De Münchhausen (illustre)
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Ils peuvent à leur gré ôter et remettre leurs yeux, et, lorsqu’ils les tiennent à la main, ils voient aussi bien que s’ils les avaient sur la figure. Si, par hasard, ils en perdent ou en cassent un, ils peuvent en louer ou en acheter un nouveau, qui leur fait le même service que l’autre; aussi rencontre-t-on dans la lune, à chaque coin de rue, des gens qui vendent des yeux; ils en ont les assortiments les plus variés, car la mode change souvent: tantôt ce sont les yeux bleus, tantôt les yeux noirs, qui sont mieux portés.
Je conviens; messieurs, que tout cela doit vous paraître étrange; mais je prie ceux qui douteraient de ma sincérité de se rendre eux-mêmes dans la lune, pour se convaincre que je suis resté plus fidèle à la vérité qu’aucun autre voyageur.
CHAPITRE XVII Voyage à travers la terre et autres aventures remarquables.

Si je m’en rapporte à vos yeux, je suis sûr que je me fatiguerais plus vite à vous raconter les événements extraordinaires de ma vie que vous à les écouter. Votre complaisance est trop flatteuse pour que je m’en tienne, ainsi que je me l’étais proposé, au récit de mon second voyage dans la lune. Écoutez donc, s’il vous plaît, une histoire dont l’authenticité est aussi incontestable que celle de la précédente, mais qui la surpasse par l’étrangeté et le merveilleux dont elle est empreinte.
La lecture du voyage de Brydone en Sicile m’inspira un vif désir de visiter l’Etna. En route il ne m’arriva rien de remarquable: je dis à moi, car beaucoup d’autres, pour faire payer aux lecteurs naïfs les frais de leur voyage, n’eussent pas manqué de raconter longuement et emphatiquement maints détails vulgaires qui ne sont pas dignes de fixer l’attention des honnêtes gens.
Un matin de bonne heure, je sortais d’une chaumière située au pied de la montagne, fermement résolu à examiner, dût-il m’en coûter la vie, l’intérieur de ce célèbre volcan. Après trois heures d’une marche des plus pénibles, j’atteignis le sommet de la montagne. Depuis trois semaines le volcan grondait sans discontinuer. Je ne doute pas, messieurs, que vous ne connaissiez l’Etna par les nombreuses descriptions qui en ont été faites: je n’essayerai donc pas de vous redire ce que vous savez aussi bien que moi, et j’épargnerai à moi une peine et à vous une fatigue inutile.
Je fis trois fois le tour du cratère – dont vous pouvez avoir une idée en vous figurant un immense entonnoir -, et, reconnaissant que j’aurais beau tourner, cela ne m’avancerait guère, je pris bravement ma résolution, et je me décidai à sauter dedans. À peine eus-je exécuté le saut, que je me sentis comme plongé dans un bain de vapeur brûlante; les charbons ardents qui jaillissaient sans relâche endommagèrent et brûlèrent en tous sens mon pauvre corps.
Vulcain me fit une description très détaillée de l’Etna. Il m’expliqua comme quoi cette montagne n’était qu’un amas de cendres sorties de la fournaise; qu’il était souvent obligé de sévir contre ses ouvriers; qu’alors, dans sa colère, il leur jetait des charbons ardents qu’ils paraient avec une grande adresse en les laissant passer sur la terre, afin de le laisser épuiser ses munitions. «Nos dissensions, ajouta-t-il, durent quelquefois plusieurs mois, et les phénomènes qu’elles produisent à la surface de la terre sont ce que vous appelez, je crois, des éruptions. Le mont Vésuve est également une de mes forges: une galerie de trois cent cinquante milles de longueur m’y conduit en passant sous le lit de la mer: là aussi des dissensions semblables amènent sur la terre des accidents analogues.»
Si je me plaisais à la conversation instructive du mari, je goûtais encore davantage la société de la femme, et je n’aurais peut-être jamais quitté ce palais souterrain, si quelques mauvaises langues n’avaient mis la puce à l’oreille au seigneur Vulcain, et n’avaient allumé dans son cœur le feu de la jalousie. Sans me prévenir le moins du monde, il me saisit un matin au collet, comme j’assistais la belle déesse à sa toilette, et m’emmena dans une chambre que je n’avais pas encore vue: là il me tint suspendu au-dessus d’une espèce de puits profond, et me dit: «Ingrat mortel, retourne dans le monde d’où tu es venu!»
Je regardai tout autour de moi, mais je ne voyais de tous côtés que de l’eau. La température était tout autre que celle à laquelle je m’étais accoutumé chez le seigneur Vulcain. Enfin je découvris à quelque distance un objet qui avait l’apparence d’un énorme rocher, et qui semblait se diriger vers moi: je reconnus bientôt que c’était un glaçon flottant. Après beaucoup de recherches, je trouvai enfin un endroit où je pus m’accrocher, et je parvins à gravir jusqu’au sommet. À mon grand désespoir, je ne découvris aucun indice qui m’annonçât le voisinage de la terre. Enfin, avant la tombée de la nuit, j’aperçus un navire qui s’avançait de mon côté. Dès qu’il fut à portée de la voix, je le hélai de toutes mes forces: il me répondit en hollandais. Je me jetai à la mer, et nageai jusqu’au navire où l’on m’amena à bord. Je demandai où nous étions. «Dans la mer du Sud», me répondit-on. Ce fait expliquait toute l’énigme. Il était évident que j’avais traversé le centre du globe et que j’étais tombé par l’Etna dans la mer du Sud: ce qui est beaucoup plus direct que de faire le tour du monde. Personne avant moi n’avait encore tenté ce passage, et si je refais jamais le voyage; je me promets bien d’en rapporter des observations du plus haut intérêt.
Je me fis donner quelques rafraîchissements et je me couchai. Quels grossiers personnages, messieurs, que les Hollandais! Le lendemain je racontai mon aventure aux officiers aussi exactement et aussi simplement que je viens de le faire ici, et plusieurs d’entre eux, le capitaine surtout, firent mine de douter de l’authenticité de mes paroles. Cependant comme ils m’avaient donné l’hospitalité à leur bord, et que si je vivais c’était grâce à eux, il me fallut bien empocher l’humiliation sans répliquer.
Je m’enquis ensuite du but de leur voyage. Ils me répondirent qu’ils faisaient une expédition de découverte et que si ce que je leur avais raconté était vrai, leur but était atteint. Nous nous trouvions précisément sur la route qu’avait suivie le capitaine Cook, et nous arrivâmes le lendemain à Botany Bay, lieu où le gouvernement anglais devrait envoyer non pas ses mauvais garnements pour les punir, mais des honnêtes gens pour les récompenser, tant ce pays est beau et richement doté par la nature.

Nous ne restâmes que trois jours à Botany Bay. Le quatrième jour après notre départ il s’éleva une effroyable tempête qui déchira toutes nos voiles, rompit notre beaupré, abattit notre mât de perroquet, lequel tomba sur la cahute où était enfermée notre boussole et la mit en pièces. Quiconque a navigué sait quelles peuvent être les conséquences d’un pareil accident. Nous ne savions plus où nous étions, ni où aller. Enfin la tempête s’apaisa, et fut suivie d’une bonne brise continue. Nous naviguions depuis trois mois et nous devions avoir fait énormément de chemin, lorsque tout à coup nous remarquâmes un changement singulier dans tout ce qui nous entourait. Nous nous sentions tout gais et tout dispos, notre nez s’emplissait des odeurs les plus douces et les plus balsamiques; la mer elle-même avait changé de couleur: elle n’était plus verte, mais blanche.
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