Les recherches n'avaient cependant donné aucun résultat et avaient été interrompues vers 22 heures, bien après la nuit venue. Dans la nuit, la température était tombée à zéro degré.
Au cours de l'après-midi, l'inspecteur Morell avait établi son QG dans un salon que Henrik Vanger avait mis à sa disposition au rez-de-chaussée de la maison Vanger. Il avait pris une série de mesures.
Accompagné d'Isabella Vanger, il avait inspecté la chambre de Harriet pour essayer de déterminer s'il manquait quelque chose, des vêtements, un sac ou autre bagage pouvant indiquer que Harriet Vanger avait fugué. Isabella Vanger, peu coopérative, ne semblait pas avoir la moindre idée de la garde-robe de sa fille. Elle était souvent en Jean, mais ils se ressemblent tous. Le sac à main de Harriet avait été retrouvé sur son bureau. Il contenait sa carte d'identité, un portefeuille avec 9 couronnes et 50 ôre, un peigne, un miroir de poche et un mouchoir. Après l'inspection, la chambre de Harriet avait été mise sous scellés.
Morell avait convoqué d'autres personnes pour interrogatoire, membres de la famille comme employés. Tous les interrogatoires étaient minutieusement consignés.
Les participants de la première battue revenant progressivement avec des informations décevantes, le commissaire avait pris la décision de lancer des recherches plus systématiques. Au cours de la soirée et de la nuit, des renforts avaient été appelés ; Morell avait entre autres pris contact avec le président du Club d'orientation de Hedestad pour lui demander de convoquer ses membres pour une battue. Vers minuit, il lui avait été répondu que cinquante-trois athlètes actifs, surtout de la section junior, seraient à la maison Vanger à 7 heures pile le lendemain matin. Henrik Vanger avait contribué en convoquant purement et simplement toute l'équipe du matin, cinquante hommes, de l'usine de papeterie Vanger locale. Henrik Vanger avait aussi prévu la restauration de tous ces gens.
Mikael Blomkvist n'avait aucun mal à s'imaginer les scènes qui avaient dû se dérouler à la maison Vanger durant ces journées riches en événements. Il ressortait nettement que l'accident sur le pont avait contribué à la confusion durant les premières heures ; d'une part en compliquant la possibilité d'obtenir des renforts efficaces de la terre ferme, d'autre part parce que tout le monde estimait que deux événements aussi dramatiques au même endroit et au même moment avaient forcément un lien. Une fois le camion-citerne retiré du pont, et en dépit de toute vraisemblance, l'inspecteur Morell était même allé s'assurer que Harriet Vanger ne se trouvait pas sous l'épave. C'était la seule action irrationnelle que Mikael arrivait à distinguer dans les agissements de l'inspecteur, puisque la jeune fille disparue avait été vue sur l'île après que l'accident avait eu lieu, preuve à l'appui. Pourtant, sans arriver à se l'expliquer, le responsable des investigations avait eu du mal à se défaire de la pensée qu'un des événements avait d'une façon ou d'une autre causé l'autre.
LES PREMIÈRES VINGT-QUATRE HEURES virent les espoirs de dénouement rapide et heureux de l'affaire s'amenuiser pour être graduellement remplacés par deux spéculations. Malgré les difficultés évidentes à pouvoir quitter l'île sans se faire remarquer, Morell ne voulait pas exclure la possibilité que Harriet ait fait une fugue. Il décida d'élargir les recherches et donna ordre aux policiers patrouillant dans Hedestad d'ouvrir les yeux. Il donna également pour mission à un collègue de la division criminelle d'interroger les chauffeurs de car et le personnel des chemins de fer au cas où quelqu'un l'aurait vue.
Plus les réponses négatives arrivaient, et plus il sembla probable que Harriet Vanger avait été victime d'un accident. Cette hypothèse allait dominer l'organisation des recherches pour les jours suivants.
La grande battue deux jours après sa disparition avait été réalisée — pour autant que Mikael Blomkvist put en juger — avec une très grande compétence. Des policiers et des pompiers ayant l'expérience d'affaires similaires avaient organisé les recherches. Il existait certes sur l'île quelques zones où le terrain était difficile d'accès, mais la superficie était malgré tout limitée et l'île entière fut passée au peigne fin dans la journée. Un bateau de la police et deux bateaux de plaisanciers volontaires sondèrent de leur mieux les eaux autour de l'île.
Le lendemain, les recherches avaient repris en équipe réduite. Cette fois-ci, des patrouilles furent envoyées pour une deuxième battue dans des zones plus difficiles d'accès, ainsi que dans une zone appelée « la Fortification » — un ensemble de bunkers abandonnés établis par la défense côtière durant la Seconde Guerre mondiale. Furent aussi examinés ce jour-là tous les petits réduits, puits, caves en terre, remises et greniers du hameau.
On pouvait lire une certaine frustration dans une note de service annonçant que les recherches étaient interrompues au troisième jour après la disparition. Gustaf Morell n'en avait naturellement pas conscience, mais à cet instant-là il était en réalité arrivé aussi loin dans ses recherches qu'il arriverait jamais. Plongé dans la plus grande perplexité, il avait du mal à indiquer la prochaine étape logique ou un endroit où les recherches devraient reprendre. Harriet Vanger s'était apparemment volatilisée et le calvaire de Henrik Vanger, qui allait se poursuivre sur bientôt quarante ans, avait commencé.
9
LUNDI 6 JANVIER — MERCREDI 8 JANVIER
MIKAEL AVAIT CONTINUÉ à lire jusqu'au petit matin, puis s'était levé tard le jour des Rois. Une Volvo bleu marine, dernier modèle, était garée devant la maison de Henrik Vanger. Au moment où Mikael posait la main sur la poignée de la porte d'entrée, celle-ci s'ouvrit et un homme d'une cinquantaine d'années sortit. Ils faillirent entrer en collision. L'homme semblait pressé.
— Oui ? Puis-je vous aider ?
— Je viens voir Henrik Vanger, répondit Mikael.
Le regard de l'homme s'adoucit. Il sourit et tendit la main.
— Vous devez être Mikael Blomkvist, l'homme qui va aider Henrik à réaliser la chronique familiale ?
Mikael hocha la tête et serra la main. Henrik Vanger avait apparemment commencé à répandre l'histoire censée expliquer la présence de Mikael à Hedestad. L'homme était en surcharge pondérale — résultat de nombreuses années de stress dans des bureaux et des salles de réunion — mais Mikael remarqua immédiatement sur son visage des traits qui rappelaient Harriet Vanger.
— Je m'appelle Martin Vanger, confirma-t-il. Soyez le bienvenu à Hedestad.
— Merci.
— Je vous ai vu à la télé il y a quelque temps de cela.
— J'ai l'impression que tout le monde m'a vu à la télé.
— Wennerström n'est pas... très populaire dans cette maison.
— C'est ce que m'a dit Henrik. J'attends la suite des événements.
— Il m'a expliqué l'autre jour qu'il vous avait engagé. Martin Vanger éclata de rire. Il m'a dit que c'était probablement à cause de Wennerström que vous aviez accepté ce boulot.
Mikael hésita une seconde avant de se décider à parler franc.
— J'avoue que c'est une des raisons. Mais pour tout dire, j'avais besoin de m'éloigner de Stockholm, et Hedestad est apparu au bon moment. Je crois. Je ne peux pas faire comme si le procès n'avait jamais eu lieu. Il va falloir que j'aille en prison.
Martin Vanger hocha la tête, soudain sérieux.
— Vous avez la possibilité de faire appel ?
— Dans mon cas, ça ne changera rien.
Martin Vanger consulta sa montre.
— Je dois être à Stockholm ce soir, je me dépêche. Je serai de retour dans quelques jours. Il faudra que vous passiez dîner. J'ai très envie d'entendre ce qui s'est réellement passé au cours de ce procès.
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